Témoignage d’un syndiqué de la Fédération CGT Commerce

Communiqué n°71 - Novembre 2018

Mon engagement syndical

De base, je me suis dit : je rentre dans un syndicat parce que c’est mieux pour faire opposition à la direction [du magasin où je travaille] qui, elle, est déjà organisée […] Ça, c’est le bon côté des choses… et après, tu découvres le deuxième effet kiss cool […] : les guéguerres entre syndicats. Il y a des philosophies différentes […] Moi je suis à la CGT, selon moi ils se bougent un peu plus là où je travaille. Sûrement aussi parce que comme toujours, ce qui fait la force d’un syndicat, ce sont ses militants, ses syndiqués. Au boulot, il y a des collègues qui sont plutôt militants […] ils [ont] des convictions politiques et personnelles. Ils veulent un changement de la société, tout ça… Donc ça […] donne envie de les imiter. Du moins, ça m’inspire et je me dis « ouais, je ne suis pas tout seul à vouloir faire des choses, à changer les choses pour que ça aille mieux ». Et, ça, ça change tout de tomber sur des collègues, qui t’expliquent les choses, les mettent en perspective, c’est-à-dire qu’il y a la lutte des classes, qu’il y a le patronat, que ce dernier a ses objectifs qui sont pas du tout ceux des employés […] ce qui rejoint ce que je pense. Mais il y a des employés qui pensent que le patron n’est pas au courant ou qu’il s’y prend mal, donc beaucoup de gens naïfs sur le Travail, sur le rapport entre employés et Direction. Ils te disent « la direction, elle ne sait pas » ou « la Direction, elle sait, mais ce n’est peut-être pas voulu », ils sont donc bien souvent, pour les moins conscients, les premiers avocats à leur insu de la Direction, celle-là même qui leur fout la misère au quotidien.

Donc, petit à petit, je découvre l’envers du monde du travail, le côté « négociation » – ou plutôt prise de tête, prise de bec, l'avalage de couleuvres – avec la direction, leurs plans décidés par le siège, et nous on subit tout, tous ces soi-disant projets ou plans « bien pensés » pour le terrain mais jamais sans nous consulter, nous qui sommes toujours sur le terrain… pas moyen d'y échapper, de tortiller, et l'encadrement, il applique aveuglément. Même les « sous-chefs » se lancent dans le délire, parce qu’ils [l’encadrement] sont payés pour ça et – qu'ils aiment ou pas – y a pas le choix ! Qu'ils nous disent... Par conséquent, nous, au syndicat, quelque part, ce qu'on fait, c’est de limiter la casse, parce qu’on n'a pas forcément le rapport de force, parce que les collègues sont apathiques, parce qu’ils en ont rien à faire, parce qu’ils sont pas au courant, parce que, quand tu leur parles de ces problèmes, forcément c’est anxiogène et – vu la conjoncture économique actuelle – quand t’as un boulot, t’es content d’en avoir un et il vaut mieux pas que tu fasses de vagues. Et puis, sois content de ton sort, il y a pire… il y a toujours pire mais, si beaucoup de collègues sont à 1000 % d’accord avec ce que tu dis en grande majorité, la peur, la terreur patronale, la lâcheté, le jemenfoutisme feront qu'à part ceux qui ont pris conscience et sont assez fous pour faire preuve d'un peu de courage, il n'y a généralement pas grand monde à se battre.

T’es pas à temps plein et tu veux obtenir un temps plein ? Fais pas de vagues et bosses bien ! Beaucoup d’employés préfèrent avoir des bons rapports avec la direction, le management, pour pouvoir, plus tard, bénéficier de certaines choses. Ça, c’est ce qu’ils disent. C’est ce qu’ils pensent. Mais, généralement, très vite ils déchantent quand ils comprennent que les collègues partis en retraite ne seront pas remplacés, quand on travaille à flux tendu, que c'est la merde dans tous les services. Et là, ils me disent « Ouais, j’ai fait des heures sup’, j’ai dit ‘oui’ à plein de choses et, au final… ». Sur pleins de sujets, ils se font enfler… mais ça ne les empêche pas, de continuer à dire « oui »… seulement, ce n'est plus de façon aussi volontariste qu’avant […] Il y a une différence dans le discours, dans le ton mais, dans les faits, rien ne change. Par contre, ça râle, qu'est-ce que ça râle...

La réunion à Marseille (janvier 2018)

C’est dans ce climat-là que j’ai découvert le monde du syndicalisme et de la représentation des employés. Et, finalement, ce qui me fait dire que c’est du pareil au même dans le syndicat, c’est que l'on [le syndicat] est organisé en fonction des branches [professionnelles] – moi, je suis dans la branche grande distribution, avec les hypermarchés. Tous les ans, on se réunit avec les autres camarades représentants. Ils appellent ça les préparations NAO : préparations aux négociations annuelles obligatoires. On se voit pour discuter, pour préparer ce qu’on va dire à la direction sur ce que nous on veut – ou on ne veut pas –, ce qu’on propose… Et eux [la direction de Carrefour], forcément, ils ont déjà prévu leur truc en disant « Nous, cette année, on va vous augmenter de 1% ou de 0,5% » car les chiffres ne sont pas bons, la concurrence est horrible, qu'est-ce qu'on souffre – ce ne sont que des exemples. Puis après, ils nous balancent « on a ça comme plan à vous proposer… ».

Pour coordonner tout ce beau monde, car nous sommes très nombreux, on désigne par vote une délégation nationale composée d'un bureau avec un secrétaire national, etc… en gros, des types comme toi et moi, des collègues, en somme pour faire le boulot qu'on fait à un niveau moindre […]

Ces prépa NAO, j’y suis allé plusieurs fois. [Jusqu’à présent], il y avait une bonne ambiance avec des collègues des autres magasins, on échangeait sur plein de choses.

Malgré le grand nombre, tu découvres que les autres ont les mêmes soucis que toi, voire pire… Tu te sens moins seul… Ça c’est important quand tu as l'impression d'être seul au monde à combattre. Seulement, cette année, des camarades du ‘national’ [de la délégation nationale] nous disent : « Il y a des choses qui ne se font pas très démocratiquement, des décisions qui sont prises alors que vous n’en êtes pas informés, vous, la base dans les magasins… et, nous, ça ne nous paraît pas normal. On tient à vous le dire et on n’est pas en accord avec le reste des camarades de la délégation nationale.»

Donc, nous, les délégués, les simples représentants des magasins, on se dit « Ok, allons voir ce qu’il en est, et puis mieux vaut en discuter devant tout le monde à la réunion… Voir ce que tout le monde en dira. »

Eh bien, on a été trop naïfs puisque, arrivés à la salle […], le ton a commencé à monter, il y a des choses qui n’ont pas été faites démocratiquement, ce n'est pas notre fonctionnement… comment ça se fait ?

On attendait juste des explications, pas vraiment des comptes […] On demandait d’expliquer comment ça se fait que les représentants au niveau national ont pris quelques libertés par rapport aux textes statutaires de l'organisation sans en informer la base des militants.

Et là, finalement, il y en a qui ont tombé le masque et qui ont commencé à dire « on n’est pas au congrès [du syndicat], on est là pour discuter des négociations [annuelles obligatoires] habituelles ». Et il se trouve que le climat social dans [l]a boîte est très mauvais, puisqu’il y a des plans de départs. Tout simplement puisque la boîte veut peser plus à l’international donc, par rapport aux actionnaires à l’international, il faut qu’ils prouvent qu’ils ont les reins suffisamment solides, donc ça veut dire qu’il faut qu’ils soient riches. Et comment faire pour que l'action remonte à la bourse ? Eh bien, en utilisant la « variable d'ajustement » : les employés. Du coup, ça licencie à tout va, ça revend les branches les moins rentables. Les employés paient toujours les décisions stratégiques – façon « boule magique » – des pédégés.

Donc, il y a ces voix qui s’élèvent pour dire « On n’est pas là pour faire un congrès, on est là pour discuter ce plan [social]. Si vous avez des états d’âme parce que ce n’est pas assez démocratique pour vous, parce qu’on n’a pas eu le temps d'en discuter plus longuement en amont, ou parce qu’il n’y a pas d’ordre du jour… » Eh bien, on s’en fout ! Ça, c’est l’interprétation que j'en fais. C’est comme ça que je l’ai ressenti là-bas. Bref, comme l'a si joliment balancé un des camarades du « national » de la CGT : « tu te soumet ou tu te casses ! »... et on avait juste abordé des petits ratés de surface, on n’avait pas encore abordé les sujets de fond !

Il y en a qui n’en avaient rien à foutre de tout ça, du côté démocratique des choses, des modalités… Il fallait que ça passe vite et que ça se fasse vite. Car, après, ‘faut comprendre, on s'est pas tapé des centaines de kilomètres pour rien, on va bouffer, on va boire ! Et puis, après la réunion, tu discutes de choses beaucoup plus légères, moins lourdes socialement et syndicalement parlant… tu comprends, quoi !

Le premier jour des prépas NAO donc, en fin de matinée, j’entends des camarades qui commencent à vraiment hausser le ton, je lève la tête […] et je vois le secrétaire national qui se lève pour aller casser la gueule à un autre camarade du national. Genre, le mec se lève carrément et il y va, poings serrés, etc. on l'arrête, on le ceinture, [certains lui balancent] : « Nan nan, ne fais pas de connerie », etc.

Tout ça parce le camarade lui a sorti, lors des échanges, « de toute façon, tu t'en fous, tu as déjà réservé ta place à la fédération ! »

Le syndicat, du moins pour la CGT, est organisé en différents niveaux. Il y a le local, le départemental ou régional, le national, le fédéral et le confédéral. Le camarade « chafoin » ou chieur (au choix) reprochait [au secrétaire] (ainsi qu'à ceux qui le suivaient) son changement d'attitude soudain vis-à-vis de la fédération du commerce CGT, qui grosso modo prêche que, la CGT, c'est nous les meilleurs, c'est nous les seuls à vraiment nous battre et les autres – surtout FO – ce ne sont que des putains de traîtres !!! 

Le camarade lui disait : « Pourtant, ça fait des années qu’on lui tape dessus [sur la fédération du Commerce], qu’on dit qu’ils ne font pas les choses, qu’ils ne se manifestent que quand il y a des élections, que lorsqu'il y a les médias… et puis après, qu'on ne voit plus personne. Et les mecs ils ont beaucoup d’argent, ils ont les moyens. Ils font un peu ce qu’ils veulent et personne ne les attaque parce qu’ils ont le bras long. Et, ce coup-ci, c’est bizarre, tu ne les attaques pas, et tu fais le même raisonnement qu’eux. Tu dis que, finalement, c’est eux qui ont raison?! » … Alors qu’on sait très bien qu’ils sont au-dessous de tout, qu’ils ne sont que rarement sur le terrain et, quand ils sont sur le terrain, c’est pour se montrer parce que c’est peut-être en périodes d’élections ou parce qu’ils veulent se faire de la pub en fonction de l'actualité. Pour prolonger le malaise, il y a un camarade qui a […] demandé clairement : « vous-êtes pas en train de vous arranger des places parce que vous savez qu’il y a des postes qui sont menacés et vous avez vendu votre âme pour avoir une place, tranquillement, au niveau fédéral ? »

Là, forcément, en personne innocente et raisonnable, le mec, il se lève et il menace physiquement le camarade « qui dit que de la merde » […] C’est la première fois que je vois ça, j’ai été choqué. Il y a eu un report de séance histoire de calmer les esprits. Et, malgré les excuses du secrétaire, le divorce était consommé. Signe d'un malaise bien plus profond.

Puis après, puisqu’un camarade du national partait en retraite, on devait élire son remplaçant… Et, là, surprise, la délégation nationale nous apprend qu’il y a un autre mandat national qu’on n’a jamais utilisé. Et d'ajouter dans la foulée : « comme il y a une place de libre, on la propose à un camarade qui s’occupe du site internet national. » Ce qui n'a pas arrangé la situation – bien compliquée déjà – du moment. Il faut comprendre : on a décidé ça sans vous en parler avant… et on s'en fout un peu de vos avis, par la même occasion. On a un pote à nous qu'on veut placer, merde !

Déjà, on n’a pas eu d’ordre du jour et, là, vous nous proposez de désigner deux nouveaux dont un à un poste inconnu au bataillon jusque-là.

Quant au nouveau mandat, le camarade, ok, même s'il a fait le site internet, il a eu des heures de délégation, il a été payé, donc il a eu une rétribution financière. Il n’a pas fait ça gratuitement. Il a fait [le site], chez lui, après son boulot mais, au moins, il a été payé et ça a été fait dans les règles… mais, là, on s’apprête quand même à lui donner une position officielle [au niveau national]. Et, là, beaucoup disent qu’ils auraient bien aimé avoir été informés il y a quelques mois de cela, qu’il allait y avoir un autre mandat en jeu.

Et un mandat national, c’est plus à portée politique. L’autre, il est peut-être bon niveau informatique, on n'a rien à y redire – encore que… – mais politiquement, qu’est-ce qu’il vaut ? Et, de ce qu’on sait, ce type-là, il n’est pas le plus militant des militants et, politiquement, ce n’est pas quelqu’un qui pèse assez lourd. De ce qu’on entend [venant] de ses collègues dans le magasin où il est, il est compétent au niveau informatique mais, derrière sur le terrain, au niveau syndical, ce n'est pas un foudre de guerre […] Et donc ce serait bien de proposer d’ouvrir ce [nouveau] mandat national qu’on n’a jamais utilisé à quelqu’un de plus compétent et dont les états de service sont plus connus... Et puis il y a peut-être d’autres personnes qui seraient intéressées…

Puis le gars vient [à la tribune] en disant : « oui, les gens ne veulent pas de moi alors que, moi, je n’ai rien demandé, on est venu me trouver. Ça fait deux ans que je fais le site internet ». Il se faisait passer pour une victime. Il lui a été répondu qu’on ne remettait pas en doute son travail, qu’on ne remettait pas en doute son implication mais qu’il fallait qu’il comprenne que le mandat qu’il allait prendre était un mandat national […] Ça veut donc dire aller sur le terrain, rencontrer des collègues, etcetera. Du boulot de militant sur le terrain, pas un poste au placard. Au final, ça s’est fini sur un score stalinien, digne des dictatures : il a eu 95% des voix, parce que c’était pratiquement le seul à se présenter. Et c’est tous ces petits trucs pas démocratiques du tout, tous ces agissements qui font que je commençais sérieusement à me poser des questions. Bref, le malaise s'installe. Après, forcément, on en parle entre nous, avec les collègues venus de toute la France. Dans mon groupe, je posais beaucoup de questions : comment ça se fait ? pourquoi ils font ça ? Ça se voyait bien qu’il y avait plus qu'un malaise, un décalage, entre la délégation nationale et une partie des représentants.

Il faut savoir que, lorsqu'on demandait des éclaircissements, tout de suite, on se faisait envoyer chier, ou couper la parole. Chose inhabituelle, on se voyait répondre : c’était dans le mail, tu avais qu’à lire le mail, on ne va pas faire des trucs trop longtemps à l’avance parce qu’on a beaucoup de choses à traiter […] bref, la ramène pas trop ou tu vas devoir la fermer !

Il faut savoir, aussi, que, quand tu commences en tant que délégué du personnel ou élu […], tu ne sais pas tout [sur les réunions syndicales nationales]. Tu ne sais pas trop comment ça se passe et il n’y a pas un bouquin ou un mec qui va te dire « voila, aujourd’hui c’est ça qu’on fait, ça se fait comme ça, nous on fait les choses comme ça, on va discuter de certaines choses, il y a un ordre du jour, etcetera ». Et, comme derrière, [dans ces réunions], il y a beaucoup de parlotte, il y a beaucoup de questions, etc. ben, t'es bien paumé même si tu n'en es pas à ta première.

Puis finalement, dernière journée [de cette réunion], on désigne une délégation composée de volontaires pour se rendre à la réunion officielle NAO avec la direction nationale de Carrefour, pour « négocier. »

On sait très bien que c’est de la comédie puisque la direction, elle, elle a déjà préparé son discours, elle a déjà rôdé tout ça : « rappelle-toi les mauvais chiffres, on est à la dèche, on souffre beaucoup, etc. » Donc on s'y rend par acquit de conscience, parce que la loi le permet mais, même si on n’y allait pas, ça ne changerait pas grand-chose dans le fond. Puisqu’on a beau protester, on a beau dire qu’on n’est pas d’accord, et proposer autre chose, [la direction de Carrefour] dit « oui oui, on prend note de vos remarques » mais, au final, c’est « cause toujours, tu nous intéresse ». Les chiens aboient et la caravane passe, en somme. Et c'est pas parce que c'est la CGT que la caravane va s’arrêter…

Le congrès de la CGT Commerce à Reims (mars 2018)

Donc, ça c’était la partie à Marseille, qui se passait en janvier 2018. Et il se trouve que, cette année, il y avait aussi le congrès de la Fédération [CGT] du Commerce, qui se passe tous les quatre ans, durée des mandats des élus fédéraux. […] on est dans la catégorie poids lourd.

Moi je suis allé à ce congrès par curiosité et je me suis dit : on a vu ce qu’il s’est passé au [niveau] national, peut-être qu’au [niveau] fédéral, ça se passera mieux, ou il y a des choses qui seront plus intéressantes puisque ça ne regroupe pas juste […] les hypermarchés, mais ça regroupe toutes les activités de commerce, le tertiaire et tout ça. Il y a peut-être des gens un peu plus futés que des types d’une seule « congrégation » ou d’un seul corps de métier… Et, là, c’était pire, en fait ! C’était Marseille, mais en pire. Les mecs du [syndicat] fédéral, ils entendent ne rendre de compte à personne. Ils arrivent avec leur bilan. Il y a un bilan financier qui était de quinze lignes… pour quatre ans, quinze lignes […] ce qui s’est joué [à ce congrès], en off, c’est qu’il y a des gens qui sont connus – des représentants de certaines régions – et qui disent qu’ils ne sont pas d’accord avec ce que fait la Fédération puisqu’il y a des représentations du commerce qui ne sont pas venues, notamment celle de Paris qui représente quand même une grosse partie et qui n’est pas d’accord avec la politique adoptée par la fédération depuis quelques années. [La fédération parisienne] ne s’en est pas caché et le dit haut et fort encore, en disant que les mecs du syndicat fédéral ne sont pas ouverts au dialogue, et que c’est des mafieux parce qu’ils ne nous ont pas envoyé les convocations nationales officielles à temps… Or si t’as pas de convocation officielle, tu ne peux pas venir, tout simplement. Il y a des « videurs » qui voient qui peut rentrer au congrès et qui ne peut pas rentrer… ils ont déjà fait le ménage à ce niveau-là pour qu’il y ait le moins d’opposition possible parce que, sinon, forcément, au niveau fédéral, si les mecs viennent et qu’ils gueulent un peu partout… Eh bien, non : moins de contestataires il y aura, et mieux ce sera pour eux pour faire passer plein de choses. Ce que j’ai vu à Marseille s’est à nouveau présenté, mais à un niveau autre, puisque la fédération ça brasse de l’argent, pas les petites sommes qu’on a au niveau du syndicat [CGT Carrefour] national. En effet, c’est de l’argent de différents corps de métier, je ne te raconte même pas les sommes. Quand tu sais que, là-dedans, il y a les types de Disneyland, et qu’on a appris il y a un an ou deux que le responsable du CE de Disney – un type de la CGT – détournait de l’argent1, il détournait des sommes immenses… bref, la fédération a les moyens, financièrement. Le congrès durait cinq jours et, de fil en aiguille, au fur et à mesure des questions, des courageux ont demandé la parole, rappelant que le but il y a quatre ans c’était d’atteindre tel nombre d’adhérents et qu’au lieu de ça la fédération du Commerce en a perdu. Ils demandaient aux élus : vous dites que c’est un bon bilan, est-ce que vous pourriez expliquer ? Développer ? En réaction, quand ce n’était pas des huées dans la salle, c’était le secrétaire de la fédé qui les envoyait chier, qui leur répondait en politicien : il ne répond pas directement, il répond de manière détournée, il t’envoie chier en te disant : tu n’as qu’à être dans le « game » comme nous, et puis tu sauras ! Il n'y a pas d’autocritiques [de la part des élus].

Je me souviens d’un camarade qui était au chômage et qui représentait les MacDo. Il n’en faisait plus partie, mais ses camarades l'avaient quand même désigné représentant. Il est arrivé, et il a dit : moi je représente MacDo Paris, et on n’a pas l’impression qu’on reçoive de l’aide de la fédération, parce qu’à MacDo, en France comme aux États-Unis, on se bat pour faire monter le salaire à 15$ de l’heure. Ils ont donc eu des actions coordonnées avec des MacDo américains pour arriver à faire plier MacDo par rapport à ça… MacDo a plié un peu mais la fédération a dit « c’est grâce à nous ». Et le camarade de corriger : non non, ce n’est pas que grâce à vous […], parce que, c'est nous, les polyvalents de MacDo Paris, avec les collègues américains, qui avons fait le gros du travail. Certes, la fédération a chapeauté un peu le truc mais, à la base, c’est nous qui avons fait les choses, donc arrêtez de vous envoyer des fleurs. Plus tard, il se fait attaquer par un autre de MacDo mais qui est, lui, élu au niveau fédéral. Ce dernier, sous-entend que le camarade intervenant n’est plus concerné, et que c'est limite de la mauvaise foi ce qu'il fait. Le premier rétorque : dis-le clairement aux yeux de tous, je suis au chômage et je ne bosse plus à MacDo, je me suis fait virer de MacDo. Certains dans la salle rajoutent dans son dos « il n’a qu’à y retourner, au chômage, au lieu de venir faire chier avec ses questions emmerdantes ». Ça montre bien l’état d’esprit de « solidarité »... Le même camarade s'est encore fait des amis plus tard dans la semaine, en déclarant qu’il y avait des unions locales ou des unions départementales où il n’y avait pas beaucoup de monde et que [la fédération] les délaissait au profit d'endroits beaucoup plus gros, des villes comme Marseille ou Lyon – parce que ça lui « rapportait » plus de monde niveau voix électorales. La réponse cinglante est venue d'un mec, un gros connard selon moi, qui finira élu au niveau fédéral quand même, qui se lève, et va pour casser la gueule au premier. Mais il y a intervention en lui disant : « c’est ce qu’il veut que tu fasses, que tu lui casses la gueule, calme-toi… »… jouer de l'image du rassembleur, ça a toujours du bon pour la fédération. Pourtant, au fur et à mesure des jours, dans la salle qui était au début, en grande majorité acquise à la fédération, il y en a qui ont commencé à se poser sérieusement des questions […] Mais, comme on sentait que les mecs avaient tout verrouillé, ils avaient mis à la tête de tous les groupes des gens à eux, il n'y eut pas beaucoup de voix dissidentes ou de questions dérangeantes. Bien avant la clôture du congrès, tous les contestataires, tous ceux qui posaient des questions d’organisation, qui disaient : le bilan, il n’est pas si bon que ça, faut arrêter de nous mentir… tous ceux qui avaient une voix un peu dissidente, sont partis dégoûtés – voire plus […]

Moi, ce que j'ai retenu, c’était la délégation internationale, des délégués venus du Brésil, de Russie, d’Espagne, de Palestine... Le représentant américain racontait combien ils en chiaient avec Trump. Il disait qu'ils avaient besoin d’alliés à l’international, qu’une action à l’international aurait plus d’effet aujourd’hui puisque, de toute façon, on travaillait tous dans des boîtes internationales et que, se battre sur le plan national – ou le plan européen ou américain –, c’était bien mais c’était limité. Le salut passait par un plan d’action international. Pour moi, c’était le seul type qui était suffisamment lucide à s'être exprimé parce qu’il a commencé son discours par : on est au congrès, on est là pour s’autocongratuler, pour se retrouver entre amis, entre gens qui sont du même bord, mais il ne faut pas oublier qu’on est à des dizaines d’années à la traîne par rapport au patronat, on est à la rue, donc il faut aussi faire son autocritique, aller de l’avant, et ne pas être divisés comme ça peut le paraître actuellement […] Effectivement, il a raison : on est à la rue. Il n’y a pas eu de victoire dans le camp ouvrier depuis des années, ce n’est pas étonnant […] Depuis Marseille et Reims, j’ai l’impression d’avoir affaire à des types qui ne sont plus dans le militantisme, qui ne sont plus là pour réfléchir à un meilleur avenir, pour être force de proposition, de contre-proposition, pour dire : on va suivre cette ligne décidée tous ensemble, on va y aller avec tous les moyens qu’on peut mettre, à [agir] à l’international et au niveau européen… Non non : ils sont là à dire : ouais, la conjoncture actuelle est difficile ; à se miner le moral entre eux – à savoir : qui fera le constat le plus dur, ou le pire. Et toi tu te dis : mais bon, on fait quoi après les constats ? « Ouais, mais les collègues ils ne bougent pas leurs culs. » Mais pourquoi ils ne bougent pas leurs culs ? Pourquoi ils ne sont pas intéressés ? Les seules questions de fond qui étaient traitées [au congrès], c’est quand j’étais avec des collègues un peu « dissidents » qui disaient : il faut qu’on repense notre façon de communiquer, on n’est pas bons ; on n’est pas bons, parce qu’on n’est plus sur le terrain ; les mecs au [niveau] fédéral, ils ne sont plus sur le terrain, ils sont dans des bureaux […]

Ma conception du syndicalisme

Ce qui m’a choqué le plus, que ce soit à Marseille ou à Reims, c’est la dictature. Le syndicat, c’est pas du tout comme ça que je l’imaginais. Je l’imaginais plus en assemblée générale, à l’ancienne, c’est-à-dire que les camarades, ils venaient de différents endroits, ils étaient tous là et pouvaient s’exprimer sans filtre, sans faire de courbette à untel ou untel, chacun avait son mot à dire et, si on n’est pas d’accord, on le dit… On le dit avec ses mots, quitte à le redire aussi, parce qu’on n’est pas tous des génies en communication. Mais, au moins, on le dit, on s’exprime et ça permet, déjà, à chacun – aux gens qui viennent, du moins – de penser les choses et de réfléchir ensemble […] Et, ça, on ne l’a même pas, on ne l’a même pas. Quand on a une assemblée générale – quand on arrive à en avoir une ! –, on comprend que les collègues sont beaucoup dans l’ignorance. Ils sont dans l’attente, ils s'en remettent toujours aux délégués, ils sont dans l'assistanat, dans une forme de clientélisme.

J’ai le cas dans [ma section syndicale] de collègues, qu'on côtoie quotidiennement, qui ont rendu leur carte, sans un mot. Nous, on l’a appris par voie indirecte. On est allés voir les collègues, on leur a demandé : on se voit tous les jours, pourquoi vous ne nous en parlez pas ? Ne serait-ce que pour dire : je n’y trouve plus d’intérêt ; pour moi, ça n’a plus de sens, je rends ma carte. On ne [leur aurait pas demandé] des comptes, hein.

[Un syndicat] ce n’est pas une assurance. Genre si vous ne prenez pas cette option, vous ne serez pas couverts en cas d’accident. On n’est pas là à essayer de refourguer des cartes d’adhérent absolument, mais on aimerait comprendre […] Un [démissionnaire] s’en est expliqué : il pensait que [l’adhésion syndicale] protégeait de plein de choses, qu’il avait pris une sorte d'assurance tous risques ! Nous lui avons fait comprendre que le syndicat, c’est lui, que s'il ne se bat pas, personne d’autre ne le fera. Le rapport de forces, ce n’est pas comme ça qu’on va le construire : des représentants qui se comptent sur les doigts d'une main contre la direction locale et nationale. Et si le collègue pense que, parce qu’on a un nom – genre CGT ou CFDT – de syndicat connu nationalement voire à l’international […], ça va le protéger de plein de choses, il n’a rien compris.

Il y a donc plein d’idées préconçues, plein d’illusions, que les collègues se font par rapport au syndicat… moi, le premier, pourtant je suis dans le syndicat. Aujourd’hui, je suis tout à fait révolté, et surtout très en colère contre les gens de ma propre OS.

Historiquement, les syndicats… depuis une certaine période, depuis Mai 68, quand t’entends des types de syndicats dire qu’ils sont débordés par leur base, par les collègues, qu’ils essaient de reprendre la main dessus et de les diriger vers des voies qui leurs sont soufflées depuis le niveau confédéral… tu te dis : ces gens-là, ne sont vraiment pas les alliés des travailleurs. Il y en a qui te diront : si, jusqu’à un certain point. Il y en a qui seront très lucides qui te diront : le syndicat, c’est un outil, c’est tout. Il faut l’utiliser mais, comme tout outil, il a ses limites. Et donc, si on veut […] que la lutte des classes se termine avec la victoire du camp des ouvriers, des travailleurs, il n’y a pas le choix : il faut récupérer notre outil de travail et virer les gros parasites de tous bords qui vivent gracieusement du travail collectif […] mais ça ne se fera pas comme ça.

Le syndicat fait partie des outils qu'on peut utiliser pour aller dans ce sens-là mais, concrètement, il y a aussi des gens qui, dans le syndicat, l'utilisent pour arrêter les velléités, les tentatives de réappropriation de l’outil de travail par les salariés. Les exemples sont nombreux, hélas.

Je pense que les syndicats aujourd’hui ne sont plus ce qu’ils étaient à la base, c’est-à-dire des gens qui travaillaient sur le terrain et qui se réunissaient pour décider de leur sort dans l'entreprise. Le syndicat c’était la réunion des travailleurs, qui disaient d'une seule voix : on ne veut plus ça ! on veut ça ! on ne veut pas de cette société-là ! L’Histoire a prouvé que, quand c’est les travailleurs de base qui se mettent ensemble […], c’est comme ça qu’on gagnait des avancées sociales, qu'on jetait les bases d'une meilleure société... Ce truc-là, aujourd’hui, on ne l’a plus parce que […] les types sont incapables de se coordonner… mais c’est voulu ! Je me demande souvent […] pourquoi ils ne font pas « tous ensemble », pourquoi ils font, lors des appels nationaux à la grève, un jour les vieux, un jour les postiers, un jour… etc ? C’est débile !!! On fait ensemble et on ne fait pas qu’un jour, on continue tant que la merde continue ! Effectivement, ce sont nous, les travailleurs, qui faisons tout tourner dans le pays.

J’avais rencontré une fois [Philippe] Martinez […] le secrétaire national de la CGT. Beaucoup de gens l’avaient interpellé sur la grève générale […] Lui, avait répondu : grève générale, moi je veux bien, mais ça ne se décrète pas comme ça ! et ce n’est pas aussi facile que ça ! Personnellement, je pense que c’est parce qu’eux-mêmes ne le veulent pas, au fond ! Ils ont les outils, ils ont les liens, ils ont tous les trucs pour, mais ils nous trouvent toujours une bonne raison, ils disent : ouais, mais tel [secteur] ne veut pas, ou les mecs qui font le gaz ils ne veulent pas, ou la fédération métallurgie, elle ne veut pas, etc. Ya toujours une couille dans le potage. Sans ajouter à tout ça les bisbilles entre différentes fédérations, des trucs d’ordre « administratif » dont ils se servent comme excuse pour dire : on ne peut pas faire de grève générale. Pour moi je pense que ces types-là [du syndicat] sont juste devenus des « administrateurs » : ils sont dans une « administration », dans un système qui les sert eux et qui ne sert plus le bien commun. Ils savent qu’ils ont un poste qui est plutôt bien rémunéré – mieux payé que le management, voire la Direction, quand on met la main sur les chiffres, on tombe de haut… – et ils font un boulot qui n’est plus le boulot de terrain. Certes, parce qu’ils ont besoin de rencontrer des gens dans des sphères différentes des travailleurs qui ont les mains dans le cambouis – ça je peux le comprendre. Mais ils ont oublié, à force d’être dans des bureaux, de traîner dans les réunions, que, eux, ils représentaient le travailleur qui mettait la main dans la merde tous les jours, qui était en souffrance, qui était payé au lance-pierre, qui était en CDD et qui ne savait pas si son CDD allait être renouvelé ou bien […] transformé en CDI… Dans les faits, on te propose d’aller rencontrer le patronat dans tous les sens à la table des négociations. Les patrons te parlent d’un autre style de vie… toi-même, tu te sors de ta petite misère de smicard quelques instants... Et puis lentement, les mecs se font corrompre – pour certains, malgré eux. Parce que tu changes de monde, tu changes d’univers, tu t’y habitues […] et, le terrain, tu t'en bats les couilles...

L’absence d’internationalisme concret

Au congrès, il y en a qui ont demandé au secrétaire fédéral du commerce des comptes suite à son voyage au Brésil pour rencontrer les syndicats brésiliens […] Et quand il revient avec les maigres résultats qu’il a ramené, forcément, beaucoup lui demandent : tu as été jusqu’au Brésil mais, à part des photos, des selfies que tu nous ramènes, concrètement, il y a quoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Sur le terrain, qu’est-ce qu’il s’est passé ? […] La délégation brésilienne présente lors du congrès de Reims nous racontait que, dans un groupe de grande distribution français [implanté au Brésil], il y en a qui se faisaient licencier juste parce qu’ils étaient syndiqués.

Et la fédé commerce et services, là-dessus […], concrètement, qu’est-ce qu’elle propose ? Pas grand-chose. Pourtant, à la fédération CGT Commerce, comme ils aiment à se le répéter : on est la CGT, on est les meilleurs ! la crème de la crème ! Les autres ce ne sont que des sales traîtres ! (j'exagère à peine) Au lieu de proposer de taper encore plus fort [sur cette enseigne] – surtout que le siège est en France ! –, parce qu’il y a les camarades brésiliens qui se font traiter comme de la merde… [Mais] rien du tout. Moi je n’ai jamais vu passer de proposition de mobilisation – même infime – à mon humble niveau.

Donc les mecs sont à la rue. Pour moi, c’est juste des mafieux […] qui sont à la tête [du national, de la fédération] […] Ils peuvent juste se vanter de leurs titres pompeux […]

Avant le congrès, je ne connaissais pas les membres du bureau fédéral ni leurs noms – et encore moins leurs têtes. Or, dans ma conception des choses, les camarades, quand ils sont au national ou ici au fédéral, ils devraient passer leur temps à aller dans les magasins, les entrepôts, à être sur le terrain comme nous… Ils passeraient leur temps à aller voir les camarades. […], ne serait-ce que pour foutre un coup de pression aux Directions [des magasins][…] mais bon, on va dire que personne n'est parfait...

Conclusion

Quand tu as des heures de délégation, il y a un certain confort […] qui fait que tu n’es plus en souffrance sur le terrain, mais il faut toujours garder en tête […], toujours te rappeler que, ta place, tu l’as grâce à tes collègues. C’est aussi simple que ça. C’est-à-dire que tu te dois de rendre des comptes. Ça semble bête à dire, mais rendre des comptes, être responsable et révocable, ça doit être dans l'ADN de la fonction de représentant du personnel, c'est non négociable ! Tu ne dois pas non plus ménager [les collègues], tu dois leur dire ce qui les attend, ne rien leur cacher. Tu dois leur dire : il faut se mobiliser, il ne faut rien lâcher… Mais, en même temps, eux doivent aussi tout le temps te réclamer des comptes, parce que tu n’as pas été élu pour rester assis derrière un bureau et faire tes heures de déleg’. Effectivement, tu as des heures où tu as des « phases » administratives et tu ne peux pas y couper ; tu as des réunions, tu dois y aller et tu ne peux pas y couper ; tu as des formations, tu ne peux pas y couper. Donc tu n’es pas au magasin, tu n’es pas dans l’entrepôt, tu n’es pas dans l’usine. Mais tes collègues, ils doivent tout le temps – tout le temps – te demander des comptes. Et, ça, c’est pour que tu n’oublies pas que tu es à ta place de délégué [du personnel] grâce à eux et pas grâce à autre chose ; et que tu as des responsabilités. Ces responsabilités, ça veut dire que, [les collègues], leur vie ce n’est pas de la rigolade donc, toi, tu ne dois pas être non plus un rigolo. Et que, si tu as des moyens – comme à la fédération [du Commerce] par exemple –, ces moyens tu dois les utiliser pour faire en sorte que le sort quotidien de tes collègues soit amélioré, et ne pas oublier la démocratie, ça aussi ça doit être dans l'ADN du syndicat. Chaque parole compte.

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