Note de lecture de l'ouvrage de Max Holtz
Un rebelle dans la révolution, Allemagne 1918-1921
Traduit, présenté et annoté par Serge Cosseron
Editions Spartacus, 1988, 214p.
MAX HOLZ, ANTI-HEROS, PROLÉTAIRE AUTHENTIQUE, ANIMATEUR ET COMBATTANT DANS LA LUTTE RÉVOLUTIONNAIRE
Une chose est certaine : cette autobiographie est à conseiller aux collégiens et lycéens à la fois pour l’acquisition de connaissances sur les premières années de guerre civile en Europe (1914-1921 sur la période 1914-1945) ainsi que pour la rage positive d’un prolétaire identifiant le capital comme rapport social à abolir. Il faut dire que le bourrage de crâne opéré par la bourgeoisie afin de raconter sa version de l’Histoire procède d’une manipulation idéologique caractérisée. Devant les récits décrivant la boucherie de millions d’hommes qui s’entretuent alors qu’ils ne se connaissent même pas (l’internationale du carnage de la bourgeoisie : travailleurs de tous les pays entretuez-vous!), il n’y a guère de choix : soit on se rêve en super-soldat prêt à tout fracasser au nom de la nation, soit on devient pacifiste suppliant à la fin des conflits dans le monde. Bref, dans cette société, nous n’avons d’autre rôle autorisé que celui de soutenir l’ordre social d’une façon ou d’une autre ; il convient par conséquent de procéder à un saut qualitatif.
On reste cependant en peine de trouver des récits autobiographiques d’hommes ou de femmes ayant été transformés positivement lors des premières destructions massives de prolétaires mises en branle par la bourgeoisie. Positivement signifie bien sûr : prendre conscience de sa position sociale dans la société, caractériser cette société en classes, identifier la bourgeoisie et mettre en oeuvre le processus théorico-pratique qui va abolir le vieux monde.
Il faut bien le dire aussi, la lutte des classes est très souvent avare de noms de révolutionnaires. Il y a la censure d’une part ; d’autre part, aux actes de bravoures maquillant le plus souvent des facettes peu glorieuses, se figent les idoles et, à travers la répétition des mêmes histoires héroïques, l'innocuité s’imprime au fil du temps.
Max Holz, par sa propre transformation, déglingue d’avance toute tentative de récupération héroïque, tout symbolisme et idolâtrie (les bureaucrates s’appliqueront à récupérer ses exploits pour alimenter leur fond de commerce, ils ne parviendront jamais complètement et durablement à maîtriser la foudre). Par sa détermination, sa volonté d’abolir le capitalisme, son honnêteté et sa sincérité, Holz fait indéniablement référence dans le prolétariat. Non qu’il soit un héros, il est au contraire un anti-héros, abattant les idéaux et autres illusions gribouillées, rendant accessible la mise en mouvement du processus révolutionnaire auprès de chaque prolétaire.
Le journal de combat de Holz nous fournit de nombreuses informations.
Tout d’abord sur sa transformation, sa révolution. Ce sont bien les conditions historiques qui le transforment et sur lesquelles il va agir.
- Il est issu d’un milieu pauvre et croyant dans lequel les rôles dans la société sont distribués sans qu’il n’y ait rien à y redire ;
- Il décrit ses premiers pas en tant que prolétaire pour tenter d’échapper à l’indigence ;
- Son expérience de la Première Guerre Mondiale côtoyant non seulement les horreurs mais aussi l'indicible injustice qu’imprime une bourgeoisie galonnée sur les combattants lui fait perdre définitivement toute croyance en un dieu quelconque ;
- Sa rencontre avec les idées socialistes et les possibilités d’un monde sans classe finit de renvoyer les âneries religieuses dans les poubelles de l’histoire. Toujours resservie, on notera que la religion reste un engin de fouille intime dont l’utilisation plus ou moins prononcée sert à vanter une singularité identitaire afin d’y coller une marchandise spécifique (et donc indiscutable) ; stratagème pour faire consommer de la camelote au rabais et pousser le prolétariat dans des prises de tête interminables, quand ce n’est pas pour le conduire au massacre.
«En tant que soldat, j’essayais de faire mon devoir, mais je doutais de plus en plus sérieusement que tout ce que l’on exigeait de moi fût en accord avec les principes fondamentaux d’une véritable humanité. A la vue de soldats anglais morts ou prisonniers, je pensais que beaucoup de gens en Angleterre m’avaient aidé. Je trouvais difficilement une porte de sortie au labyrinthe de mes interrogations. Une fois le doute installé dans mes idées religieuses, je devais recommencer à réfléchir sur toutes les questions (...) J’avais une peur épouvantable de la mutilation. Surtout, ne pas rester allongé pendant des heures et crier! Je priais plein d’une ardeur désespérée pour avoir une mort rapide...C’était ma dernière prière. Je perdis mes dernières illusions religieuses au bout de ces terribles heures.»
Développer l’intelligence prolétarienne. Holz le reconnaît lui-même, il n’a pas beaucoup lu, faute de temps. Mais en entrant de plein pieds dans la révolution, il est confronté à la pratique révolutionnaire et à la création de situations aptes à mettre en mouvement le prolétariat. De la mise en place de conseils ouvriers, de conseils de chômeurs, de la prise de parole auprès des travailleurs, de la mise en place d’une armée prolétarienne, Max Holz élabore différentes stratégies et tactiques en fonction des réalités auxquelles il est confronté. Il parvient ainsi à plusieurs reprises à échapper aux policiers comme à libérer des camarades emprisonnés. Nombreux sont les épisodes fantastiques qui parsèment son parcours. Il use de détermination, de culot. Et face à tout son arsenal qui n’a, en fait, absolument rien d'extraordinaire, la bourgeoisie est totalement décontenancée jusqu’à être déséquilibrée.
Bien entendu, Max Holz n’est pas seul. Il est aidé, régulièrement entouré par de nombreux camarades ; parfois les mêmes durant des années, parfois de façon éphémère pour échapper à la police. Nombreux sont les communistes à faire partie de ce mouvement en passe d’abolir l’ordre existant. Nombreuses sont les situations que Max crée et à partir desquelles il peut sortir tout en protégeant ses camarades. Doté d’une solide expérience de la vie, il a la lucidité et le souci de ne pas envoyer de compagnons «au casse-pipe».
Néanmoins, Max Holz détient sans doute un triste, mais pas surprenant record : celui de réceptacle à calomnie. Du côté de ses détracteurs bourgeois cela va sans dire mais aussi et en premier lieu de la part de certains «camarades» qui l’ont aidé un temps puis lâchent sur lui de faux témoignages, le salissent mettant sa vie en danger ; ensuite, parmi les succursales de représentation du prolétariat chez qui Holz fait un plus ou moins long séjour : USPD, KPD voire le KAPD. Holz n’est guère aidé du côté des appareils et c’est peu dire. En plein combat, lorsqu’il envoie quotidiennement des courriers aux responsables des partis communistes, il n’a pas de retour. Ces organisations se trouvent incapables de prendre des décisions révolutionnaires et laissent Holz et quelques autres se débattre avec les troupes formées d’ouvriers-soldats. Holz est un type sincère et honnête, il agit pour la révolution prolétarienne mondiale. Il se met donc au service des partis révolutionnaires. Mais ceux-ci, en plus de lui fournir une aide logistique fantomatique, vont tenter de récupérer son image une fois qu’il sera en prison. C’est en usant de tactiques diverses, en s’appuyant sur tel ou tel parti, tel ou tel avocat que Holz, toujours combatif, finit pas s’extirper des geôles du capital.
Holz n’est ni un électron-libre ni un «indépendant»1 ni «sans responsabilités»2, ultimes calomnies qui tendraient à travestir tout prolétaire révolutionnaire en véritable taré prêt à trucider le premier qui lui dirait un mot de travers. Holz n’est pas indépendant, c’est un prolétaire autonome, un authentique révolutionnaire. Il fait attention aux autres camarades, la fraternité prolétarienne est très importante. Pour lui, la vie est précieuse (contrairement à ses ennemis, pour lesquels la terreur sur le vivant est l’arme de soumission la plus efficace), il prend à ce titre pleinement ses responsabilités sociales. Il est un homme d’organisation (en tant que corps vivace) contrairement à ce qu’affirme Serge Cosseron3 ; Holz organise des conseils, des troupes, il organise à son échelle le mouvement d’abolition du vieux monde. Rien d’étonnant à ce que les appareils n’aient véritablement pu se saisir de lui. Ils choisiront de taire sa mémoire plutôt que susciter l’autonomie prolétarienne, l’ennemie du monde bourgeois et de ses rejetons. Il incarne la négation de la bureaucratie comme toutes les autres saloperies idéologiques que la bourgeoisie met sur le chemin de chaque révolutionnaire authentique : la religion, la démocratie bourgeoise, le socialisme jusqu’au conseillisme.
Dans cette autobiographie on mesure un peu mieux le poids des organisations de masses de cette période notamment à travers la « gestion » des conseils ouvriers. En effet, le récit de Holz donne un coup de projecteur sur ces formes d’organisations et on ne peut manquer de s’interroger sur le rôle pratique d’une ultra gauche répétant durant des décennies, jusqu’à aujourd’hui, la pertinence de cette forme d’organisation rigidifiée et dévolue à la gestion d’un salariat amélioré. Les conseils ouvriers devaient être l’apanage de l’accession à l’émancipation des travailleurs mais dans la réalité, le poids des appareils en a paralysé la plupart, cloîtrant les ouvriers dans les usines tout en envoyant des ordres contradictoires propulsant le prolétariat vers d'inexorables défaites (à force d’attendre des ordres, on finit toujours par recevoir des balles). Les conseils ne peuvent être figés, cantonnés aux murs des usines et Holz a très bien compris (lui comme d’autres) que les conseils formaient un moyen d’étendre la lutte depuis l’usine, vers les quartiers vers les autres prolétaires, vers le reste du territoire afin d’occuper et de reprendre tout ce que la bourgeoisie avait accaparé. C’est pour cette raison qu’il organise la mise en mouvement (seul gage d’une autonomie authentique susceptible de fournir des prolétaires déterminés) : il monte des conseils d’ouvriers et soldats, des conseils de chômeurs et il réussit à coordonner ces groupes : «J’étais toujours prêt à me mettre en contact avec les autres groupes et j’y suis toujours parvenu»4. Ses entreprises sont régulièrement contrariées par les bureaucrates tergiversant entre le parlementarisme, les ordres du Komintern, la sauvegarde de l’URSS, la lutte révolutionnaire.
Les directions politiques communistes ont été soit complètement absentes, soit paralysantes. En s’enveloppant du drapeau rouge, le capital jetait la confusion sur des organisations dans l’incapacité de mener complètement la dialectique marxienne alors que sur le terrain de classe des camarades s’engageaient dans une praxis décisive. Par conséquent, que faisait la gauche-communiste ? Les ouvriers devaient-ils rester dans les usines, prendre le contrôle de la gestion de la production et autogérer celle-ci comme elle le préconisait ou bien devaient-ils abolir le salariat? Que devenaient ces analyses pertinentes5 révélant par la suite une stérilité pesante face aux phases de développement du capital?6
Holz et ses camarades avaient besoin d’écho à leurs actions, besoin de trouver un dynamisme et une détermination. Les grandes tirades théoriques ne leur furent d’aucune utilité. Max Holz fut exécuté par la Russie stalinienne non sans avoir une nouvelle fois combattu. Seule, cette inespérée souricière parvint à stopper momentanément le mouvement d’abolition des classes. Holz n’est pas une victime mais un combattant.
«Pour moi, la dignité bourgeoise, c’est l’art de vivre du travail des autres. ça signifie : le monocle à l’oeil, le ventre plein et la tête vide. Pour moi, il n’y a que l’honneur prolétarien et vous ne pouvez pas me l’enlever. La dignité prolétarienne c’est la solidarité de tous les exploités. Cela signifie que l’on prend parti pour ses camarades de classe et que l’on combat en agissant»7.
Notes :
[1] Un rebelle dans la révolution, p.211
[2] ibid., p.208
[3] ibid., p.211
[4] ibid., p.152
[5] KORSCH, MATTICK, PANNEKOEK, RUHLE, WAGNER, La contre-révolution bureaucratique, Union Générale d'Editions, 1973, 312p.
[6] la gauche germano-hollandaise ne cite jamais Holz ni d’autres camarades comme lui, pourquoi ?
[7] Un rebelle dans la révolution, p.187