Adresse aux déserteurs de toutes les nations

Communiqué n°96 - Novembre 2023

Dans un monde où la barbarie est banale, les attaques du Hamas le 7 octobre 2023 ont constitué un nouveau pallier dans l’horreur : 1400 morts israéliens dont 1100 civils (prolétaires, pour la plupart) – massacrés dans des conditions atroces – et 300 militaires et policiers, ainsi que des centaines d’otages emmenés dans la bande de Gaza. La double dimension – principalement criminelle et pogromiste, mais également militaire – des attaques du Hamas permet aux tenants du camp dit « pro-palestinien » de passer tactiquement sous silence les crimes de masse contre des populations civiles. A contrario, le camp dit « pro-israélien » (auquel s’identifie l’axe « républicain » qui va du PS au RN en passant par LREM), « oubliant » la dimension militaire, n’évoque que les massacres de civils – permettant ainsi de justifier d’autres massacres de civils, avec les bombardements actuels sur la bande de Gaza (qui ont déjà coûté la vie à plus de 8000 personnes). À l’instar du ministre israélien de la Défense Yoav GALANT qualifiant les Gazaouis d’« animaux », il n’y a plus aucune distinction opérée entre civils et militaires : chaque peuple est considéré comme une grande masse indistincte tout juste bonne à être massacrée et les deux « camps » en présence participent à ce bal sanglant, nous sommant de choisir notre barbarie.

Au-delà de l’émotion générée par ces attaques, l’impasse politique dans laquelle les dirigeants israéliens ont enfermé la population de Gaza depuis trois décennies rendait pourtant inévitable tôt ou tard une tentative de solution « militaire ». En effet, Israël, tout en cherchant à briser son relatif isolement diplomatique et économique en négociant des traités de paix avec les États arabes voisins, laissait les Gazaouis croupir dans un territoire pauvre, surpeuplé et régulièrement bombardé par Tsahal – le tout sans aucune perspective de développement. Cette tentative de faire la paix avec les États arabes (soutiens traditionnels – quoique très hypocrites – de la cause palestinienne) tout en laissant en suspens la question palestinienne revêtait un caractère illusoire qui s’est révélé de manière sanglante à la société israélienne lors des attaques du 7 octobre 2023. Mais, si la Bande de Gaza est une prison, le Hamas est son geôlier appointé par Israël. En effet, afin d’endiguer les mouvements – laïcs – de la résistance palestinienne (Fatah, FPLP) en vogue à l’époque, les services de sécurité israéliens n’ont aucunement hésité à appuyer le développement du Hamas en Palestine en n’autorisant que l’ouverture de mosquées liées aux Frères musulmans (faisant doubler leur nombre entre 1967 et 1986) et en leur déléguant de fait les tâches habituellement dévolues au Welfare State. Le pari israélien n’a qu’en partie réussi : il s’avère à l’usage que l’islamisme se marie très bien avec le nationalisme mais, à défaut de supprimer la cause palestinienne, la manœuvre israélienne a au moins permis de l’« islamiser ». Depuis trente ans, le Hamas se révèle l’allié objectif de la frange la plus réactionnaire du mouvement sioniste et garantit, par ses nombreux attentats visant la population civile, qu’aucune fraternisation entre prolétaires juifs et arabes ne sera possible. Cette stratégie avait été explicitée par le chef du renseignement militaire israélien Amos YADLIN en juin 2007 : « Israël serait heureux si le Hamas s’emparait de Gaza parce que l’armée pourrait alors traiter Gaza comme un État hostile. »

Dénoncée par la jeunesse gazaouie dans un Manifeste de 2010 comme « une organisation tentaculaire qui s’est étendue à travers la société, tel un cancer malveillant déterminé à détruire dans sa propagation jusqu’à la dernière cellule vivante », le mouvement frériste palestinien impose un conservatisme social brutal à toute une société et supprime toute opposition en faisant régner la terreur. Parallèlement, dans une société où la jeunesse israélienne se détachait de plus en plus des valeurs militaristes et nationalistes, les exactions du Hamas qui a opportunément ciblé cette même jeunesse et attaqué les endroits qui étaient les plus hostiles à l’actuel gouvernement (le kibboutz de Beer’i, une rave party pour la paix, etc.) sont venues ressouder la société autour de ses piliers historiques : l’armée, la guerre, le racisme anti-arabe. Car, au-delà des éléments de langage distillés par les propagandistes zélés du sionisme (« Faire fleurir le désert », « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »), Israël est un État « bourgeois militariste et rabbinique » doublé d’une « économie artificielle » (Internationale Situationniste, 1967) totalement dépendant – pour sa survie – de l’aide diplomatique, économique et militaire états-unienne. Ce qui était initialement une utopie socialiste notamment avec le mouvement des kibboutz (villages collectivistes) a débouché sur un nettoyage ethnique lors de la guerre israélo-arabe et de la création d’Israël en 1948, pour devenir par la suite un enfer néolibéral et inégalitaire.

Les conditions de la création de l’État d’Israël n’ont cependant rien d’exceptionnel : ce qui l’a notamment rendu possible, c’est le cadre moderne du nationalisme inscrit dans un État-nation. Ce dernier implique nécessairement que se superposent une terre, un peuple / une nation et une langue voire – en bonus – une religion. L’État turc moderne, par exemple, s’est bâti sur le génocide de la population arménienne. La partition de l’Inde en 1947 s’est faite sur des bases ethno-religieuses qui ont donné lieu à des transferts massifs de population et des massacres de grande ampleur (environ un million de morts). D’autres pays, lors de leur création ou ultérieurement, ont été livrés à des guerres entre gangs rivaux – prétendant agir au nom de telle ou telle bannière identitaire et eux-mêmes instrumentalisés par des impérialismes concurrents – pour le contrôle du pouvoir et des ressources socio-économiques : Rwanda (génocide des Tutsis en 1994), Soudan du Sud (guerre civile de 2013 à 2020). La Yougoslavie – démantelée par les puissances impérialistes au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » – a cédé la place à une myriade d’États eux-mêmes en proie à des micro-nationalismes : ainsi, la minorité kosovare, devenue majoritaire dans « son » propre pays en 1999, discrimine une population serbe devenue à son tour minoritaire. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se transforme inévitablement en droit des États nouvellement créés à disposer comme ils l’entendent de leurs minorités.

À la lueur de tous ces exemples, comment croire que la « solution à deux États » en Palestine telle que prônée par la « communauté internationale » pourrait aboutir à un règlement juste et durable du conflit ? Dans un monde où règnent les impérialismes rivaux, où les richesses font l’objet de conflits, où les notions de « minorité » et de « majorité » conservent (hélas) leur fonction opératoire, comment penser qu’une simple partition de la Palestine sur des bases ethno-religieuses puisse être autre chose qu’une étape supplémentaire dans la perpétuation du conflit ? Israël se prétendant « État juif et démocratique », la conservation de son caractère « juif » ne peut être garantie qu'en maintenant la population arabe dans un état de minorité et en déversant le « trop-plein » chez ses voisins arabes. Et, dans ces conditions, que deviendrait, de son côté, la minorité juive dans l’État palestinien nouvellement créé ?

Quant à la solution alternative dite « à un État », celui de tous ses citoyens, de quel État s'agirait-il ? D'un Israël élargi où tout ou partie des Palestiniens des anciens territoires occupés seraient priés d'aller s'exiler ailleurs pour ne pas remettre en cause la majorité juive de l’État, tandis que les Arabes seraient maintenus au bas de l'échelle sociale ? D'un État « arabe » qui réduirait les Juifs à l'état de minorité et ne leur offrirait aucune garantie contre l'antisémitisme? Comment imaginer que les deux peuples pourraient, sans une révolution radicale, oublier du jour au lendemain tous leurs clivages et toutes leurs haines et s'unir dans un État commun ? Dans sa sobre réalité, le nouvel État ne serait, à l'instar d'Israël avant lui, « rien d’autre qu’une vulgaire société de classes, où [se reconstitueraient] toutes les anomalies des vieilles sociétés » avec ses « divisions hiérarchiques », son racisme et ses « oppositions ethniques » (Internationale Situationniste, 1967). La solution dite « réaliste » n'est donc qu'une utopie. La tâche des révolutionnaires n'est pas de proposer des solutions pour mieux gérer ce monde tel qu'il est mais de le détruire.

Pour nous, le monde se divise en classes et non pas en clans ou en camps : nous refusons de diaboliser des peuples et des pays et ne faisons allégeance à aucun nationalisme sous quelque forme que ce soit. C'est sur la base de leur condition sociale que les populations doivent s'unir et non pas en fonction de leur identité. Ce vieux monde doit disparaître et il ne saurait être question pour nous d'entretenir ces vieilleries mortifères que sont les nations, les ethnies, les races et les religions. Il faut démanteler le cadre de l’État-nation, avec ses minorités et ses majorités, pour lui substituer partout des communes, des conseils, des soviets librement fédérés. L'État n'est pas la solution au problème du racisme et de l'antisémitisme : il est le problème. Nationalisme arabe et panislamisme, d'un côté, sionisme, de l'autre, sont les deux faces d'une même médaille. Leur affrontement spectaculaire se fait sur le dos du prolétariat. Que celui-ci se lève enfin et ils tomberont à terre aussitôt !

Le prolétariat n’a pas de patrie !
Au Proche-Orient comme partout ailleurs, ni un ni deux ni trois : zéro États !
Établissons le communisme mondial et sans frontières !

Signé par :

  • CNT-AIT (contact@cnt-ait.info)
  • Collectif Autonome Révolutionnaire (collectifautonomerevolutionnaire@riseup.net)
  • Groupe d’Action pour la Recomposition de l’Autonomie Prolétarienne (contact.garap@protonmail.com)

En complément à ce communiqué, nous vous invitons à télécharger et lire L’Adresse aux prolétaires et aux jeunes révolutionnaires arabes et israéliens contre la guerre et pour la révolution prolétarienne (mai 1976) et Une affaire intérieure juive (texte paru dans Le Monde le 29 juin 1982), ainsi qu’à prendre connaissance des quelques citations ci-dessous.


« Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie. »

Benyamin NETANYAHOU, Premier ministre israélien, mars 2019


« Le mouvement qui entraîne les peuples arabes vers l’unification et le socialisme a obtenu des victoires contre le colonialisme classique. Mais il est de plus en plus évident qu’il doit en finir avec l’Islam, force contre-révolutionnaire manifeste, comme toutes les idéologies religieuses ; il doit admettre la liberté du peuple kurde ; il doit en finir avec le prétexte palestinien qui justifie la politique dominante dans les États arabes, puisque cette politique se propose avant tout de détruire Israël, et qui la justifie à perpétuité, puisque cette destruction est impossible. C’est un modèle de société révolutionnaire réalisé par les Arabes qui, seul, peut dissoudre les forces répressives de l’État d’Israël. De même que la réussite d’un modèle de société révolutionnaire dans le monde marquerait la fin de l’affrontement, en majeure partie factice, entre l’Est et l’Ouest, de même finirait l’affrontement Israël-Arabes qui en est une reproduction minuscule [...]

Vivent les camarades qui en 1959, dans les rues de Bagdad, ont brûlé le Coran !

Vivent les Conseils ouvriers de Hongrie, défaits en 1956 par l’Armée dite Rouge !

Vivent les dockers d’Aarhus qui, l’année dernière, ont effectivement boycotté l’Afrique du Sud raciste, malgré la répression judiciaire du gouvernement social-démocrate danois et leur direction syndicale !

Vive le mouvement étudiant «Zengakuren» du Japon, qui combat activement le pouvoir capitaliste de l’impérialisme et celui de la bureaucratie dite communiste !

Vive la milice ouvrière qui a défendu les quartiers du nord-est de Saint-Domingue !

Vive l’autogestion des paysans et des ouvriers algériens ! L’alternative est maintenant entre la dictature bureaucratique militarisée et la dictature du « secteur autogéré » étendu à toute la production et à tous les aspects de la vie sociale.
 »

Internationale Situationniste, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays, juillet 1965


« La dernière guerre est venue dissiper toutes les illusions. La rigidité absolue de « l’idéologie arabe » a été pulvérisée au contact de la réalité effective tout aussi dure, mais permanente. Ceux qui parlaient de faire la guerre ne la voulaient ni ne la préparaient, et ceux qui ne parlaient que de se défendre préparaient effectivement l’offensive. Chacun des deux camps suivait sa propre pente : la bureaucratie arabe, celle du mensonge et de la démagogie, les maîtres d’Israël, celle de l’expansion impérialiste. C’est en tant qu’élément négatif que la guerre des Six-Jours a eu une importance capitale, puisqu’elle a révélé toutes les faiblesses et les tares secrètes de ce qu’on a voulu présenter comme « la révolution arabe ». La « puissante » bureaucratie militaire égyptienne s’est effritée en deux jours, dévoilant tout d’un coup la vérité de ses réalisations : le pivot autour duquel se sont opérées toutes les transformations socio-économiques, l’armée, est resté fondamentalement le même. D’une part, elle prétendait tout changer en Égypte (et même dans toute la zone arabe), et d’une autre elle faisait tout pour que rien ne change en son sein, en ses valeurs et habitudes. L’Égypte nassérienne est encore dominée par les forces pré-nassériennes, sa « bureaucratie » est un magma sans cohérence ni conscience de classe, que seule l’exploitation et le partage de la plus-value sociale unit.

Quant à l’appareil politico-militaire qui gouverne la Syrie baasiste, il s’enferme de plus en plus dans l’extrémisme de son idéologie. Seulement, sa phraséologie ne trompe plus personne (à part Pablo !) ; tout le monde sait qu’il n’a pas fait la guerre, et qu’il a livré le front sans résistance, puisqu’il a préféré garder les meilleures troupes à Damas pour sa propre défense. Ceux qui consommaient 65% du budget syrien pour défendre le territoire ont définitivement démasqué leur cynique mensonge.

Enfin, elle a une dernière fois montré, à ceux qui en avaient encore besoin, que l’Union sacrée avec les Hussein ne pouvait conduire qu’à la catastrophe. La Légion Arabe s’est retirée dès le premier jour, et la population palestinienne, qui a subi pendant vingt ans la terreur policière de ses bourreaux, s’est trouvée désarmée et désorganisée devant les forces d’occupation. Le trône hachémite, depuis 1948, s’était partagé la colonisation des Palestiniens avec l’État sioniste. En désertant la Cisjordanie, il livrait à celui-ci les dossiers établis par la police sur tous les éléments révolutionnaires palestiniens. Mais les Palestiniens ont toujours su qu’il n’y avait pas une grande différence entre les deux colonisations, et se sentent aujourd’hui plus à l’aise dans leur résistance à la nouvelle occupation.

De l’autre côté, Israël est devenu tout ce que les Arabes, avant la guerre, lui reprochaient d’être : un État impérialiste se conduisant comme les forces d’occupation les plus classiques (terreur policière, dynamitage des maisons, loi martiale permanente, etc.). Et à l’intérieur se développe un délire collectif dirigé par les rabbins pour « le droit imprescriptible d’Israël aux frontières bibliques ». La guerre est venue arrêter tout le mouvement de contestation qu’engendraient les contradictions de cette société artificielle (en 1966, il y a eu quelques dizaines d’émeutes, et pas moins de 277 grèves pour la seule année 1965) ; et provoquer une adhésion unanime autour des objectifs de la classe dominante, et de son idéologie la plus extrémiste. Elle a servi par ailleurs à renforcer tous les régimes arabes non impliqués dans l’affrontement armé. Boumédiène put ainsi, à 5000 kilomètres, participer, quiètement, à la surenchère, et faire applaudir son nom par la foule algérienne devant laquelle il n’osait même pas se présenter la veille ; enfin obtenir l’appui d’une O.R.P. complètement stalinisée (« pour sa politique anti-impérialiste »). Fayçal, contre quelques millions de dollars, obtient l’abandon du Yémen Républicain et la consolidation de son trône — et on en passe.

Comme toujours la guerre, quand elle n’est pas civile, ne peut que geler le processus de la révolution sociale ; au Nord-Vietnam, elle provoque l’adhésion, jamais obtenue, de la masse paysanne à la bureaucratie qui l’exploite. En Israël, elle liquide pour une longue période toute opposition au sionisme, et dans les pays arabes c’est le renforcement — momentané — des couches les plus réactionnaires. En aucune façon les courants révolutionnaires ne peuvent s’y reconnaître. Leur tâche est à l’autre bout du mouvement actuel, car elle doit en être la négation absolue.

Il est évidemment impossible de chercher, aujourd’hui, une solution révolutionnaire à la guerre du Vietnam. Il s’agit avant tout de mettre fin à l’agression américaine, pour laisser se développer, d’une façon naturelle, la véritable lutte sociale du Vietnam, c’est-à-dire permettre aux travailleurs vietnamiens de retrouver leurs ennemis de l’intérieur : la bureaucratie du Nord et toutes les couches possédantes et dirigeantes du Sud. Le retrait des Américains signifie immédiatement la prise en main, par la direction stalinienne, de tout le pays : c’est la solution inéluctable. Car les envahisseurs ne peuvent indéfiniment prolonger leur agression : on sait depuis Talleyrand qu’on peut faire n’importe quoi avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus. Il ne s’agit donc pas de soutenir inconditionnellement (ou d’une façon critique) le Vietcong, mais de lutter avec conséquence et sans concessions contre l’impérialisme américain. Le rôle le plus efficace est actuellement celui des révolutionnaires américains qui prônent et pratiquent l’insoumission à une très large échelle (devant laquelle la résistance à la guerre d’Algérie, en France, est un jeu d’enfant). C’est que la racine de la guerre du Vietnam se trouve en Amérique même, et c’est là qu’il faut l’extirper.

Au contraire de la guerre américaine, la question palestinienne n’a pas de solution immédiatement perceptible. Aucune solution à court terme n’est praticable. Les régimes arabes ne peuvent que s’écrouler sous le poids de leurs contradictions, et Israël sera de plus en plus prisonnier de sa logique coloniale. Tous les compromis que les grandes puissances et leurs alliés respectifs essaient de rafistoler ne peuvent, de toutes les façons, qu’être contre-révolutionnaires. Le statu quo bâtard — ni paix, ni guerre — va probablement prédominer pour une longue période, pendant laquelle les régimes arabes connaîtront le sort de leurs prédécesseurs de 1948 (et probablement au profit des forces franchement réactionnaires dans un premier temps). La société arabe qui a secrété toutes sortes de classes dominantes, caricatures de toutes les classes historiquement connues, doit maintenant secréter les forces qui porteront sa subversion totale. La bourgeoisie dite nationale et la bureaucratie arabe ont hérité de toutes les tares de ces deux classes, sans avoir jamais connu leurs réalisations historiques dans les autres sociétés. Les futures forces révolutionnaires arabes, qui doivent naître sur les décombres de la défaite de juin 1967, sauront qu’elles n’ont rien de commun avec aucun des régimes arabes existants, ni rien à respecter des pouvoirs constitués qui dominent le monde actuel. C’est en elles-mêmes et dans les expériences refoulées de l’histoire révolutionnaire qu’elles trouveront leur modèle. La question palestinienne est trop sérieuse pour être laissée aux États, c’est-à-dire aux colonels. Elle touche de trop près les deux questions fondamentales de la révolution moderne, à savoir l’internationalisme et l’État, pour qu’aucune force existante puisse lui apporter la solution adéquate. Seul un mouvement révolutionnaire arabe résolument internationaliste et anti-étatique, peut à la fois dissoudre l’État d’Israël et avoir pour lui la masse de ses exploités. Seul, par le même processus, il pourra dissoudre tous les États arabes existants et créer l’unification arabe par le pouvoir des Conseils. »

Internationale situationniste n°11, octobre 1967


« Nationalismes et extinction des minorités non-musulmanes

Qu’il y ait eu cependant des périodes de tension et de violences ne fait pas de doute. Elles ont affecté chacun des pays de la région, de l’affaire de Damas, en Syrie, en 1840, et des violences entre Druzes et chrétiens au Liban de 1840 à 1860, de l’affaire Batou Sfez en Tunisie, en 1857, à la détérioration des relations judéo-musulmanes à partir des années 1930 en relation avec le conflit judéo-arabe en Palestine, avec la crise économique mondiale, comme avec les mouvements nationalistes du Maghreb à l’Irak, où s’expriment ouvertement les sympathies pro-allemandes pendant la seconde guerre et les violences du Farhud (1941). Chemin faisant, l’écart s’est creusé, dans les provinces arabes de l’Empire comme au Maghreb colonisé, entre la population musulmane majoritaire et les membres des minorités. Ceux-ci, en dépit de leur présence parfois millénaire dans leur pays, ont été progressivement traités en étrangers, complices et bénéficiaires des pouvoirs coloniaux et hostiles aux mouvements nationaux, bien que certains de leurs membres s’y soient engagés. Aussi la formation des nouveaux États s’est-elle faite contre les minoritaires et au profit de la bourgeoisie dite nationale. Spoliations (voire massacres dans le cas turc ou en Irak), discrimination religieuse dans l’accès aux ressources et aux positions, démantèlement des institutions communautaires (écoles, institutions charitables, voire édifices religieux) au profit de l’État centralisé, nationalisation des grandes entreprises, inscription de l’islam comme religion de l’État dans la Constitution, politique d’homogénéisation linguistique, religieuse et culturelle qui défavorisait puis éliminait de fait les minorités : les politiques de construction d’États-nations ne laissaient plus de place aux minoritaires.

Jusqu’à une certaine date, ce n’est pas, comme beaucoup aiment le dire dans les pays arabes, en raison de l’émergence du sionisme et de la création de l’État d’Israël que les juifs ont disparu du Machrek et du Maghreb. Le sionisme, en effet, a mis longtemps à s’y implanter. Le cas turc l’illustre clairement : nationalisme et construction d’un État moderne ont largement précédé l’émergence du sionisme et la création de l’État d’Israël. Ils se sont traduits par l’élimination impitoyable des minoritaires non-musulmans : massacre des Arméniens dès 1894-1896, génocide des Arméniens en 1915 et des Assyriens (1915-1920), guerre turco-grecque et échange forcé de la population grecque d’Anatolie avec les Turcs de Grèce en 1923. La politique de discrimination et de violences contre les minoritaires se poursuit sous la République turque : expulsion des juifs de Thrace en 1934 ; impôt sur la richesse frappant les non-musulmans, Grecs, juifs ou Arméniens, en 1942 ; pogrome anti-juif des 6-7 septembre 1955, dont les victimes sont aussi les Grecs et les Arméniens ; expulsion de milliers de Grecs en 1964, à la suite du conflit sur Chypre entre la Grèce et la Turquie. Contre les Kurdes, après les massacres de Dersim en 1938, la guerre est toujours en cours.

En Égypte, dès l’entre-deux-guerres, la fin du régime des Capitulations favorable aux étrangers, la suppression du statut de protégé, l’égyptianisation du marché du travail et les mesures de discrimination positive en faveur des nationaux enclenchent le départ des Grecs et des Arméniens d’Égypte – qui n’ont pas de relation avec le sionisme. Certes, la vigueur des manifestations antisionistes dès l’entre-deux guerres, puis la création de l’État d’Israël et la période nassérienne accélèreront l’élimination des juifs d’Égypte, mais elles n’épargneront ni les Grecs ni les Arméniens, ni même les descendants de Turcs ottomans.

Les années 1950-1960 ont marqué l’apogée du nationalisme arabe et du tiers-mondisme nassériens. Ils déclinent depuis au profit de l’islamisme politique. C’est un nouveau degré qui est franchi dans le recours à la violence et dans l’offensive contre les minoritaires ou contre d’autres musulmans. Comme l’observe Hamit Bozarslan, depuis le dernier tiers du XXe siècle, le nationalisme turc comme les nationalismes du monde arabe fusionnent avec la religion dominante, voire avec la confession dominante, poussant davantage sur les marges les groupes minoritaires, ou cultivant des tensions qui entretiennent l’instabilité politique dans ces pays. »

VALENSI Lucette, Les juifs, entre autres. Du pluralisme religieux à la disparition des minorités dans l’Islam méditerranéen, in Cahiers de la Méditerranée, numéro 105, décembre 2022


« Or, le soulèvement arabe [de 1929 en Palestine] est-il un mouvement révolutionnaire national, comme le déclare la presse officielle du Parti [Communiste] ? Non. Tous les mouvements dirigés par des porte-parole d’une nationalité opprimée ne sont pas nécessairement des mouvements révolutionnaires. C'est un fait lamentable qu'à l'heure actuelle le mouvement arabe est dirigé par des réactionnaires non dissimulés, sans aucune force révolutionnaire ou de gauche substantielle pour défier leur direction, en dehors du Parti communiste de Palestine, qui n'a pratiquement aucune influence sur les événements récents et que ces mêmes réactionnaires ont contribué à conduire vers l'illégalité et l'emprisonnement. Les dirigeants arabes ont freiné le véritable mouvement des masses, ils ont freiné sa croissance et empêché le développement de son cours naturel de lutte, ils l'ont induit en erreur et dévitalisé à plusieurs reprises. Ils sont toujours les seuls porte-parole du mouvement et défendent des objectifs réactionnaires. Ils se battent pour un « Empire arabe ». Ils ont fait des compromis avec l’impérialisme et sont prêts à recommencer. Ils sont contre tous les Juifs en tant que Juifs. Ils ont lancé la revendication réactionnaire de « restriction de l’immigration juive en Palestine ».

Ils ne prétendent même pas avoir un programme dix fois moins avancé que celui du Kuo-Min-Tang il y a trois ans. Ils ne promettent au paysan aucune terre et au travailleur aucune amélioration sociale. Ils sont de fervents ennemis non seulement du bolchevisme, mais aussi du mouvement ouvrier le plus modéré. À cet égard, ils « surpassent » de loin leurs concurrents sionistes. Mais tout cela compte pour les grands prêtres staliniens de la « troisième période ». Ils ont leur formule idiote et vide de sens et se sentent obligés de faire en sorte que chaque événement, survenant n’importe où dans le monde, s’inscrive dans le plan qu’ils chérissent. L’action confuse et mal orientée des Arabes est donc touchée avec la baguette magique de la « troisième période », et hop ! elle devient un « soulèvement révolutionnaire national contre l’impérialisme britannique ». Et, comme les déserts d’Arabie, les thèses écrites pour « prouver » cette affirmation sont sans fin. Mais qui dirige ce mouvement selon des lignes révolutionnaires nationales ? On ne nous le dit pas, car la discrétion est la meilleure alliée de la nouvelle ligne. Si une réponse était donnée, elle serait la suivante : le Grand Mufti, les panislamistes enragés, les Effendis, les seigneurs féodaux sont les dirigeants encore incontestés du mouvement qui a été enclenché.

Mais, dites-vous, la controverse tombe-t-elle ainsi ? Oui, c'est précisément pour cela que nous avons le tableau ahurissant des « trois thèses » du Comité politique et de son département agit-prop […] qui ne disent pas un mot de ces dirigeants réactionnaires des masses arabes – et les condamnent encore moins. La thèse du 3 septembre contient à sa conclusion neuf slogans, sans qu'un seul d'entre eux n'implique la nécessité de lutter contre ces éléments qui ne dirigeront jamais un mouvement révolutionnaire national ni ne lui permettront de se développer. La thèse du 7 septembre dit : « Nous devons souligner la distinction entre la bourgeoisie juive et les masses ouvrières juives exploitées et induites en erreur en Palestine. » Excellent ! Mais pourquoi ne parle-t-on pas de la « distinction » entre les fellahs arabes et leurs oppresseurs Effendis et Mukhtars ? Faut-il peut-être comprendre que le Grand Mufti est devenu le chef d’un « bloc des quatre classes » arabes, comme l’était avant lui Tchang Kaï-chek ? L’étendard vert de l’islam a-t-il remplacé le bleu du Kuo-Min-Tang ? Allons-nous assister à une nouvelle période d’exagération de l’essence du mouvement et de louanges chantées à la « bourgeoisie nationale révolutionnaire anti-impérialiste » jusqu’à décimer à nouveau une génération entière d’ouvriers et de paysans ? »


Max SHACHTMAN, Palestine – Pogrom ou Révolution ?, octobre 1929

« On n’a pas encore oublié, je pense, que, du temps de la Russie tsariste, l’antisémitisme était monnaie courante chez les paysans, la petite bourgeoisie des villes, l’intelligentsia et loi couches les plus arriérées de la classe ouvrière. La « Mère Russie » était célèbre non seulement par la répétition des pogroms contre les juifs, mais aussi pour l’existence d’une foule de publications antisémites qui bénéficiaient à l’époque d’une large diffusion. La révolution d’Octobre a aboli le statut de hors-la-loi qui stigmatisait les Juifs. Cela ne signifie cependant pas qu’il soit possible de balayer d’un seul coup l’antisémitisme. Une lutte longue et acharnée contre la religion n’a pas réussi à empêcher les fidèles de se presser en foule dans des milliers et des milliers d’églises, de mosquées et de synagogues. Il en est de même pour les préjugés nationaux. La législation à elle seule ne change pas les hommes. Leur mentalité, leur affectivité, sont conditionnées par la tradition, leur mode de vie, leur niveau culturel, etc. Le régime soviétique est âgé de vingt ans à peine. L’ancienne génération a été éduquée sous le régime tsariste. La nouvelle a beaucoup héritée de l’ancienne. Ces conditions historiques générales devraient faire comprendre à tous ceux qui réfléchissent qu’en dépit de la législation modèle de la révolution d’Octobre, il est impossible que les préjugés nationaux, le chauvinisme et surtout l’antisémitisme n’aient pas vigoureusement persisté dans les couches les plus arriérées de la population.

Mais ce n’est pas tout, il s’en faut. En réalité, le régime soviétique a déclenché toute une série de phénomènes nouveaux qui, du fait de la pauvreté et du bas niveau culturel de la population, étaient susceptibles de susciter à nouveau, et ont effectivement suscité des accès d’antisémitisme [...]

Un optimisme révolutionnaire sain n’a pas besoin d’illusions. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. C’est dans la réalité même qu’il faut trouver la force de surmonter ses aspects barbares et réactionnaires. Voilà la leçon du marxisme.

De soi-disant « pontifes » m’ont même accusé de soulever, « tout d’un coup », la question « juive » et de chercher ainsi à créer pour les Juifs une sorte de ghetto. Je ne puis que hausser les épaules avec pitié. Toute ma vie j’ai vécu en dehors des milieux juifs. J’ai toujours travaillé au sein du mouvement ouvrier russe. Ma langue maternelle est la langue russe. Je n’ai malheureusement même pas appris à lire la langue juive. Par conséquent, la question juive n’a jamais été au centre de mon attention. Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que j’aie le droit de rester aveugle devant le problème juif, qui existe et exige une solution. Les « amis de l’U.R.S.S. » se satisfont de la création du Birobidjan. Je ne m’arrêterai pas ici à considérer si on l’a établi sur des bases saines, ni quel type de régime on y trouve (le Birobidjan ne saurait éviter de refléter tous les vices du despotisme bureaucratique). Mais il n’est pas un seul progressiste doué d’entendement qui trouve à redire à l’attribution par l’U.R.S.S. d’un territoire particulier pour ceux de ses citoyens qui se considèrent comme juifs, qui utilisent la langue juive de préférence à toute autre, et qui souhaitent vivre ensemble. S’agit-il ou non d’un ghetto ? Pendant la période de la démocratie soviétique, quand les migrations étaient absolument volontaires, il n’était pas question de ghettos. Mais la question juive, par la façon même dont s’est réalisé l’établissement de colonies juives, prend une dimension internationale. N’est-il pas juste d’affirmer qu’une fédération socialiste mondiale se devrait de rendre possible la création d’un « Birobidjan » pour les Juifs qui souhaiteraient avoir leur propre république, pour théâtre de leur propre culture ? On peut présumer qu’une démocratie socialiste ne recourra pas à l’assimilation forcée. Il se peut très bien que, dans deux ou trois générations, les frontières d’une république juive indépendante, tout comme celles de bien d’autres nations, seront abolies. Je n’ai ni le temps ni le désir de méditer sur un tel sujet. Nos descendants sauront mieux que nous ce qu’ils auront à faire. Ce qui me préoccupe, c’est la période de transition au cours de laquelle la question juive, en tant que telle, se posera encore de façon aiguë et exigera des mesures appropriées de la part d’une fédération mondiale des États ouvriers. Les méthodes utilisées pour résoudre la question juive, qui, sous le capitalisme à son déclin, ont un caractère utopique et réactionnaire (le sionisme), prendront sous un régime de fédération socialiste une signification pleine et salutaire. »

Léon TROTSKY, Thermidor et l’antisémitisme, 22 février 1937


« Tous les travailleurs juifs d’Ukraine, ainsi que tous les autres travailleurs ukrainiens savent bien que le mouvement que j’ai guidé durant des années était un mouvement authentique de travailleurs révolutionnaires. Le mouvement n’a nullement cherché à séparer, sur des bases raciales, l’organisation pratique des travailleurs trompés, exploités et opprimés. Bien au contraire, il a voulu les unir en une toute puissance révolutionnaire, capable d’agir contre leur oppresseurs, en particulier contre les dénikiens profondément pénétrés d’antisémitisme. Le mouvement ne s’est jamais occupé d’accomplir des pogroms contre les juifs et ne les a jamais encouragés. En outre, il y a de nombreux travailleurs juifs au sein de l’avant garde du mouvement révolutionnaire d’Ukraine (makhnoviste). Par exemple, le régiment d’infanterie de Gouliaï-Polié comprenait une compagnie exclusivement composée de deux cents travailleurs juifs. Il y a aussi eu une batterie de quatre pièces d’artillerie dont les servants et l’unité de protection, commandant compris étaient tous juifs. Il y a eu également de nombreux travailleurs juifs dans le mouvement makhnoviste qui, pour des raisons personnelles, préférèrent se fondre dans les unités combattantes révolutionnaires mixtes. Ce furent tous des combattants libres, engagés volontaires qui ont lutté honnêtement pour l’œuvre commune des travailleurs. Ces combattants anonymes possédaient leurs représentants au sein des organes économique de ravitaillement de toute l’armée. Tout cela peut être vérifié dans la région de Gouliaï-Polié parmi les colonies et les villages juifs.

Tous ces travailleurs juifs insurgés se sont trouvés sous mon commandement durant une longue période, non pas quelques jours ou mois, mais durant des années entières. Ce sont tous des témoins de la façon dont moi, l’État-major et l’armée entière, nous nous sommes portés à l’égard de l’antisémitisme et des pogroms qu’il inspirait.

Toute tentatives de pogroms ou de pillage fut, chez nous étouffée dans l’œuf. Ceux qui se rendirent coupables de tels actes furent toujours fusillés sur les lieux de leurs forfaits. Il en fut ainsi, par exemple, en mai 1919, lorsque les insurgés paysans de Novo-Ouspénovka, ayant quitté le front pour se reposer à l’arrière, découvrirent à proximité d’une colonie juive deux cadavres décomposés, puis les ayant pris pour des insurgés assassinés par les membres de cette colonie juive, s’en prirent à elle et tuèrent une trentaine de ses habitants. Le jour même, mon État-major envoya une commission d’enquête dans cette colonie. Elle découvrit les traces de auteurs de la tuerie. J’envoyai immédiatement un détachement spécial dans ce village pur les arrêter. Les responsables de cette attaque contre la colonie juive, à savoir six personnes dont le commissaire bolchevik de district, furent tous fusillés le 13 mai 1919.

Il fut de même en juillet 1919, lorsque je me retrouvais pris entre deux feux par Dénikine et Trotsky - lequel prophétisait à ce moment dans son parti qu’il valait mieux livrer toute l’Ukraine à Dénikine que de donner la possibilité à la makhnovchtchina de se développer - et qu’il me fallut passer sur la rive droite du Dniepr. Je rencontrai alors le fameux Grigoriev, ataman de la région de Kherson. Induit en erreur par les bruits stupides qui circulaient sur moi et le mouvement insurrectionnel, Grigoriev voulut conclure une alliance avec moi et mon État-major, en vue de mener une lutte contre Dénikine et le bolcheviks.

Les pourparlers commencèrent sous condition de ma part que l’ataman Grigoriev fournisse, dans un délai de deux semaines, à mon état-major et au soviet de l’armée insurrectionnelle révolutionnaire d’Ukraine makhnoviste, des documents prouvant que tous les bruits qui couraient sur les pogroms commis par lui à deux ou trois reprises à Elisabethgrad étaient dénués de tout fondement, étant donné que, faute de temps, je ne pouvais en vérifier moi-même la véracité.

Cette condition fit méditer Grigoriev puis, en militaire et bon stratège, il donna tout de même son accord. Pour me prouver qu’en aucun cas il ne pouvait être pogromeur, il se recommanda de la présence auprès de lui d’un représentant ukrainien du parti Socialiste Révolutionnaire. Ensuite, tout en m’accusant d’avoir lancé un « appel » contre lui, au nom de mon État-major, où il avait été dénoncé comme ennemi de la révolution, pour démontrer sa bonne foi, Grigoriev me présenta plusieurs représentants politiques qui se trouvaient auprès de lui : Nicolas Kopornitsky, du parti Socialiste Révolutionnaire ukrainien.

Cela se passait au moment où je me trouvait dans les parages d’Elisabethgrad avec mon principal détachement de combat. J’estimais de mon devoir de révolutionnaire de profiter de cette circonstance pour élucider moi-même ce que l’ataman Grigoriev avait bien pu commettre lorqu’il avait occupé cette ville. Simultanément, des agents dénikiens interceptés m’apprirent que Grigoriev préparait à l’insu des travailleurs de Kherson, la coordination de ses mouvements avec l’État-major dénikien, en vue de cette lutte commune contre les bolcheviks.

J’appris des habitants d’Elisabethgrad et des villages avoisinants, ainsi que de partisans des unités de Grigoriev, qu’à chaque fois qu’il avait occupé la ville, des juifs y avaient été massacrés. En sa présence et, sur son ordre, ses partisans avaient assassiné près de deux milles juifs, dans la fleur de la jeunesse juive : de nombreux membres des jeunesses anarchistes, bolchéviques et socialistes. Certains d’entre eux avaient même été extraits de prisons pour être abattus.

Apprenant tout cela, je déclarai immédiatement Grigoriev l’ataman de Kherson - Socialiste révolutionnaire entre guillemets - agent de Dénikine et pogromeur public, directement responsable des actes de ses partisan contre les juifs.

Lors du meeting de Sentovo, le 27 juillet, Grigoriev fut présenté comme tel et exécuté sur place aux yeux de tous. Cette exécution et ses motifs ont été consigné comme suit : « Le pogromeur Grigoriev a été exécuté par les responsables makhnovistes : Batko Makhno, Sémion Karétnik et Alexis Tchoubenko. Le mouvement makhnoviste prend entièrement sur lui la responsabilité de cet acte devant l’histoire. » Ce protocole a été cosigné par les membres de l’armée insurrectionnelle et les représentant du parti Socialiste Révolutionnaire, dont Nicolas Kopornitsky.

C’est ainsi que je me suis toujours comporté envers ceux qui avaient commis des pogroms ou qui étaient en train d’en préparer. »

Nestor MAKHNO, La makhnovchtchina et l’antisémitisme, 1927

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