Nous venons de publier une note de lecture : Algues vertes, L’histoire interdite
Note de lecture de l'ouvrage de Maurice Bologne
L'insurrection prolétarienne de 1830 en Belgique
Auteur : Maurice Bologne (1900-1984) est le fondateur de la Société historique pour la Défense et l'Illustration de la Wallonie (1938) qui devient l'Institut Jules Destrée en 1960.
Première édition en 1929. Rééditions en français* chez ADEN éditions en 2005, 180 pages. Avec les textes d’Émile Vandervelde, José Fontaine, Robert Devleeshouwer, Guy Desolre.
L'intérêt de ce court ouvrage, qui était pour ainsi dire tombé dans l'oubli, est de mettre en évidence que ce sont bien les luttes de classe qui font avancer l'Histoire. Il démontre que c'est par des moyens révolutionnaires que l'on obtient des réformes et que le véritable pouvoir de changement est le prolétariat en lutte. Le pouvoir bourgeois ne prenant des mesures décisives que sous la pression de celui-ci. En effet, l'agitation constitutionnelle de la bourgeoisie des provinces belges du Royaume uni des Pays-Bas n'allait pas tarder à déclencher l'agitation révolutionnaire d'un prolétariat en proie aux pires privations. Misère, chômage, et même la famine touchaient au plus haut point les masses, tandis que le camp bourgeois à cette époque était relativement prospère et n'avait donc plus guère de griefs sérieux à formuler à l'orangisme hollandais. Il faut dire que le roi avait fait en sorte de satisfaire les réclamations d'ordre économique de la bourgeoisie méridionale du royaume. C'est ainsi qu'à la veille des troubles d'août et septembre 1830 les griefs portés par elle n'étaient plus que d'ordre politique et pouvaient aboutir à une résolution constitutionnelle, c'est-à-dire par les voies légales. À l'opposé, les revendications portées par le prolétariat étaient des plus sérieuses. Celui-ci se faisait d'ailleurs de plus en plus menaçant. Juillet 1830 : la révolution éclate à Paris (les Trois Glorieuses) et il ne fallut pas longtemps pour qu'elle résonnât dans le cœur de la pauvreté irrésignée de Belgique. L'émeute puis l’insurrection s'attaquèrent aux symboles de la domination hollandaise ainsi qu'au capitalisme, en détruisant de nombreuses machines (considérées comme la cause du chômage) dans les industries. Le caractère social de ces événements est ici évident et d'ailleurs ils s'inscrivent dans le prolongement de la lame de fond révolutionnaire ayant touché l'Europe en cette année 1830. La bourgeoisie, largement dépassée par le cours des événements, prit peur et forma une Garde bourgeoise dirigé par Emmanuel d'Hoogvorst et destinée à protéger ce qu'elle considérait comme ses intérêts. La défense de la propriété des moyens de production passait largement avant les considérations indépendantistes. Par voie de conséquence, cette garde tenta de sauver du naufrage le royaume des Pays-Bas. Toute l'action de la Garde bourgeoise était contre-révolutionnaire : que ce soit par la force ou encore par la duplicité, son but principal était de rétablir l'ordre. De ces événements, il ressort que les princes Guillaume et Frédéric d'Orange ainsi que le roi n'étaient pas d'une très grande clairvoyance et avaient une attitude pour le moins équivoque ; eux qui comprirent très mal que les « concessions » accordées par la bourgeoisie aux masses révoltées avaient pour objectif de les calmer et ceci afin de sauver le royaume du désastre. Le prolétariat exaspéré ne décolèra pas et se radicalisa encore plus. Il ne tarda pas à désarmer la Garde bourgeoise. Acculée, cette dernière demanda l'aide aux troupes de Guillaume Ier. Après de violents combats, elles furent finalement repoussées par la plèbe fermement décidée à lutter jusqu'au bout. À la suite de cette victoire, les chefs bourgeois, dont certains avaient lâchement fuit à l'étranger, revinrent au pays et formèrent ce que M. Bologne nomme le « coup d’État des chefs bourgeois » : la commission administrative qui devint par la suite le gouvernement provisoire. La présence hollandaise était devenue définitivement indésirable. Le 04 octobre l'indépendance des provinces belges fut proclamée.
Pour schématiser quelque peu le propos, citons l'auteur au sujet de la révolution :
- Elle débute par une émeute de la classe ouvrière qu'un état de misère profonde a exaspérée et par la riposte de la bourgeoisie qui crée une garde d'auto-protection pour suppléer à l'incurie gouvernementale.
- Elle continue par une lutte armée entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, avec le désarmement de cette dernière comme aboutissement.
- Elle se termine par un coup d’État d'éléments démocrates qui s'emparent de la révolution à leur profit et partagent le pouvoir avec les anciens chefs de la garde bourgeoise.1
Quelques remarques.
Ainsi, 1830 marque officiellement en Belgique l'intrusion du prolétariat sur la scène historique. Son relatif échec étant l'expression de son immaturité à ce moment donné de son développement. Le contenu social de cette révolution est largement ignoré, n'ayant de fait guère laissé d'engramme prégnant dans le logiciel de la mémoire collective, et ce faisant, laissant place aux seuls considérations régionalistes qui, certes existaient, mais la primauté de celles-ci n'était pas aussi évidente que le mythe national tend à en rendre compte. Le maintien du vote censitaire jusqu'en 18932 démontre largement que les exploités dans leur ensemble ont été faussement attirés vers le jeu institutionnel et donc privés de leur révolution. Il est donc évident que l'on peut suivre M. Bologne lorsqu'il dit que les acquis de la révolution furent confisqués au prolétariat. Toutefois, cela va sans dire, sa thèse n'évite pas certains écueils comme celui de présenter le mot d'ordre de Louis De Potter « liberté pour tous ! Égalité de tous devant le pouvoir suprême, la Nation ! devant sa volonté, la Loi ! Peuple! Ce que nous sommes, nous le sommes par vous ; ce que nous ferons, nous le ferons pour vous.3» comme un mot d'ordre révolutionnaire... La nation ? Les prolétaires n'ont pas de patrie ! L'idéal porté par De Potter est l'idéal bourgeois républicain, ni plus ni moins. Même dans le cas ou De Potter aurait été suivi au sein du gouvernement, les masses auraient tout autant été dépossédées de leur révolution, mais cela aurait été moins flagrant. D'ailleurs, l'auteur reconnaît que De Potter était un bourgeois « Il (le prolétariat) mettait surtout sa confiance dans la bourgeoisie démocrate dont les leaders étaient le républicain libéral De Potter4 ». Ou encore dans ce passage « Cette nouvelle fut connue par le peuple le 2 septembre. Il repoussa la temporisation et exigea des actes immédiats. Il se porta au Palais du Prince aux cris de : «A bas les traîtres ! A bas les Hollandais5 ! » au cours duquel ressortent clairement des aspirations nationalistes venant des masses. En effet, à la lecture des faits exposés dans l'ouvrage, aucune tentative de solidarité venant des prolétaires des provinces belges envers ceux des provinces hollandaise n'a été tentée, ce qui bien sûr ne signifie pas qu'il n'y en ai pas eu d'autant plus que l'ouvrage se concentre principalement sur les événements ayant eu lieu à Bruxelles. Mais de toute évidence, ces tentatives étaient minoritaires.Soulignons aussi que cet ouvrage a été rédigé à la veille du centenaire de 1830, et qu'à l'époqueil ne faisait plus guère de doute que la pseudo représentation ouvrière s'opposait systématiquement aux travailleurs révolutionnaires luttant contre le capitalisme de manière conséquente (alors un bourgeois républicain imaginons...). Le fait que l'illusion nationaliste républicaine ne soit pas signalée est en soit révélateur... Ce faisant, en filigrane, est laissé entendre que l’État peut représenter les travailleurs à condition d'y mettre les bonnes personnes (entendre des « socialistes »). Ceci n'était clair qu'à ceux ne souffrant pas d'une inquiétante et très souvent malhonnête cécité dans cette période charnière entre les deux boucheries mondiales. L'auteur souligne qu'il aurait été bénéfique pour le prolétariat d'obtenir de facto le suffrage universel, mais à aucun moment ce droit n'est révélateur du niveau de la lutte des classes engagé. Au final, on se rend compte que la ferveur populaire s'étant d'abord dirigée vers le capitalisme, elle finit par se tourner presque essentiellement contre Guillaume Ier personnifié en tant que responsable de tous les maux et par la suite arriva l’indépendance. Le « coup d'état des chefs bourgeois » ne déclencha d'ailleurs pas de soubresaut conséquent du prolétariat.
Notes :
[1] page 103
[2] Nous avons déjà parlé brièvement du suffrage censitaire, plural et universel en Belgique dans ce tract distribué à Namur à l'occasion du carnaval électoral de mai 2014 :
http://garap.org/communiques/communique27.php
[3] page 102
[4] page 58
[5] page 82
* Le livre de Maurice Bologne a été d'abord réédité en néerlandais aux éditions Kritak, en 1979 . Maurice Bologne, De proletarische Opstand van 1830 in België, KRITAK, Leuven, 1979. Postface de G.Gale et G. Vanzieleghem.