Sainte Europe du Capital, pillez pour nous !
C'est bien connu. Les frontières arrêtent les personnes les plus démunies lorsqu'elles essaient de survivre sous d'autres latitudes. Par contre, elles n'arrêtent pas la connerie... La recherche du profit comme seul moteur de notre société est une constante qui se retrouve dans chaque nation, sous n'importe quel régime, qu'il soit "démocratique" ou "dictatorial", que le gouvernement balance "à gauche" ou "à droite".
Ainsi, avec un timing plus ou moins coordonné, des solutions sont continuellement appliquées dans les différents lieux de production des différentes régions du monde, qu'il s'agisse de l'industrie ou des services. Ces mesures visent à maintenir un taux de profit permettant au capital de se reproduire, en optimisant les processus de production de la valeur.
Or, lorsque l'augmentation de la productivité par différentes mesures (division scientifique du travail, automatisation, concentration, délocalisation, etc...) ne suffit plus, on retourne à la méthode à l'ancienne, utilisée depuis le début du capitalisme : le pillage sur les conditions de survie de la force de travail, seule génératrice de plus-value. Cela consiste à la faire peser toujours moins sur la balance du coût de revient de la marchandise. Et pour ce faire, on s'attaque au salaire ou au salaire indirect (protection sociale, retraites, etc.). Il est de bon ton également de rendre cette force de travail flexible, utilisable selon les besoins du capital, sans que l'engagement et le licenciement des travailleurs ne représentent un obstacle pour les patrons. Les seconds partent alors en guerre contre les droits des premiers, parfois acquis après des décennies de lutte. Il va de soi que les attaques se réalisent avec la bienveillance des États.
Dans le secteur stratégique et vital des transports de personnes et de marchandises, sans lequel toute la production serait bloquée, ces mesures d'économies, comme déjà dit, traversent les frontières.
Alors que la SNCF est en passe de se privatiser et que les cheminots risquent de perdre leur statut1, en Suisse, le processus est déjà en place, grâce à un tour de magie. En effet, les CFF (l'équivalent de la SNCF pour la Suisse), ancienne régie publique, sont devenus, en 1999, une société anonyme à statut spécial, propriété de l'État.2 En conséquence, les employés ne sont plus des fonctionnaires, mais l'État reste le seul actionnaire de cette société. Voilà comment il peut continuer à dicter les règles, tout en privant les travailleurs d'anciens droits acquis, les rendant encore plus corvéables selon les désirs des exploiteurs.
Mais il ne s'agit pas de la dernière restructuration. D'autres coups-bas sont déjà au programme. Les CFF ont ainsi récemment élaboré leur projet RailFit 20/30. Pour rappel3, cette cure d'amaigrissement (comme son doux nom l'indique), prévoit, autour des années 2020, d'économiser 1,2 milliards de francs par rapport à 2014, dont 500 millions sur les salaires, en supprimant 1200 emplois et en sucrant certaines prestations au personnel et aux retraités.4 C'était déjà énorme, pensions-nous.
Eh non, jamais à court d'idées, le patron Andreas Meyer et sa clique de requins prévoient déjà, en ce début d'année 2018, une autre attaque, parallèle à RailFit. Cette fois, c'est une section précise de l'entreprise qui sera touchée : CFF Cargo, qui assure le trafic ferroviaire de marchandises, veut supprimer 800 postes d'emplois d'ici 2023, dont 330 postes avant l'an 2020, supprimer des points de desserte, et poursuivre sur l'inévitable voie du remplacement de l'humain par la machine.5 6 Mais qu'on se rassure, l'entreprise table sur des centaines de départs à la retraite, pour réduire au maximum les licenciements.
Oui, seulement, c'est bien là le problème. Premièrement, les dirigeants, qui ont visiblement la mémoire courte, ne maintiennent pas leur promesse de 2016 de ne supprimer AUCUN emploi au sein de CFF Cargo, lorsqu'ils prévoyaient de supprimer 230 postes (et non 330) d'ici 2020.7 Aujourd'hui, ils admettent par contre que des licenciements vont avoir lieu.
Deuxièmement, même si l'entreprise mise sur les retraites pour éviter de licencier massivement, ce n'est que pour ses propres intérêts... et pour éviter des mouvements de contestation. Car, au final, c'est toujours la classe des prolétaires qui est perdante. En effet, que des personnes soient licenciées ou non revient au même. Au bout du compte, 800 postes seront perdus, ce qui va empêcher 800 nouveaux travailleurs de trouver du travail pour pouvoir vivre décemment (ou survivre). Si on ajoute les 1200 postes condamnés par RailFit 20/30 à disparaître, cela nous fait la coquette somme de 2000 postes... Un village entier ! C'est énorme, pour un pays d'à peine 8 millions d'habitants.
Et ce n'est que le début. Les postes continuent évidemment de disparaître également dans d'autres entreprises, en Suisse comme ailleurs. Une seule étoile guide nos chers patrons : la rentabilité, promue par le pillage sur nos conditions de vie.
Pour nous aussi, il n'y a qu'une seule étoile qui puisse véritablement nous guider : la solidarité. Solidarité à travers les frontières fictives érigées par le pouvoir, car, dans tous les pays et dans tous les secteurs, et en particulier dans celui des transports, le pillage sur nos conditions d'existence est de mise. Solidarité entre travailleurs et usagers des transports, car ce que subissent les uns se répercute sur les autres. Solidarité entre les travailleurs de la même entreprise, même s'ils sont divisés par section.
L'"Europe" (c'est-à-dire l'"Union Européenne") n'est qu'un pretexte pour mettre en oeuvre le programme du capital, un paravent dont on se sert pour mieux faire avaler la pillule des "réformes", autrement dit des mesures destinées à démanteler les droits durement acquis des travailleurs. Mais l'exemple de la Suisse qui n'est jamais "rentrée" dans l'"Europe" et s'en porte aussi mal est là pour prouver que la bourgeoisie peut très bien se passer d'elle pour tondre les travailleurs. Pour les voisins de la Suisse, soumis à la dictature "européenne" du capital (qui prend ici le masque et l'excuse de l'UE), "sortir" de l'Europe ne pourra les mener nulle part. Pour les prolétaires de Suisse et d'ailleurs une seule solution: sortir du capitalisme, et donc le détruire. Le plus tôt sera le mieux.
Ce n'est que par la solidarité que l'on pourra lutter de manière efficace contre ce système absurde dont la seule survie réside dans la guerre qu'il mène contre ce qui génère sa richesse : nous, les prolétaires.
Notes :
[1] Cf. http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/01/reforme-de-la-sncf-ce-qu-il-faut-retenir-de-l-ouverture-de-la-concertation_5264437_3234.html
