Lettre à Nour

Communiqué n°39 - Août 2015

Considérations sur le sous-fascisme et son époque

Chère Nour,

Tu nous confies être dépitée par le manque de réactions fécondes à ton militantisme sur internet. Ton désarroi se renforce de tes craintes face à la progression de l’extrême-droite, dont tu crois trouver les preuves dans le déluge d’articles et de sondages qui, jour après jour, nous assurent de lendemains embrunis.

L’époque ne ménage pas les partisans de la révolution prolétarienne mondiale, c’est évident. Nous passons notre temps à essayer d’encourager la recomposition d’un sujet historique en dissolution permanente alors que les manifestations du réel plaident plutôt en notre défaveur. Et même si les bonnes leçons de dialectique nous ont appris à nous méfier de l’empirisme borné, force est de constater qu’un inquiétant mal, aussi multifactoriel que polymorphique, gagnenotre classe sociale. Pour ne pas verser dans le déclinisme à l’emporte-pièce, qu’on nous reprocherait légitimement de fonder sur des platitudes subjectivistes, disons que ce que nous percevons de problématique, depuis quelque temps, au contact rapproché avec les exploités (dont nous sommes), ressemble à ceci : la perte des repères historiques, combinée à la détérioration de la réflexion et du langage, agrémente une atténuation de la colère sociale qui fait place à une résignation maquillée en satisfaction à l’égard du « confort » marchand. Le tout est comme imbibé d’une peur paralysante face à l’affrontement titanesque qu’appelle la résolution, forcément globale, des maux de notre temps, lesquels sont aussi intriqués que disséminés en tout. Cette tendance générale contribue à nous rendre inaudibles, d’autant qu’elle accentue la désagrégation des ciments de la socialisation, tels le dialogue libre ou la confiance en l’autre, sans lesquels rien n’est possible. 

Pourtant, la lutte des classes ne cesse jamais, que le prolétariat engage par nécessité et non par choix. Notre jugement sur la présente situation du rapport de classe s’égarerait s’il ne pesait le poids des cinq longues années dépourvues d’une mobilisation sociale d’ampleur que nous venons de traverser. Ces cinq ans de régression sans riposte ont  miné profondément le moral des masses, depuis que le grand mouvement contre la réforme des retraites de 2010 a lamentablement échoué (malgré d’intéressantes interventions et tentatives d’unification radicale). L’affront que constitue l’énième récidive d’une politique anti-ouvrière infligée par une présidence de gauche, son gouvernement et ses bureaucraties syndicales, est venu grossir l’écœurement des exploités. La représentation du prolétariat n’est qu’une extériorité répressive qui assume crânement son illégitimité. Armés de cette morgue, la liquidation des droits sociaux et démocratiques ainsi que la compression des salaires s’exécutent sans appel. Les dernières médiations auxquelles se raccrocher se rompent avant que la main ne les atteigne, accélérant ainsi la chute : partis de gauche et d’extrême-gauche, syndicats, réglementation protectrice, amortisseurs sociaux… tout pseudo-recours continue de se dérober ostensiblement. Le prolétariat est propulsé sur un front ouvert, classe-contre-classe, sans que son arsenal factice, désormais obsolète, ne lui serve à quoi que ce soit d’autre que hâter ses défaites. Pour l’instant, cette configuration ne semble pas bénéficier à l’émergence d’une dynamique de subversion du capitalisme. Au contraire, s’ils font preuve, ça et là, d’une véritable pugnacité contre les modalités d’exploitation et de pillage qui les affligent, les travailleurs, dans leur grande majorité, s’accrochent au rapport social dominant et de ce fait participent à sa perpétuation. Ils se débattent dans une impasse, avec pour seul pseudo-refuge celui de la colonisation marchande de leur potentiel à se métamorphoser collectivement en sujet révolutionnaire. Bref, même l’objectif défensif de ne plus reculer sur les champs de la guerre de classe exige aujourd’hui des prolétaires qu’ils autonomisent leur lutte (ce qui ne peut s’effectuer que dans l’indépendance de classe), à une époque où ils sont le moins disposés à le faire. L’équation est donc rude. Mais, gageons qu’à force de projeter la tête contre le mur, les idées dans cette tête finiront par envisager de démolir le mur grâce aux moyens adéquats. Nous en sommes là… à ce que certains nomment « transition » et que nous préférons envisager comme un immense défi, qu’aucune posture quiétiste, y compris celle de cerveaux férus de théorie révolutionnaire, ne saurait relever.

Sommaire

  • La « toile » et ses araignées
  • Capitalisme identitaire et extrême-droite du capital
  • De la gauche (et son extrême) du capital comme foyers de recomposition du sous-fascisme
  • La doctrine sociale de l’Eglise, bréviaire du capitalisme identitaire
  • La sémantique, théâtre d’une bataille de classe : « l’islamophobie »
  • De la nécessité de clarifier, par le verbe et les actes, la perspective communiste

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La « toile » et ses araignées

La gigantesque complexité d’une transformation radicale des rapports sociaux prend toute sa mesure en face d’internet, car ce média omniprésent illustre à lui seul le formatage abouti de la société par le capital.

Comme toi, nous avons choisi d'apparaître sur « le net ». Emportés malgré nous dans le grand flux des mutations du temps, nous avons considéré que nous engagerions, avec un peu de chance, des relations prometteuses derrière une attrayante vitrine numérique. Si cette éventualité se produit parfois, elle demeure néanmoins rare. Et c’est bien logique, puisque c’est sur le cimetière de la relation humaine, dont il traque toute résurgence, que cet univers virtuel opère la virtualisation de l’univers. Désormais, chacun revendique spontanément la remise de sa vie au standard marchand, si bien que la vie se résume à afficher sa conformité au marché, par le biais de l’interconnexion numérisée. La mise en équivalent de toute activité humaine, sous le joug de la valeur, a fini de fusionner les sphères qui structuraient encore l’existence de l’individu capitaliste, le citoyen, il y a peu : l’intime, le privé, le public. Le temps est devenu espace spectacliste : le web est, en soi, l’usine participative de la spectacularisation de la vie, si performante, si hégémonique, si intrusive, qu’elle en vient à fabriquer la quotidienneté apparente derrière les apparences de la quotidienneté.Plus aucune forme de socialité ne peut se soustraire à la force d’absorption de cette lessiveuse globale qui rejette sur le réel les débris éclatés de nos dispositions à l’humanisation, cependant qu’elle systématise le contrôle policier et commercial sur chacun de nos actes. Évidemment, ce n’est qu’un dispositif technico-social, une manifestation arrogante du stade où la domination capitaliste devient une tyrannie performative à l’endroit de l’intégralité de ses conditions de reproduction (internes et externes au capital). En ce sens, cette pieuvre géante est à la fois un marché et une marchandise, un cadre étatique et un réseau civil, qui enlace, autant qu’elle étend, l’océan de capital accumulé.
On pourrait s’ébahir devant l’incommensurable somme de connaissances qu’internet met à la portée du plus grand nombre et y voir une consolation. Mais rien n’y fait pourtant. Car la démocratisation des données au travers de ce vecteur marchand imprime la relation à la connaissance. Ainsi l’abondance d’informations, où le tout vaut le rien, où l’instantanéité est loi, n’est qu’une saturation étouffante. L’impossible opération classificatoire qu’elle requiert de la part du sujet connaissant se perd en un emmagasinage/déballage de supermarché. Chacun est renvoyé à sa position d’émetteur-récepteur séparé de son objet, dont les aptitudes à comprendre son univers s’effacent en même temps que ses capacités à façonner un univers compréhensible. Le monde s’étale dans sa totalité pour mieux faire obstacle à une pensée unitaire du monde qui saurait dire, au-delà du strass aveuglant, ce qu’il est réellement. On n’a jamais su autant pour ne rien comprendre. La mise en scène de la vérité fait son tapage parce que celle-ci, plus que jamais muselée et dépouillée de son langage, joue dorénavant à l’introuvable.

Il n’est donc guère étonnant qu’internet draine et amplifie les comportements débridés du consommateur cloîtré dans la « séparation achevée » (pour reprendre la formule de Guy Debord), avec leur lot d'utilitarisme crasse, de narcissisme pathétique, d'irresponsabilité décomplexée, de voyeurisme compulsif, de solipsisme angoissé. Par conséquent, s’il est possible de procéder à une réappropriation de ce média, celle-ci est condamnée au minimum négligeable, compte tenu de l’extravagante position de force qu’y occupe le Spectacle. Notre démarche emprunte donc, sans illusion et alourdie d’un énorme handicap, ce vecteur de la réification 2.0.

A l’évidence, c’est bien par la lutte de classe, avec ses armes, ses méthodes, ses organisations antiautoritaires et les expressions libres qui lui sont propres, au sein des lieux de production, dans ce qui reste de la rue, dans les rares espaces de rencontre à défendre et ceux à rebâtir que se joue l’essentiel, et d’abord le tissage de liens de solidarité, de fraternité, de création subversive. Pas sur internet ; aujourd’hui plus qu’hier ; à l’avenir plus que jamais. On ne combat pas l’aliénation par des moyens aliénés, il est bon de ne pas l’oublier.

 

Capitalisme identitaire et extrême-droite du capital

Ces différentes remarques soulignent quelques-uns des paramètres qui cadrent les réflexions suivantes. Tu nous demandes notre « avis » sur le dit « danger de l’extrême-droite » et son substrat populaire. Voici une réponse, que tu jugeras non sans raison, plutôt superficielle. Mais nous aurons l’occasion d’affermir des points importants de notre argumentation.

La supposée « montée de l'extrême-droite » au sein des prolétariats européens est un thème traité de façon totalement biaisée par la plupart des commentateurs. On prend pour argent comptant des manipulations (sondagières et statistiques) qui servent à étayer une large gamme d'analyses (des plus alarmistes jusqu'aux franchement approbatrices) concluant sur le triomphe imminent des partis d'extrême-droite. Concernant précisément le Front National, peu mettent en doute un consensus fabriqué dans l'empressement généralisé. En réalité, la progression du Front National aux dernières élections est notamment un effet de loupe engendré par l'importance de l'abstention (des inscrits et non-inscrits sur les listes électorales). Abstention, dont le traitement médiatique est lui aussi falsifiant quand il ne se résume pas à réclamer tout bonnement le vote obligatoire, ce pansement coercitif sur la jambe de bois qu’est cette « démocratie » discréditée. L'artillerie journalistique nous pilonne quotidiennement de sentences mensongères du genre « les ouvriers sont des partisans de Marine Le Pen ». Il est de bon ton de répéter que la boutique Le Pen est le « premier parti ouvrier de France », alors que cette assertion n'a aucun sens quand on sait que la majorité des ouvriers et des employés (pour s’en remettre à la catégorisation socioprofessionnelle) ne vote pas ! Cette propagande, qui relève d'un vil mépris de classe, est servie tant par la droite que par la gauche du capital (jusqu'à son extrême). La droite l'utilise pour justifier le glissement de son axe politique vers l'extrême-droite sous prétexte d’une adaptation aux « demandes de la population » (ce mouvement a fait émerger une droite-extrême dont l’électorat n’hésite pas à porter son choix sur l’extrême-droite ; cette perméabilité est une cause première des récentes victoires électorales du FN). La gauche, tout en faisant de même, instrumentalise cette vision fallacieuse, ce qui lui permet de crier au loup fasciste et, ainsi, détourner les regards de la contribution sans faille qu'elle fournit à la prédation patronale. La moribonde extrême-gauche s'embarque dans ce radeau à la dérive, ce qui lui offre l'occasion de faire un minable battage clientéliste, à défaut de développer ne serait-ce qu’un simulacre de pratique révolutionnaire. Tout ce cirque se focalise sur les prouesses électorales présentes et à venir du Front National pour ne pas admettre que c’est plutôt dans la tournure réactionnaire prise par la société depuis quarante ans que les positions de l’extrême-droite ont trouvé leurs plus éclatantes réalisations.

Qui peut encore sérieusement douter que les rapports sociaux ne soient aujourd’hui pétris d’identitarisme poseur, de restrictions liberticides, de fonctionnalisme grégaire, de peur sécuritaire, de défiance envers l’universalisme autre que celui du consommable, sans parler d’antipathie très majoritaire à l’endroit du communisme ?

Le dessein effrayant de refaçonner l’homme en vue de l’emprisonner dans un mode de production - projet jamais vraiment abouti que poursuivaient les totalitarismes rouges et bruns - a été surpassé par le totalitarisme spectaculaire-marchand. Les seules forces de l’État totalitaire appareillées du monolithisme idéologique, telles qu’actionnées au 20ème siècle, ne sont rien en comparaison de la puissance de formatage de tous les domaines d’activité humaine qu’a déployée le capital depuis la décennie 1970. Le résultat est là : les derniers pans sociétaux précapitalistes ou non capitalistes ont été colonisés par le marché. L’homme a été dépouillé de ses dernières bases-arrières pour que chaque dimension de son être soit mobilisée dans la grande guerre de survie du capital. Partout la marchandise s’est incrustée en installant son règne sans partage et sans lendemain. L’économie s’est libéralisée à mesure qu’on intensifiait l’exploitation du travail humain et le pillage de ses ressources. Ce totalitarisme triomphant n’en reste pas moins convulsif, tremblant de tous côtés sous le déchainement généralisé des conflits entre intérêts particuliers, ainsi qu’entre classes, qu’il a déclenchés.
Alors que l’État totalitaire voyait son emprise bridée par la concentration du pouvoir qu’elle induisait, le marché totalitaire est une dynamique illimitée dont les nids de recomposition sont engrenés dans toutes activités humaines, y compris celles qui consistent à gérer ses nuisances. En cela, les rêves les plus fous des partisans tyranniques du statu quo historique trouvent une forme de réalisation inespérée. Pourtant, la démesure capitaliste, même poussée à son paroxysme, continuera de se fracasser contre sa seule borne, car celle-ci en est aussi le moteur : le prolétariat.

Mais, tendons un instant l’oreille au « Front Républicain ». Nous serions aux portes de la dictature. Le Front National, une fois hissé au sommet de la République, répéterait les affres du passé : il instaurerait le parti unique, la chasse aux opposants et aux immigrés, l’État policier, l’ordre moral, le culte de la personnalité et l’encasernement idéologique, les camps de concentration, voire la guerre, etc. Tout cela à cause d’un prolétariat réclamant le retour aux formules totalitaires des années 1930.
Cette litanie, le plus souvent ânonnée de manière implicite quand elle n’est pas machinale, s’articule sur deux visions fausses de la fonction qu’occupe aujourd’hui l’extrême-droite organisée :

  1. Le fascisme, incarné dans un parti comme le FN, serait prêt à bouleverser à nouveau l’Histoire pour conduire aux pires scénarios. Cela signifie une rupture avec le cours ordinaire de la présente organisation sociale.
    La question qui se pose alors ici est : cette organisation sociale n’a-t-elle pas déjà atteint un seuil dans la réaction jamais connu en régime dit  « démocratique », si bien que l’adaptabilité de la démocratie postmoderne aux exigences répressives du capital écarte la nécessité de remplacer celle-là par un ordre fasciste ?
  2. Le fascisme est une sorte d’aboutissement logique de l’évolution réactionnaire qu’ont suivie les politiques institutionnelles et les développements économiques ces dernières décennies.
    Ce raisonnement semble méconnaître la structure même des rapports capitalistes de ce début de 21ème siècle, lesquels jugulent leur propre crise, dans les pays avancés, non pas en réalisant le repli nationaliste (nationalisme converti en variable d’ajustement chirurgical de la « gouvernance ») mais l’intégration par la recomposition identitaire, quelle qu’elle soit, pourvue d’être compatible avec l’ultralibéralisme. C’est pour satisfaire à cette logique que le Front National s’est converti au marketing politique dernier cri. Son programme est une épicerie idéologique : un saupoudrage social et anti-immigration, destiné à capter la détresse des classes paupérisées, agrémente une sauce aigre-douce où les particularismes identitaires flattent le pacte républicain pour mieux le dissoudre. Le tout  recouvre un noyau de préconisations pro-patronales pour rassurer les milieux d’affaire. Loin de vanter l’autarcie dictatoriale à la Mussolini, la ligne du FN est foncièrement compatible avec l’Union Européenne des transnationales.

Cette interprétation, en forme de scénarios cauchemardesques, a donc beau dépasser le simple constat empirique, elle s’étale dans les poncifs où la gauche et l’extrême-gauche croupissent. La crise est avancée comme cadre explicatif des soi-disant « succès de l'extrême-droite ». Ici, les deux acceptions fondamentales  (crise et extrême-droite) sont appréhendées faussement : la crise qui engendra les fascismes n’est pas similaire à celle enclenchée au milieu des années 1970 dans la mesure où chacune prend forme dans un régime d’accumulation capitaliste distinct. Par conséquent, les phénomènes réactionnaires à l’œuvre, défensifs et accompagnant la restructuration du rapport d’exploitation, doivent être saisis dans leur singularité historique et non pas en fonction d’apriori idéologiques.
Ainsi, même si un facteur de détérioration des conditions économiques et sociales est à prendre en compte dans une certaine propagation contemporaine de la xénophobie, de l’ « antisémitisme », du nationalisme et des replis identitaires, il serait plus pertinent de l'insérer dans une approche réactualisée de la crise. Il est, en effet, problématique de relier la menace croissante de l'extrême-droite à l'aggravation de la crise tout en étant forcé de reconnaître, par ailleurs, que la crise ne cesse de s’approfondir depuis... quarante ans !!! Si les rapports de classe ont été influencés par les multiples déclinaisons politiques et culturelles de la dévalorisation sous la domination réelle du capital, corollaire à la crise permanente, il serait judicieux de mieux peser ce paramètre, lequel est, selon nous, fondamental. En effet, des dispositifs de destruction de l'Être social prolétarien ont succédé aux mesures dictatoriales ou totalitaires de jadis pour mieux se fondre dans la normalité du rapport marchand contemporain.

Ne pas intégrer cela dans la grille d'analyse c'est, notamment, se condamner à être désemparé devant les mues de l'extrême-droite partidaire par lesquelles celle-ci sait désormais osciller entre posture de tolérance (Marine Le Pen, après avoir pris la défense des homosexuels, de la laïcité, vient d'inviter la « communauté juive » à combattre à ses côtés) et discours identitaire/sécuritaire/xénophobe. C'est dans la mesure où la fluidification du marché (l’« ultralibéralisme ») s'est appuyée sur l'extrême-droitisation (osons ce barbarisme) des relations sociales ces quarante années passées, que l'extrême-droite est une marchandise politicienne arborant, sans complexe, les codes et les traits de la fluidité aujourd'hui. Sur le plan de la typologie psychologique, l'individu rigide, discipliné, soumis à un ordre extérieur a laissé la place à la personnalité plutôt décontractée, individualiste et narcissique, attachée à faire fructifier son ego et son univers domestique selon les normes du marché. Cette tendance générale a profondément influé sur la redéfinition de l'extrême-droite et de ses vedettes.

En vérité, le Front National est un hochet, devenu épouvantail, agité par toutes les fractions de la classe bourgeoise. Il est l’arbre sans lequel la forêt de trahisons politiciennes, d’offensives patronales frontales, de dévalorisation tous azimuts de l’ouvrier total, ne pourrait se dissimuler de sorte qu’elle serait à nu, dans sa brutalité et sa barbarie sans nom. Mais c’est aussi un arbre de laboratoire, dont les feuilles et les racines viennent contaminer le reste du parc. En effet, tendanciellement, la société s’est « lepénisée » depuis le début des années 1980. Le Parti Socialiste ainsi qu’une partie de la droite a soutenu l’émergence puis l’installation du FN en tant que force électorale mais aussi de ses thèses identitaires et xénophobes au cœur du débat politicien, redéfinissant au passage les clivages encore en vogue à la fin des années 1970. Le PCF et l’extrême-gauche ont participé indirectement de ce mouvement général : après des décennies consacrées à réprimer le prolétariat révolutionnaire en son nom, ils se sont (facilement) écartés de la centralité de la lutte des classes (jusque, par exemple, vers un citoyennisme assumé par les staliniens, ou la dissociation revendiquée des « fronts » par l’extrême-gauche, laquelle segmentation a été propice à une « culturalisation » des sujets, de leurs revendications et luttes. Cette dilution de la lutte des classes dans un nouveau paradigme essentialiste, consolidé dans les années 1990, a consisté à se réclamer des assignations par lesquelles le pouvoir de classe catégorise pour mieux opprimer ; ce qui revient à entériner des catégories importées de l’univers idéologique de l’ennemi pour s’y aménager une place, comble de l’appui à l’ordre dominant !).
Ces transformations sont survenues car elles ont traduit et hâté la restructuration du régime d’accumulation. A partir de la décennie 1980, la marche capitaliste en quête de nouvelles voies de valorisation a dû sévir contre le prolétariat, parce que la productivité du travail était devenue trop élevée pour maintenir le rapport de valeur. L’accumulation a dû se poursuivre par le dépeçage du progrès humain. La projection de ce processus se niche, scintillante, dans le noyau de ce qui constitue la dynamique marchande depuis : un paradoxe exacerbé au point de mettre en péril tout rapport social, mais aussi le vivant. Pour perdurer, la relation capitaliste est devenue transgressive autant que répressive, impérialiste autant que particulariste, formellement tolérante autant que réellement déshumanisante, individualisante autant qu’uniformisante, confondant liberté et privation, dressant la pulsion contre le désir, l’émotion contre la sensibilité, apportant l’abondance marchande dans l’appauvrissement et la guerre. En somme, si la libéralisation économique et sociétale qui a accompagné la transnationalisation du capital à l’échelle planétaire ces quarante ans passés s’est combinée à  l’extension et l’intensification de la barbarie, c’est parce qu’elle s’est déroulée dans le cadre d’un capitalisme décadent.

Au-delà des solidarités prolétariennes qu’il fait voler en éclats, le bulldozer capitaliste bouleverse jusqu’aux formes de socialité les plus élémentaires auxquelles il substitue des connections interindividuelles solvables, qui sont autant de procédés de réaculturation marchande dans la compétition impitoyable du chacun contre tous.
Dans ces conditions, l’enracinement (religieux, culturel, ethnique) devient l’Alpha et l’Omega de l’idéologie marchande (de son centre conservateur jusqu’à ses pseudo-contestations) à une époque où celle-ci pénètre tous les interstices de la société pour les soumettre à son implacable uniformisation. Les représentations et valeurs communes précapitalistes sont convoquées dans un double mouvement qui revient à :

  • Maquiller le nihilisme du rapport marchand avec les qualités culturelles - essentialisées au passage - que le règne de la valeur d’échange avait préalablement désintégrées. Ce phénomène de réanimation artificielle, et toujours parcellaire, du vieux monde est aussi une forme de police efficiente qui tend à absorber la subversion contre l’ordre capitaliste.

Ce schéma identitaire recoupe l’échelle des représentations dominantes de l’identité qui façonne le sens commun sur le principe des poupées russes : les méga-identités civilisationnelles (par exemple : la « civilisation judéo-chrétienne » ou la « civilisation islamique ») enveloppent les communautés nationales, religieuses ou ethniques, qui elles-mêmes se divisent en micro-identités tribales ou familiales. L’individu est relié à ces différentes appartenances qui lui sont autant d’assignations. Car cet ordre identitaire général, en forme d’environnement regorgeant de conservatisme et de traditionalisme, est censé libérer la soi-disant triple essence « généalogique », religieuse et économique de l’individu, emprisonnée il y a encore quelques décennies dans les paradigmes laïques et redistributifs du précédent régime d’accumulation.
Le capitalisme identitaire concerne chaque classe sociale autant qu’il imbibe la praxis sociale :

  • L’identitarisme du grand-bourgeois est ce par quoi (politiques féroces à l’encontre du prolétariat, intransigeance de classe à l’égard des parvenus) il s’acharne pathétiquement à calquer sa fonction historique, enchaînée à la trivialité économique, sur la splendeur éteinte de l’épopée aristocratique, parée d’une supériorité sociale aussi indiscutée par le peuple qu’inaltérée par le temps.
  • L’identitarisme de la relation salariale impose la doxa managériale du « savoir être », gage de la communion avec les exploiteurs, aux exploités, que l’augmentation de la composition technique du capital et l’organisation scientifique du travail a préalablement dépossédés de leur savoir-faire.
  • L’identitarisme de l’acte marchand recouvre de préceptes religieux, de vogues ethniques, d’empreintes du terroir, le service ou l’alimentaire, vestimentaire, culturelle, vendu au supermarché ou sur internet. Le marketing ethnique et religieux, les modes consommatoires du « bon vivant » et du « bon produit local » en sont des illustrations.
  • L’identitarisme de la relégation se greffe sous forme de charité et de contestation là où le chômage décime et la dignité se cherche.
  • Dynamiser le capitalisme en crise.

Le recours à des formes d’affirmation identitaire (sur les deux plans production/consommation) est priorisé, d’abord parce qu’il est enjoint d’en haut (patronat, institutions, médias, partis politiques, forces religieuses) mais aussi parce qu’il répond à la quête d’une stratégie de survie dans les basses strates de la pyramide sociale, alors que les formes d’organisation de lutte ont été soit discréditées, soit anéanties. On l’aura compris, ces nouvelles identités n’ont rien d’un retour aux socialités passées qui dessineraient ainsi une sécession générale avec le capitalisme et son temps. L’histoire ne se déroulant jamais à rebours, cette marche arrière est tout bonnement impossible. En réalité, l’identitarisme est une redéfinition des modalités compétitives adaptée au capitalisme aussi déchainé qu’agonisant, où toute communauté est à la fois :

  • Une mouture circonstanciée et précaire parce que déterminée par les rythmes furieux de la valorisation capitaliste contemporaine,
  • Une infra-communauté intégrée dans le marché globalisé,
  • Une source d’avantages comparatifs au sein d’une concurrence interindividuelle devenue frénétique,
  • Un gage provisoire de sécurisation de l’écoulement de la production dans le cadre d’une accumulation sinistrée.

Les « communautés d’identité culturelle, ethnique, religieuse » (l’« identité nationale » n’est qu’une identité culturelle) émergent parce qu’elles sont en soi des allégeances d’un nouveau type au marché devenu totalitaire ; elles n’échappent pas à la valorisation capitaliste, bien au contraire, elles l’exaltent. L’intellectuel bourgeois, Jean-Loup Amselle donne une illustration de cette tendance, en se penchant sur le « business de l’alimentation ethnique » : « On assiste ainsi, en France, dans le cadre de l’essor du multiculturalisme, à la mise en exergue et  à la dramatisation des singularités culturelles, notamment dans le domaine alimentaire où celles-ci sont censées déboucher sur la constitution de « communautés » repliées sur elles-mêmes et incapables de communiquer les unes avec les autres. Mais, contrairement à toute attente, cette revendication multiculturaliste, loin de déboucher sur des fondamentalismes alimentaires de groupe, se loge en fait dans le modèle de plus en plus prégnant de l’individualisme des styles de vie. Le cas de l’alimentation, comme celui d’autres domaines, montre donc bien que le multiculturalisme est parfaitement congruent avec l’idéologie néolibérale qui influence de façon croissante les sociétés contemporaines. ». 
C’est ainsi que la rationalité calculatrice marchande déchire le cocon trop couteux de la raison instrumentale et universelle (démantèlement de l’ « État Providence » et de la propriété publique) de même qu’elle sape les bases de réapparition de la raison matérialiste-dialectique (en en détériorant avant tout le langage et la réceptivité). Chemin faisant, elle perce en de multiples points qui deviennent autant d’ouvertures, la boîte de pandore d’un nouvel obscurantisme, cet auxiliaire pro-capitaliste de dernier secours. Autrement dit, la logique marchande provoque le déséquilibre constant du marché globalisé, pulvérise le tissu social jusque dans ses moindres recoins (domestiques-intimes), dresse les uns contre les autres les fragments ainsi engendrés tout en sollicitant les ersatz de socialité archaïques, qu’elle remodèle à dessein, qui seront autant de source de régénération de la marchandise. Dès lors, la société, transformée en un agglomérat de jungles et de zoos marchands, devient la matrice de nouveaux liens de suzeraineté, entre entreprises, entre États, entre « communautés », entre individus.
Ce nouvel agencement social aux relents moyenâgeux est la résultante, le visage rétrograde, du capitalisme se perpétuant contre la reproduction sociale.
Dans cette conception, l’État gère la « société civile » à partir de stigmatisations arbitraires découlant de la dictature de l’économie, en absolu contrepoint de l’utopie démocratique (en cela, l’identitarisme des politiques sociales, économiques, sécuritaires, fait écho à l’identitarisme du marché : l’individu et les sous-groupes humains constituent des entités-cibles, identifiables à des comportements répondant au marketing). Il partage, souvent en le déléguant, ce pan de la gouvernance avec les émanations (associatives, entrepreneuriales, confessionnelles) directes de « représentants » (« ethniques », religieux, culturels) dont la légitimité repose, en dernier lieu, sur la puissance économique et la force militaire. Il ne s’agit pas ici de s’encombrer du choix électoral, de l’égalité formelle. Ce qui reste des pouvoirs régaliens est valorisé dans « l’Etat fort », lequel doit garantir, par la violence décomplexée (préventive et répressive), la permanence du marché contre les nuisances qu’il sécrète (délinquance, concurrence déloyale…). Celui-ci demeure pourvoyeur des résidus d’amortisseurs sociaux (qui sont autant de variables d’ajustement économique), vus en tant que privilèges soustraits aux « illégitimes » (immigrés, marginaux, etc. ; cette catégorie est modulable) pour être redistribués aux « légitimes ». Il n’existe ici pas d’idéologie unitaire (qui servaient de clefs de voûte, sous forme de succédanés du mythe, aux doctrines fascistes et nazies), lesquels ont été frappés de caducité sous l’effet des innombrables mystifications parcellaires véhiculées par le consommable. Il s’agit plutôt de proroger une société, déchiquetée par la privatisation globale, dont la cohésion tient de la guerre qu’elle mène contre toute socialisation étrangère à celle du marché. L’intérêt général du capitalisme, jusque-là maquillé en expression de l’universalisme démocratique, devient aléa de la lutte des intérêts particuliers, si sensible à la pression de ces derniers qu’il se dissout au profit d’un équilibre éphémère en forme de mosaïque identitaire instable. Un basculement s’opère : la loi se place sous l’égide des intérêts privés alors qu’elle était jusque-là chargée de réglementer le marché tout en le délimitant.

Dès lors, « la lepénisation des esprits », formule souvent usitée à tort et à travers, est plus complexe que la ritournelle où la confinent la gauche et l’extrême-gauche du capital ; elle n’est pas à prendre au sens littéral, étroit, du terme si l’on veut l’aborder pertinemment. Il s’agit plutôt d’un mouvement général opérant une hégémonie culturelle des registres idéel, esthétique et imaginaire de l’extrême-droite. Si l’on considère qu’il est vaste et en expansion, c'est-à-dire qu’il va bien au-delà des cercles d’adhérents aux idées fascistes et nazies, lesquels demeurent aujourd’hui très minoritaires, ce phénomène est la traduction idéologique, en France, du paradoxe esquissé plus haut : la lutte illimitée entre agents économiques qu’implique la contre révolution néolibérale, qui est aussi la concurrence marchande poussée à incandescence, évolue en weltanschauung identitaire, dont l’inclinaison est forcément autodestructrice pour les exploités. C’est le signe de l’avènement du capitalisme identitaire c’est à dire la conformation (non aboutie) du corps social aux impératifs réactionnaires de la « globalisation ultralibérale » (totalitarisme marchand + obscurantisme + identitarisme + réaction anti-ouvrière) ; transformation qui ne peut être envisagée que sous la contrainte accentuée de la classe capitaliste et de son Etat.

La singularité de l’évolution du Front National reste par conséquent plutôt anecdotique même si celle-ci illustre quelque peu le phénomène décrit ci-dessus : franchement ultralibérale jusqu’aux alentours de 2010, la ligne de ce parti oscille depuis entre plusieurs options politiques, différentes mais pas opposées, toutes prônant l’aggravation de l’agression du prolétariat par le capital. C’est que le FN a dû régulièrement ajuster son offre politique depuis son envol du début des années 1980, celle-ci variant selon l’écart, plus ou moins grand, qui l’a séparée de sa confirmation par la réaction institutionnelle/économique. Ce cheminement, par lequel le Front National a infusé de ses idées et thèmes toute la société, a aussi décanté ses aptitudes à recevoir l’onction du patronat et dès lors intégrer les plus hautes sphères institutionnelles. Mais, comme l’avoue lui-même le Jean-Marie Le Pen répudié, son parti sous-fasciste marionnette des medias, bien moins populaire que ceux-ci l’affirment, est loin d’être aux portes du pouvoir : « Ne nous faisons pas d’illusions sur la force réelle du mouvement. Le fait, réel, d’arriver en 1ère position lors des Européennes et des départementales ne doit pas nous aveugler. Le chiffre des voix obtenues doit être la vraie référence. Notre organisation, en progrès, reste très imparfaite, ainsi que la formation de nos cadres. Nous dépendons totalement des médias, puisque nous n’avons pas été capables d’avoir un journal (…) Ce sont les évènements qui nous rallient l’opinion de nos concitoyens, l’aggravation inéluctable de la situation (à laquelle, il faudra remédier après) peut nous conduire au pouvoir et à ses terribles responsabilités, mais nous n’en sommes pas aux portes, loin de là. »

Il est fort à parier que la trajectoire du FN sera en forme de montagnes russes (sans jeu de mots !) pour encore longtemps.

De nos jours, l’extrême-droite organique et les phénomènes réactionnaires, qui sont en fait deux réalités mêlées mais distinctes, ne sont compréhensibles qu’inscrits dans les processus historiques brièvement évoqués ci-dessus.

En synthèse, l'offre de l'extrême-droite actuelle trouve des points de jonction idéologique avec les prédispositions d’une partie de la population parce qu’elle célèbre des pans entiers de son mode de vie atomisé, réifié au point d’être déshumanisé et rempli de virulence identitaire.
Cela ne veut pas dire que nous assisterons à une mise en adéquation électorale avec ce phénomène - Il s’agit plutôt d’une portée idéologique - puisque celui-ci se caractérise, notamment, par une distanciation régressive (dans un particularisme agressif) avec le reste du corps social, et, à plus forte raison, avec la « chose publique », telle une sorte de rejet de l'appropriation de la praxis sociale par les institutions, fonction récurrente de l'État. Aussi, l’éclatement en cours du tissu social, foyer des plus funestes séparatismes, s'agrège mal avec les prétentions unitaires (quoique évidemment tronquées) de la composante classique du discours d'extrême-droite : Nation, République, État... De même, une très grande majorité des individus est devenue rétive à toute forme d'embrigadement, ce qui a longtemps été un problème pour l'extrême-droite partidaire et constitué un motif supplémentaire en faveur de sa recomposition.

Pour conclure (provisoirement) sur cette question, soulignons qu’il est parlant qu’on ne se bouscule pas pour s'interroger sur l’étroite relation entre le déploiement de la mentalité identitaire et les ravages occasionnés par le triomphe de la réification marchande en période de crise structurelle de la reproduction sociale. Cela semble un sujet réservé à quelques spéculateurs gauchistes, en mal d'intellectualisation.

Pourtant, il est flagrant que :

  • L'ordre capitaliste n'a plus besoin, depuis longtemps, de parti fasciste pour asséner des politiques ultraréactionnaires, 
  • L'État n'a jamais disposé de moyens et de méthodes aussi efficaces et brutales qu'aujourd'hui, rendant inutile l’encasernement de l’ordre social.
  • Les représentations du prolétariat (partis de gauche, syndicats de travailleurs) sont parfaitement associées à la réduction du capital variable en dessous de son coût de reproduction ; elles accompagnent, aménagent, la régression sociale. Le corporatisme tel qu’il existait sous les fascismes, est dès lors inutile, parce que dépassé par les résultats de l’efficiente collaboration de classe contemporaine.
  • Les rétractions xénophobes, identitaires, territorialistes, antisociales, sont banalement suscitées par la relation marchande contemporaine, au point de rendre la barbarie ordinaire.

De la gauche (et son extrême) du capital
comme foyers de recomposition du sous-fascisme

Afin de bien saisir ce à quoi nous avons affaire en face de l'extrême-droite (organique et non organique), il est donc nécessaire de ne pas fétichiser ce phénomène en l'enfermant, notamment, dans les schémas préconçus hérités de périodes révolues. Dans cette perspective, regarder ce qui se passe à la gauche et à l'extrême-gauche du capital, notamment sur le terrain des luttes « antisioniste », « antiraciste » et « antifasciste », est lourd d'enseignements. On peut ainsi y observer certaines des répercussions aussi grotesques que catastrophiques de la décomposition du mouvement ouvrier et mesurer combien la restructuration identitaire de la société submerge les acteurs et les discours. En effet, des sentinelles groupusculaires sous-fascistes sont parvenues à capitaliser sur les écueils, ou les nouveaux traits décomplexés, de la gauche et de l’extrême-gauche (confusion théorique, compromission politique, clientélisme, discrédit avéré au sein du prolétariat). C’est ainsi que la nébuleuse islamiste des Frères musulmans, pourtant en perte de vitesse (après qu’elle ait efficacement contribué, durant les années 1990-2000, au retour du religieux dans la société, encouragée à cette fin par les pouvoirs publics), peut encore aujourd’hui compter sur les partis de gauche, leur milieu associatif et leurs syndicats pour lui servir de vecteurs d’influence privilégiés.

Dans cette configuration, il arrive que des acteurs de la « gauche radicale » fricotent avec... L'extrême-droite !... Et nous pesons nos mots. Une tendance à l'œuvre depuis au moins le début des années 2000 se révèle petit à petit au grand jour : une partie de ce milieu militant a été gangrénée par la peste islamiste, notamment sous l'influence des réseaux français de la Confrérie des Frères musulmans, avec l'aide, notamment, de la section française du Socialist Workers Party, organisée dans le NPA.  Le résultat : des meetings qui s'enchainent regroupant l’AFApb (Action Anti Fasciste Paris Banlieue), CAPAB (Coordination Antifasciste Paris Banlieue), Le réseau (VISA) Vigilance Initiative Syndicale Antifasciste, le NPA, ATTAC, des sections syndicales de SUD, des encartés à Europe Écologie les Verts, des membres du PCF, du Front de Gauche, aux côtés du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), des Indigènes de la République, de l'Union des Organisations Islamiques de France, et de Participation et Spiritualité Musulmane (PSM).

Participation et Spiritualité Musulmane est la branche française du mouvement réactionnaire et obscurantiste marocain Al Adl Wal Ihsane (« Justice et Bienfaisance »). Cette organisation islamiste fondée en 1973 a assassiné des militants d’extrême-gauche dans les années 1990 et a tenu à défiler aux côtés de l’extrême-droite catholique à la « manif pour tous » en 2013 tout comme elle a sympathisé avec l’Alliance Vita, l’un des principaux lobbies anti-avortement en France.

Le Parti des Indigènes de la République a régulièrement déchainé le spectacle des polémiques depuis sa fondation en 2005. Ce groupe a beau avoir essuyé les critiques de nombreux politiciens et journalistes, ce qui a d’ailleurs grandement participé à sa publicité, il n’en demeure pas moins un incubateur de virulence sous-fasciste. Et cela à tel point que ce Produit de l’Imbécilité Réactionnaire s’adonne à redresser au moins deux piliers idéologiques de l’extrême-droite - l’antisémitisme et le racialisme - avec une morgue à faire pâlir les lepénistes endurcis. Voyons cela de plus près :

  • Ces derniers mois, Houria Bouteldja, la petite bourgeoise médiatique qui sert de leader au PIR, s’est livrée à un véritable crash test de son camouflage gauchisto-contestataire. Dans une allocution datée du 3 mars 2015, déjà tristement célèbre, elle a, comme d’habitude, fait montre de casuistique provocatrice en guise de raisonnement perspicace. Mais, cette fois-ci, elle s’est amusée à tremper sa pensée « décoloniale » dans la glaire laissée par Drumont et ses épigones ; inutile de dire qu’elle y a embrassé les insanités d’extrême-droite qui trainaient là. Quelques semaines après le massacre de Juifs à la Porte de Vincennes, le contexte devait sans aucun doute encourager Bouteldja à clarifier ses positions. Elle le fit donc, en présentant l’Etat comme « philosémite», c’est à dire privilégiant les Juifs. De là à considérer que l’Etat n’est qu’un instrument aux mains des Juifs, il y a moins qu’un pas. Mais la militante gauchislamiste est allée plus loin : puisque, d’après elle, « l’Etat colonial » favorise la mémoire de la Shoah au détriment de celle de l’esclavage et du colonialisme (Observons que l’extermination industrielle des Juifs est, en creux, mise sur le même plan que le système esclavagiste et la domination coloniale. Ici est niée la spécificité d’un crime contre l’Humanité organisé en entreprise capitaliste moderne.), les Juifs sont « vus, à juste titre, comme les enfants chéris de la République » ! Puisqu’ils sont liés au « projet israélien », « Les Juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe. ». En résumé, « parce qu’ils bénéficient aujourd’hui d’une « racialisation positive » d’une part, et que l’amalgame entre Juifs et sionisme est constamment alimenté d’autre part, ils détournent la colère des damnés de la terre sur eux et en même temps protègent l’infrastructure raciale de l’État-Nation. Ils protègent le corps blanc. » ce seraient les « goumiers » de l’Occident. Ainsi, l’antisémitisme, émanant supposément des « damnés de la terre », c'est-à-dire des dites « minorités raciales » (notons cette énième récupération par le PIR de l’imagerie révolutionnaire : « les damnés de la terre » désignent historiquement les prolétaires, c’est à dire ceux que le capitalisme exploite et opprime. Cette définition est d’ordre historico-sociale et absolument pas racialiste comme Bouteldja et ses potes voudraient le faire accroire), est, dans la bouche de la représentante du PIR, doublement légitimé. Il n’est donc pas surprenant que le PIR adoube, tout en feignant de se pincer le nez, le mariolle sous-fasciste Dieudonné : « D’abord, je commencerais par dire que j’aime Dieudonné ;  je l’aime comme l’aiment les indigènes ; je comprends pourquoi les indigènes l’aiment. Je l’aime parce qu’il a fait une chose importante en termes de dignité, de fierté indigène, de fierté noire : il a refusé d’être un nègre domestique. Même s’il n’a pas le bon logiciel politique dans la tête, il a une attitude de résistance ». Et j’ajoute, que bien avant la nature de ses alliés, ce que voient les indigènes, c’est ça. Un homme debout. On a trop été contraints à dire « Oui Bwana, oui Bwana ». Quand Dieudonné se lève, il guérit une blessure identitaire. Celle qui est causée par le racisme et qui abîme la personnalité indigène. Ceux qui comprennent « Black is beautiful » ne peuvent pas ne pas comprendre cette dimension, et je souligne, cette dimension de Dieudonné. »
  • Dès l’origine, le PIR a prétendu combattre la racialisation des rapports sociaux pour… s’en réclamer. Ceux qui douteraient encore que ce parti sous-fasciste soit tout bonnement racialiste, devraient écouter le discours d’Houria Bouteldja tenu lors des 10 ans du PIR. Ce galimatias, mal écrit, mal articulé, et rempli de contradictions grossières, parle de lui-même. La « race sociale », dernier gadget des apprentis idéologues PIRistes, donne instantanément des haut-le-cœur quand on sait combien la notion de « race », dont il est toujours bon de rappeler qu’appliquée à des groupes humains elle est une aberration scientifique, a été un ingrédient doctrinal majeur de l’horreur capitaliste au 20ème siècle. La « race » n’est ainsi qu’une notion « sociale », dégagée de tout ancrage dans les réalités biologique, physique, ou génétique. En ce sens, la race n’existe réellement que sur le terrain idéologique, qui lui-même est un dérivé du domaine social. Autrement dit, la race n’est qu’une idée (saugrenue et intolérable certes), à la fois expression d’une position dans le rapport social et partie intégrante d’un dispositif de lutte idéologique (au service de la classe capitaliste). Mais pour les PIRistes, il est hors de question de souscrire à cette définition, à laquelle ils préfèrent celle des racialistes, forcément racistes, qu’ils sont censés combattre. A leurs yeux, la race relève d’une taxinomie physique (couleur de peau, morphologie… Une telle catégorisation est toujours un bricolage chancelant.), et d’une essence culturelle (la culture est alors à la fois une invariance et une exclusivité, aussi enracinée dans « la communauté » que garante de traditions indubitables et éternelles). Dans cette optique, la race n’est sociale que parce qu’elle serait l’objet d’une oppression par un autre groupe défini d’après les deux critères susmentionnés : « les blancs » ! Ce recyclage, sur le mode victimiste, est aussi éculé que funeste. Prétendre dompter le concept de race en vue, par exemple, de l’affranchissement d’une « race asservie », c’est jouer avec le feu de l’ennemi. Rappel d’une banalité de base : loin d’être une voie de libération, l’affirmation raciale est intrinsèquement porteuse d’oppression et de crime. Appliquée à des « ethnies » et peuples asservis au cours de l’histoire, la libération raciale s’est systématiquement heurtée, à un moment de son processus, à la problématique de la lutte des classes (Etudier, notamment, la révolution dominguoise de 1792 à 1802 est riche d’enseignements ; cf le conflit entre les cultivateurs forcés de reprendre le travail et le Pouvoir aux mains de Toussaint Louverture). Il y a peu, les massacres des mineurs grévistes par les cerbères de l’ANC en Afrique du SUD, ont mis cruellement en relief ce simple fait que toute émancipation raciale sans libération du capital masque une féroce oppression de classe. Par extension, ces évènements sont venus confirmer à l’avance l’inanité de la notion de « race sociale ». Le racisme ne se combat pas par l’émancipation raciale mais en s’ancrant dans l’universalité du genre humain et la lutte pour l’abolition des classes sociales. Mais Bouteldja et ses acolytes s’essuient sur ces évidences : la « race sociale » est ici avancée pour se substituer à la classe sociale, dans un parallèle entre lutte des races et luttes des classes qui ne laisse aucune ambiguïté sur les intentions de ces falsificateurs. En niant la lutte des classes au nom de clivages raciaux immuables conférant des qualités transcendant la condition sociale, on devient immédiatement interclassiste, et donc procapitaliste voire ultraréactionnaire. C’est d’ailleurs ce que revendique crânement Bouteldja quand elle englobe dans cette même « lutte des races » qu’elle encense, « l’action des traitres comme Rachida Dati, Malek Bouti, Rama Yade » mais aussi celle des bourreaux décervelés comme Mohamed Merah, Amédy Coulibaly, et les frères Kouachi. L’ode à la« lutte des races » en forme de pot-pourri, où les mouvements sociaux côtoient les exactions de ministres ne consiste donc en rien d’autre qu’une minable apologie de la pacification sociale. Enfin, cette « race sociale », qui se donne du « sociale » pour éviter de couler dans le purin zoologique de Gobineau ou du nazisme, fait un sinistre écho à la fabrication très sociale et très politique, dont procède le génocide rwandais, des « ethnies » hutus et tutsi. C’est au nom de la « race opprimée » que les partisans du « Hutu Power », reprenant à leur compte le schéma racialiste des pères blancs belges, des ethnologues colonialistes et autres sicaires des intérêts criminels de la Françafrique, ont décimé près d’un million de Tutsis en 1994… Précédent historique en forme de circonstances aggravantes pour les racialistes, racistes, PIRistes.

Le point d’orgue du monologue réactionnaire de Bouteldja est atteint dans la glorification hallucinée de la mouvance des frères musulmans en général et du « succès de Tariq Ramadan » en particulier. C’est aussi le moment où les instigateurs de cette débauche de confusionnisme passent maladroitement aux aveux : toutes leurs grotesques contorsions, falsifications, récupérations, ne sont que des manières… de tapiner au bénéfice de « la confrérie ». Le moins que l’on puisse dire est que les PIRistes doivent encore faire des efforts en matière de camouflage sur le terrain très dangereux de la guerre sociale.

Balayer une verve aussi puante n’est donc pas difficile. Résumons : sur la forme, elle résulte d’un marketing discursif qui joue sur la stupeur et la déstabilisation en déversant des cavillations fulminantes empreintes de pédanterie logomachique. Enveloppé de déconstructivisme, d’anthropologie primitiviste et de tiers-mondisme, ce discours est une déclinaison très significative de la falsification intellectuelle généralisée qu’est le postmodernisme. En ce sens, puisque la raison universelle n’est qu’une « proclamation partisane » du « dominateur occidental », que toute idée ne peut que renvoyer à une identité, que seul le narratif est porteur de vérité (une vérité toujours relative et éphémère), la voix est libre pour tout montage falsificateur qui sera porteur d’ambiguïté, de contre-sens, de jugements péremptoires, de mensonge effronté, de conformisme déguisé (et avant tout au totalitarisme marchand) dans une mise en scène de la rage critique. Remarquons que ces différents aspects peuvent très bien s’accorder avec la sophistique religieuse, et notamment les procédés persuasifs et manipulateurs relevant de la taqîya. Maniés par des universitaires et militants de gauche, ces tours de passe-passe rhétoriques sont aussi l’occasion de grossières transpositions, sur un registre réactionnaire, des paralogismes propres à la dialectique mécaniste enseignée dans les casernes désaffectées du stalinisme et du trotskysme. Les raisonnements à 15 bandes, aussi oxymoriques que dépourvus de rigueur théorique, s’auto-justifient par la pseudo-stratégie qu’ils étayent. Sur le fond, rien ne tient. L’antisémitisme est servi à la louche, à partir d’une présupposition fausse qui fait des Juifs une communauté effective et organisée, laquelle aurait tordu l’action étatique à son bénéfice. Evidemment, comme tout identitaire, le PIR prend acte d’une société communautarisée pour justifier son idéologie communautariste. Ici, les mots sont censés révéler la vérité d’une situation historique alors qu’ils alimentent, en fait, une propagande aux accents performatifs. Des thématiques comme la « mémoire de la Shoah » et la politique israélienne sont exagérées dans le propos même qui dénonce leur démesure. Un bref retour aux réalités pourrait servir de déconditionnement rapide aux mangeurs de salades PIRistes : le chômage, l’exploitation capitaliste et la guerre, ces déterminations aussi globales que fondamentales de l’existence de chaque exploité, de tout opprimé, n’ont rien à voir avec une « mémoire de la Shoah  priorisée ». Allez dire ça dans les files d’attente au guichet de Pôle Emploi, on vous rira au nez quand on vous ne vous dégagera pas à coups de pieds dans le cul ! Quant à Israël et sa fonction de « relai des politiques impérialistes de l’Occident », il faudrait demander aux ouvriers bangladais traités comme des chiens au Qatar (vous savez, ce pays où Tariq Ramadan possède une fondation !) ce qu’ils en pensent, poser aussi la question aux prolétaires turcs et, tant qu’on y est, à ceux du monde entier ! Israël est un Etat capitaliste qui inflige l’oppression et souvent l’horreur aux travailleurs et petits paysans palestiniens, mais Israël n’est ni le capitalisme à lui seul ni l’intégralité de sa mécanique historique infâme. En réfléchissant un peu, on voit à quoi conduit la concurrence victimaire chère aux ethno-différentialistes de tous bords : braquer la critique sur une partie, un aspect, un moment, du capitalisme pour épargner celui-ci dans sa globalité. Enfin, notons qu’il n’est de système fondé sur la domination raciale que le capitalisme n’ait aujourd’hui remplacé. Des inégalités héritées de la période coloniale subsistent mais ne peuvent être justement analysées qu’une fois inscrites dans le déclin des salaires à partir du milieu des années 1970 et les politiques d’intensification de l’accumulation primitive enclenchées à la même époque. Les « indigènes » du système colonial devenu trop couteux se sont changés, pour une partie croissante d’entre eux, en une force de travail bon marché, dont l’immigration dans les centres de l’impérialisme postcolonial a été l’une des conditions de la surexploitation. Affirmer que cette logique est imputable au « prolétariat blanc », dépecé sous la terreur ultralibérale au même moment, c’est férocement protéger la véritable coupable, la classe capitaliste. Et ce n’est pas en tentant de plaquer le racisme structurel du capitalisme états-unien sur la condition des basses couches de la classe prolétaire en Europe et, en particulier, en France (comme si l’histoire du capitalisme et la composition du prolétariat en Europe et aux Etats-Unis étaient identiques !), que les PIRistes balaieront cette évidence. Car ils ont beau présenter la structuration communautariste de la lutte historique des noires aux USA en modèle - avec le renfort de la populiste Angela Davis - de la lutte des  « indigènes de la République », ils ne proposent rien d’autre que de pérenniser le capitalisme, voire d’accélérer la régression identitaire, marque de sa version dernier cri. Ils feraient mieux de bien regarder les émeutiers bigarrés de Ferguson qui ont rapidement éjecté de leur rang les icônes du mouvement noir américain, ces stars de la complainte pacificatrice.

Inutile de dire que le PIR adhère également aux saloperies patriarcales, promeut des structures réactionnaires comme le Hamaset le Hezbollah, confond sciemment fait religieux et identité culturelle verrouillée, exhorte au communautarisme bigot revanchard. Il assimile la critique de l'islam à du racisme, pourfend la séparation de la religion et de l'État au nom de la lutte contre le colonialisme. En synthèse, l’entreprise politique du PIR et de ses relais sert objectivement à perturber la recomposition du prolétariat comme force historique unitaire en tentant de le diviser à partir de critères tirés de l’idéologie bourgeoise réactionnaire (races, ethnies, nations, religions), séparations qui sont des impasses autant que des terreaux de potentielles luttes fratricides.

Le Collectif Contre l’Islamophobie en France est dans la même veine communautariste religieuse. Au-delà de son but premier qui réside dans l’intimidation de ceux, et avant tout les athées et les laïques, qui se dressent contre le communautarisme musulman, il montre, à lui seul, comment la lutte contre l’« islamophobie » se concilie parfaitement avec les derniers objectifs de valorisation du capital. A cet égard, le CCIF se targue de la nomination de son fondateur Marwan Muhamad au poste de conseiller spécial, en charge des questions d’ « islamophobie », à… l’OSCE ! Rien de surprenant pour ce trader qui a su développer pour la Société Générale le type de logiciels de trading, basé sur les algorithmes génétiques, permettant de hisser les techniques de spéculation boursière au degré du casino nihiliste.

Quant à L'UOIF, c'est une filiale de l'organisation internationale d'extrême-droite, la « Confrérie des Frères musulmans » (al-Ikhwan al-Muslimeen), fondée en 1928 par Hassan Al Banna, prédicateur impitoyable à l'encontre des laïques, dont le dessein était de faire régner la charia en Égypte. Organisation à visées expansionnistes épaulée dans les années 1930 par les nazis, la Confrérie des Frères musulmans s’évertue à restaurer le califat dans les pays musulmans. Ses militants ont décimé les algériens pendant la guerre civile des années 1990. En Tunisie, le gouvernement Ennahdha a confisqué l'élan révolutionnaire pour mieux réprimer la population tout en appliquant les diktats du FMI. Idem en Egypte avec le Président Morsi, du Parti Justice et Liberté, qui s’est finalement fait dégager sous la pression des masses, que ses recettes aussi ultralibérales qu’autoritaires avaient brutalement jetées dans la misère et l’oppression redoublées. En Turquie, on constate quotidiennement combien le gouvernement AKP (Parti pour la Justice et le Développement) d’Erdogan nuit au prolétariat. Et comme si cela ne suffisait pas, il soutient les désaxés sanguinaires de l' « État Islamique » en transformant la frontière de son pays en base-arrière des djihadistes, en leur livrant des armes mais aussi en s’improvisant premier receleur du pétrole qu’ils produisent. Ahmed Jaballah, cofondateur de l'UOIF a déclaré : « L'UOIF est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite la société islamique ». Cette organisation a la mainmise sur le Conseil Européen de la Fatwa - Exécutif religieux de l'Union des Organisations Islamiques en Europe. Le 28 juillet 2013, l'une de ses fatwas appelait à ne plus dire "attentats suicides" mais "gestes de martyrs". En sus de justifier les attentats kamikazes islamistes, cette secte est évidemment homophobe, rabaisse les femmes à la fonction de reproductrices soumises, est violemment procapitaliste. Après la tuerie du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, l’UOIF a fait l’objet d’une déclaration de guerre indirecte de la part de Manuel Valls. On verra pourtant que derrière la mise en scène, les Frères musulmans n’ont rien à craindre des autorités françaises.

Structure panislamique très expérimentée, la Confrérie des Frères musulmans fait souvent figure de maison mère de l’islamisme, tant ses ramifications sont étendues, diverses, et son histoire est riche. Internet regorge d’articles lui étant consacrés ; une bibliographie fournie, en français, lui est dédiée. Malgré cela, et en dépit des rudes affrontements du mouvement social au Maghreb et au Machrek contre les disciples d’Hassan Al Banna, les voix ont été bien rares, jusqu’à récemment, pour décrire ce qui est tout simplement un cas d’école de la mise en pratique, au sein la militance de gauche hexagonale (politique, syndicale, associative), des méthodes classiques de déploiement de « l’islamisme total » des Frères musulmans. Celles-ci consistent à investir de façon souple, apparemment ouverte aux compromis et plus ou moins informelle, les champs de réflexion, d’expression et d’intervention des opprimés, pour tenter d’en capter les aspirations qui seront, synchroniquement, canalisées vers le développement de l’islamisme. Comme dans les quartiers pauvres du Caire durant les années 1990 et 2000, où ils s’implantèrent en tant que nouveau détenteurs privés de la protection sociale que leur jetaient en pâture les politiques ultralibérales du gouvernement, les Frères musulmans s’intéressèrent de très près, dès le milieu de la décennie 1990, à la détresse sociale émanant des banlieues déshéritées en France, à forte concentration de population d’origine immigrée. Les réponses proposées par ces vermines ont respecté le principe de décloisonnement entre le religieux, le culturel, le privé et le politique, inscrit au cœur de la démarche de la secte. Mus par une démarche territorialiste, leurs militants ont établi des réseaux caritatifs, d’entraide économique flanquant les structures confessionnelles, politiques et culturelles. L’ensemble s’est chargé de façonner une subjectivation d’une identité musulmane, à l’ombre de la relégation sociale permise par le recul de « l’État Providence », le développement du chômage de masse et l’écrasement des salaires. Comme le mentionne Marie Vannetzel, en tentant de caractériser les méthodes d’implantation des Frères musulmans en Egypte, « le brouillage des frontières entre activités sociales, religieuses et politiques, entre Frères et non-Frères, ou entre désintéressement et concurrence politique, est ce qui nous paraît précisément constituer le vecteur de diffusion, informel et donc difficilement répressible, d’une conception originale du politique. Au sein de celle-ci, l’individu occupe une place centrale : cela n’en conduit pas pour autant à un processus de dépolitisation, mais satisfait au contraire l’objectif politique de transformation sociale par « la réforme des âmes ». Le politique, chez les Frères, voire l’idéologique, est affaire de morale au sens où c’est l’individu moral qui constitue le sujet politique par excellence : il est érigé en vecteur et cible de l’action politique, car c’est en lui, bien plus que dans l’État, que se situe l’intérêt collectif, et c’est donc à son niveau que la réforme doit prendre place, ici et maintenant ». Disposant de plus de liberté que sous le régime de Moubarak, les Frères musulmans en France ont raccourci les étapes de structuration imposées ailleurs par la clandestinité. Ils en ont cependant gardé un savoir-faire efficace en matière de développement de réseaux de proximité, basée à la fois sur des formes d’entraide, de contestation et d’emprise individuelle. Le résultat doit s’incarner, selon Tariq Ramadan, dans le « citoyen musulman », agent actif de la promotion des préceptes coraniques dans tous les domaines d’activité humaine. Cette figure, à la fois postmoderne (dans le sens où elle répond aux dernières mutations du capitalisme ; en bien des points conforme au schéma multiculturel anglo-saxon) et antimoderne (puisqu’elle diffuse la réaction obscurantiste) se propage sur l’effritement de l’unité de classe du prolétariat, qu’elle s’attache à aggraver. Nantis autant que rodés aux mouvements de contestation ainsi qu’aux champs du social échappant à la mainmise politicienne, les Frères musulmans disposent de moyens financiers importants qu’ils investissent dans l’alternative à un système ou un régime politiques dominants. Ils savent en quoi l’alternativisme identitaire mêlé de contestation sociale peut être un terrain propice à la réaculturation des laissés pour compte selon leur visées totalitaires. Les militants de cette secte virulente n’ont pas eu de mal à croiser les mains tendues des opportunistes sociaux-démocrates, et ceux de la déconfite gauche marxiste-léniniste (stalinienne, trotskyste) mais aussi chrétienne, tous orphelins des masses qu’ils souhaitent néanmoins voir maintenues sous leur contrôle policier partout où la révolte est susceptible d’éclater. L’essoufflement de grossiers instruments de manipulation politicienne tels que SOS Racisme ou Ni putes Ni Soumises a participé à ouvrir la voie aux adulateurs hexagonaux d’Hassan al-banna. Le mouvement altermondialiste leur a servi de caisse de résonance alors que leurs organisations écloraient au grand jour médiatique, favorisés par le battage identitaire généralisé, autour du « choc des civilisations », de l’après 11 septembre 2001. A quelques mois d’intervalle, en 2003, Nicolas Sarkozy en personne, cet ami du doctrinaire numéro un de cette Confrérie, panégyriste d’Hitler, Youssef al-Qaradâwî, allait propulser l’UOIF à la tête du Conseil Représentatif des Musulmans de France. Empruntant les pas islamophiles de Jean-Pierre Chevènement, ses manœuvres visaient certainement à attiser la réaction fondamentaliste, tout en tenant lieu de prétexte aux politiques sécuritaires et xénophobes. D’un côté, un groupe d’intégristes devenait le pivot d’une fraîche institution communautariste religieuse (CFCM), c'est-à-dire l’interlocuteur privilégié, en tant que représentant des « musulmans de France », des pouvoirs publics. De l’autre, ces mêmes islamistes trouvaient leur pouvoir de nuisance revigoré auprès des pauvres puisque leur propagande identitaire se renforçait désormais du soutien des plus hautes sphères de l’État. La prise en tenailles pouvait opérer sur les populations prolétaires issues de culture musulmane. Les apparences trompeuses relevaient d’un jeu pervers où Sarkozy réprouvait les positions de Tariq Ramadan lors d’une émission télévisée de grande écoute au moment où il institutionnalisait l’islamisme de l’UOIF. L’intégrisme pouvait tranquillement redoubler ses pressions prosélytes tandis que la répression policière l’utilisait comme alibi pour s’intensifier dans les quartiers dits « sensibles ».
En 30 ans d’activisme, la mouvance des Frères musulmans, si elle n’a finalement séduit que chez certaines couches étudiantes et petite-bourgeoises plutôt que d’attirer les plus désœuvrés, n’en a pas pour autant échoué à contribuer activement à la banalisation de l’identitarisme religieux chez les opprimés, cette autre borne de la stigmatisation raciste, ouvrant grand la porte au salafisme, au wahabisme et au tabligh ainsi qu’à leurs meilleurs ennemis, les xénophobes franchouillards, que sont les crétins sarkozystes, lepénistes, les cloportes de Riposte laïque et autres B(loques) Identitaires.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que douter de la naïveté des militants de gauche et d’extrême-gauche qui s’affichent aux côtés de ces réactionnaires religieux, d’autant qu’il n’existe aucun précédent historique où l’alliance entre gauchistes et islamistes a permis de convertir ces derniers au combat révolutionnaire. Les exemples plaident plutôt en faveur de l’inverse : qu’on songe aux fourvoiements suicidaires de la plupart des partis de gauche et d’extrême gauche durant la révolution iranienne de 1979. Plus récemment, l’alliance entre les structures militaires (YPG/YPJ) du PYD, c'est-à-dire le PKK syrien, et des brigades de la très islamiste armée syrienne libre (FSA) et du Front Islamique (Brigade al-Tawhid) pour combattre l’État Islamique, reste très fragile parce que basée sur des considérations stratégiques plutôt que sur une convergence politique. D’autres factions de la FSA viennent d’ailleurs de déclarer la guerre au PYD. Mais cet exemple trouve vite ses limites, puisque le PYD ne lutte aucunement pour l’abolition du capitalisme mais bien en faveur d’une formule alternative de son développement, plus « démocratique » que celles actuellement en lice dans ce conflit régional. Cela ne remet évidemment pas en cause les qualités humaines et relationnelles, comme la bravoure, la solidarité et l’égalité des sexes, que les combattant(e)s kurdes savent opposer victorieusement aux monstres de l’EI. Au passage, notons que la gauche théophile française exhibe son grand écart entre acoquinement avec les Frères musulmans et soutien à la gauche kurde (PYD, HDP, PKK) sans recueillir de condamnation de la part de celle-ci. Elle a ainsi pu manifester le 25 juillet 2015 pour s’indigner de l’attentat commis quelques jours auparavant à Suruc en Turquie. L’immonde opportunisme de formations comme le NPA ou la Ligue Trotskyste de France n’en ressort pas moins saisissant à qui se souvient des manifestations pro-Hamas de l’été dernier où ces organisations braillaient avec le PIR, le collectif Cheikh Yassine, et autres réactionnaires religieux les mêmes mots d’ordre criminels de « Soutien total et inconditionnel à la Résistance palestinienne sous toutes ses formes » et « soutien à la campagne BDS – Boycott, désinvestissement, sanction contre l’Etat d’Israël ». Que le Hamas, branche des Frères musulmans en Palestine, embrigade, à grand renfort d’appels au djihad, les prolétaires palestiniens pour les envoyer à la boucherie contre d’autres prolétaires, israéliens, voilà ce qu’apprécient nos gauchislamistes hexagonaux. Que le Hamas écrase sous son pouvoir mafieux, antisémite, anticommuniste et dictatorial, toute velléité de contestation sociale, qu’il s’acharne à écarter toute perspective d’unification dans un même combat de classe du prolétariat palestinien avec le prolétariat israélien, voilà ce qu’admirent ces mêmes gauchislamistes. Ceux-ci ont choisi leur camp : celui de la saloperie réactionnaire, pro-capitaliste, la même qui fabrique des campagnes pseudo-contestataires interclassistes, citoyennistes, chauvines. Rappelons que toutes les formations des Frères musulmans s’opposent activement à « l’établissement d’une entité kurde en Syrie ».

Les billevesées théoriques avancées par les « anticapitalistes » théocompatibles pour justifier leur enrobage vert obscurantiste ne serviront pas longtemps à dissimuler une vérité élémentaire : pour s’allier avec des réactionnaires, d’où qu’ils viennent, il faut déjà l’être soi-même. C’est ce que leur lancent à la gueule les anarchistes égyptiens du Blackblocairo, qui ont lutté impitoyablement, jusqu’à verser le sang, contre les Frères musulmans de Morsi. C’est ce qu’auraient pu aussi leur dire les antifascistes rennais qui ont réussi à faire annuler en 2011 une conférence commune entre Alain Soral et Hassan Iquioussen, prêcheur antisémite de « banlieue » et membre de… l’UOIF ! Mais, ce serait certainement en vain, car se confronter une fois de plus à la mauvaise foi teintée de duplicité, puisque tout militant averti sait que Soral et Dieudonné avaient été antérieurement invités au congrès de l'UOIF, et qu’il relève, par conséquent, de la prise de position que de mal peser cela. Une  telle attitude consiste ni plus ni moins à feindre d’ignorer l’essence réactionnaire de l’islamisme, laquelle conduit naturellement ses organisations à s’acoquiner, en France, avec l’extrême-droite plus « traditionnelle ». Illustration supplémentaire (s’il était nécessaire) : le Parti des Indigènes de la République a longtemps pris position en faveur de Kemi Seba, antisémite notoire, partisan des thèses de Farrakhan, qui n'hésitait pas à tenir des rassemblements aux côtés d'un groupuscule néo-nazi il y a encore quelques années. Le PIR est obnubilé par le « deux poids deux mesures » comme lorsqu’il dénonce « l’État raciste et islamophobe » ou « le pouvoir blanc ». Il n’a vu pourtant aucun problème à user de ce même « deux poids deux mesures », pour refuser de condamner les attentats survenus contre Charlie Hebdo en 2011 et se dresser contre la dissolution du groupuscule néonazi Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires ! Récemment encore, Pierre Tevanian, idéologue en chef du PIR, affectait de s’afficher aux côté de l’islamiste belge Souhail Chichah, adulateur de Soral jusqu’en 2013 et partisan de la lapidation de Caroline Fourest, qu’il compare sans sourciller à… Jean-Marie Le Pen !

Enfin, c’est en ayant les mêmes vérités élémentaires en tête qu’on peut comprendre pourquoi « Gaza Firm », ce groupuscule soralien emmené par Mathias Cardet, a défilé sans rencontrer d’accrocs dans le même cortège que les antifascistes de l’AFApb et de la CAPAB durant des manifestations parisiennes pro-Hamas de juillet 2014.

Les accointances entre ce petit monde anti/sioniste/raciste/fasciste et des formes aussi rénovées qu’arrogantes de la réaction sont donc une projection d’un phénomène plus vaste, qui voit les frontières idéologiques entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite à nouveau se brouiller. Les exemples se bousculent ; l’alliance entre Syriza, cet écœurant clébard austéritaire, modèle du Front de Gauche, et « les Grecs indépendants », petit parti nationaliste, aussi xénophobe qu’homophobe, pourrait suffire à elle seule à déciller les yeux des moins voyants.

Au hasard des multiples exemples qui s’offrent à nous, arrêtons-nous à l’échelle d’une collectivité locale comme celle de Bagnolet. Lors des dernières élections municipales, l’ex maire PCF Marc Everbecqa bénéficié du soutien du Collectif des Organisations Musulmanes de Bagnolet au travers du mouvement « Un nouvel espoir pour Bagnolet ». Cet investissement du champ politique par une formation religieuse a été en soi un indice du caractère très particulier dudit collectif. La marque du Parti des Indigènes de la République est ici facile à distinguer, d’autant que les amourettes entre le PCF local et l’organisation sous-fasciste duraient depuis un certain temps. Bagnolet avait accueilli le Printemps des quartiers populaires en 2012. Un certain Youcef Brakni, membre du PIR et d’une association de la même veine, le GAB (Groupe d’Association de Bagnolet), a soutenu activement Everbecq. Ce militant islamiste s’est amusé à  prendre le conseil municipal de Bagnolet pour une tribune de propagande pro-djihadiste, à l’occasion d’un discours au sujet de l’agression sioniste à Gaza en juillet 2014 ! Ce même Brakni n’avait pas hésité à signer un appel condamnant le désistement de Morsi par l’armée égyptienne, suite aux manifestations monstres contre ce président membre de la Confrérie des Frères musulmans. On concède que l’appareil PCF a décidé finalement, face au scandale déclenché par l’article dans Le Point, de ne pas soutenir la candidature d’Everbercq. On ne nie évidemment pas les récupérations de ce type de collusions par la Droite, l’extrême-droite traditionnelle ainsi que le PS. Mais, il est évident que ce genre de ramification n’est pas un cas isolé, qu’il ne serait pas possible s’il n’existait une véritable porosité entre des formations islamistes et une partie de la gauche et de l’extrême-gauche.

Pour en rester dans le domaine de la politique municipale, évoquons quelques instants la passe d’armes entre deux gauches de gouvernement et leurs alliés gauchistes, qui est survenue à propos de la programmation d’une conférence de la médiatique Rokhaya Diallo dans le cadre d’une « semaine pour l’égalité homme-femmes » organisée du 5 au 9 mars 2015 par la mairie du XXème arrondissement de Paris. Ici, les fausses oppositions se sont agitées, une fois de plus. Sous l’effet d’une pétition à l’initiative de la revue Prochoix contre la programmation de cette réunion publique, la maire PS Frédérique Calandra décida l’annuler l’événement. La mouvance du PIR et des « Indivisibles » hurla alors contre la « gauche raciste », pointant le refus du PS d’ « associer la lutte pour les droits des femmes au combat contre les discriminations et à celui contre les injustices sociales », ce qui est, dans l’absolu, vrai. Le problème, c’est que les Rokhaya Diallo et autres Christine Delphy ne trouvaient rien à redire face à cette gauche raciste, quand celle-ci, via la majorité municipale, promouvait encore leur intervention publique. Autre contradiction : en matière de lutte contre les discriminations racistes et sexuelles, le Ben Laden admiré par R. Diallo a plutôt fait ses preuves en exacerbant monstrueusement celles-ci. Quant à Michel Collon, compère de R. Diallo, avec qui celle-ci tint une série de conférences en 2010, son ancrage à l’extrême-droite n’est plus à démontrer. En termes de lutte contre les injustices sociales, Tarik Ramadan est définitivement du côté des bourges, et l’Emir du Qatar, que « Les Indivisibles » ont appelé publiquement à racheter Charlie Hebdo pour que cesse « les caricatures diffamantes et islamophobes du prophète Mouhammad », est une caricature de parasite capitaliste. Les provocations de ces rebelles en toc en disent long sur leur référentiel réactionnaire. C’est certainement parce qu’ils font très peur à l’ordre en place que ces mêmes dissidents ont reçu le renfort de journaux très prolétaires comme Les InrocKs,  Libération, et le très islamophile « Mediapart ». Le débat public a finalement eu lieu en marge de la programmation initiale, avec l’aide d’EELV qui n’a toujours pas rompu avec « la gauche raciste » municipale…

Sur le terrain syndical, l’activisme des gauchislamistes a récemment conduit à une situation ubuesque à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPE) de l’Académie de Créteil, composante de l’Université Paris Est Créteil. L’intersyndicale des formateurs a décidé de saisir la direction afin qu’elle interdise le port du voile durant les cours dispensés aux étudiantes-stagiaires en vue de l’obtention du diplôme de professeur des écoles. D’un côté, le syndicat SUD Éducation, membre de l’intersyndicale a participé à cette initiative. De l’autre, le syndicat Solidaires étudiant-e-s est monté au créneau pour dénoncer « le racisme » et les « humiliations » dont seraient ainsi victimes les étudiantes portant le voile islamique. La solidarité syndicale est ici rompue au profit d’une agitation pernicieuse qui, au nom de la lutte contre l’ « islamophobie », promeut une laïcité au rabais ainsi qu’une banalisation du sexoséparatisme portée par la réaction religieuse. Parmi la panoplie des arguments déclinés pour défendre les victimes des « formateurs racistes », soulignons celui qui oppose la volonté de ne pas accepter le voile lors des cours à la lutte contre la dégradation ultralibérale de l’université, comme si ces deux positions étaient incompatibles ; raisonnement tout bonnement absurde. Au contraire, arborer ostentatoirement un signe distinctif imposé par une communauté de croyance est tout à fait conforme à l’involution actuelle qui transforme l’université en un supermarché. Les réformes de l’université intervenues depuis 2007 ont engendré, parmi leurs effets nauséabonds, celui de travestir la relation de l’institution avec l’étudiant en clientélisme, avec toute la perméabilité aux particularismes que cela encourage.
Comme par hasard, l’association Étudiants Musulmans de France (EMF) liée à l’UOIF, s’est publiquement félicitée de la prise de position de Solidaires étudiant-e-s Créteil. Comme par hasard aussi, on retrouve les ayatollahs du gauchislamisme, fondateurs du PIR, les très universitaires Christine Delphy et Pierre Tevanian, figurant parmi les signataires d’une pétition en soutien aux étudiantes, bientôt professeures, voilées.

En poursuivant ce focus sur le syndicalisme aussi particulier que très clivé qu’on rencontre à SUD Éducation dans le Val de Marne, mentionnons les motions islamophiles votées lors de l’assemblée générale du 20 mars dernier, en pleins remous. Celles-ci parlent d’elles-mêmes :

  • « Usage du terme « islamophobie »
    Proposition 1 : consensus 
  • Solidaires refuse-t-elle toujours de signer un texte si l'UOIF et PSM ?
    20 contre, 0 pour, 5 abstentions, 1 NPPV »
  • Contre l'extension de la loi de 2004 à l'université :
    20 pour, 0 contre, 6 abstentions, 1 NPPV
  • Contre la note ministérielle du 22 janvier étendant aux étudiant-e-s stagiaires l'interdiction du port des signes religieux à l'ESPE ?
    16 pour, 11 contre, 3 abstentions, 2 NPPV
  • amendement « SUD Éducation Créteil rappelle aussi son attachement au respect d’un enseignement laïque, notamment lorsqu’il s’agit de la formation initiale ou continue des enseignant-e-s. La liberté religieuse ne peut conduire de la part d’élèves professeurs à refuser la distinction entre croire et savoir ou à contester leur mission de développement de la pensée rationnelle chez les élèves. La mixité, l’égalité des sexes et des sexualités, la liberté de jugement et d’expression et l’antiracisme sont des valeurs nécessaires à porter dans les formations en ESPE »
    31 pour, 0 contre, 2 abstentions, 1 NPPV
  • « Sud éducation Créteil s'oppose à toute poursuite envers Solidaires étudiant-e-s suite à son communiqué »
    16 pour, 10 contre, 4 abstentions, 0 NPPV
    « et soutient Solidaires étudiant-e-s »
    14 pour, 13 contre, 2 abstentions, 1 NPPV »

Devoir rappeler les principes élémentaires d’un enseignement digne de ce nom (la croyance n’est pas le savoir, le rationnel prévaut sur l’irrationnel) pour mieux accepter de collaborer avec l’UOIF et PSM, un programme… en forme de tourbillon vers les ténèbres de l’obscurantisme !

Enfin, il ne faut pas omettre de relever l’événement qui a eu lieu, parallèlement aux agitations religieuses à l’ESPE de Créteil,  sous la devise « Ni Dieu Ni Maître » à la bourse du Travail de Paris. Le 20 mars dernier, la très lambertiste Fédération Nationale de la Libre Pensée, conjointement avec la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme et  l’Union rationaliste y a organisé un colloque sur le thème « Laïcité et Libertés Publiques », dont elle s’est félicitée du succès. Était notamment invité à palabrer, le très conservateur Mohammed Moussaoui, Président de l’Union des Mosquées et Président d’honneur du CFCM. On imagine qu’en matière de laïcité et de libertés publiques, Moussaoui, qui, guidé par sa religion ne peut reconnaître les mêmes droits aux homosexuels qu’aux hétéros, a su défendre les bienfaits du projet de réforme du code pénal qui menace actuellement les marocains. Mais pour cela, encore aurait-il fallu qu’il soit interrogé par ses farceurs de comparses athées, ce qui ne fut bien évidemment pas le cas…

Un texte courageux d'une camarade communiste libertaire, traitant de la problématique gauchislamiste, a circulé dernièrement : 
www.streetpress.com/sujet/1425034331-pourquoi-je-n-irai-pas-au-rassemblement-contre-l-islamophobie-aux-cotes-de-l-uoif

On ne peut cependant partager le souci de militer pour un redressement de l’extrême-gauche du capital qui préside à cet écrit. En effet, aucun ménage, si rigoureux et intransigeant soit-il, ne donnera ni au PCF ni au NPA un visage plus acceptable ; ces organisations sont, par définition, des dégénérescences du bureaucratisme criminel décliné au nom du prolétariat durant le 20ème siècle. S’il est nécessaire de pointer les embranchements entre la réaction d’extrême-droite et celle d’extrême-gauche, c’est dans le but de les affronter dans une même lancée. La lutte contre le fascisme passe par la lutte contre le bolchévisme, comme pouvait déjà l’avancer très justement Otto Rühle. Nos camarades du groupe Vosstanie ont corroboré cette affirmation dans un article lucide quant au combat contre le confusionnisme, ses enjeux et ses possibles écueils.

On pourrait relever l’aspect minoritaire, cantonné aux sphères militantes, de l’expérimentation qui voit les islamistes instrumentaliser l’extrême-gauche comme fer de lance de la banalisation de la confusion entre identitarisme religieux et contestation sociale. Mais l’enjeu est pourtant de taille pour le prolétariat révolutionnaire. Cette manœuvre est un test. En essayant de capitaliser sur les tares de l’extrême-gauche française, l’extrême-droite islamiste peaufine ses méthodes d’implantation au sein des mouvements sociaux. Mais ce n’est pas tout. Fondamentalement, elle met au défi la radicalité contemporaine du prolétariat, ce qui est une façon d’en prendre la mesure, d’en sonder la portée théorique, l’audace stratégique, la force de frappe pratique. Il est donc capital de mettre à nu cette attaque avant de lui asséner une défaite exemplaire ; nos repères, notre efficacité, ainsi que nos perspectives sont mis à l’épreuve. Notre réponse sera victorieuse à condition d’affirmer catégoriquement pourquoi et en quoi révolution sociale et extrême-gauche du capital sont antinomiques.

Les enchevêtrements funestes, que nous avons tenté de décrire sommairement ici, tiennent donc de facteurs endogènes à la gauche et l’extrême-gauche du capital ainsi qu’à la force de diffusion de la réaction islamiste organisée. Mais pas uniquement. Nous resterions prisonniers d’un empirisme obtus si nous ne connections pas ces phénomènes aux plis du développement général des rapports de classe que nous avons résumés plus haut sous l’appellation de « capitalisme identitaire ». Mais ce ne serait pas encore suffisant. Notre souci d’inscrire notre analyse dans une vision de la globalité portée sur les rapports de production serait en effet vain s’il ne se doublait de la prise en compte de la coalition des principaux pouvoirs religieux visant à hâter le modelage de la société sous l’impact de leurs manœuvres théocratiques, dont il est peu de dire qu’elles participent de la dynamisation du capitalisme identitaire. Dans cette configuration, le clergé catholique tient lieu de chef d’orchestre, de coordinateur. Attardons-nous donc quelque peu sur la doctrine sociale de l’Eglise. Celle-ci fait office d’arsenal idéologique, en Europe et donc en France, transposable dans les dispositifs prosélytes des autres monothéismes, que les soldats de Dieu ont su efficacement actionner à tel point que ses principes, visions et autres notions ont profondément pénétré non seulement les institutions étatiques mais aussi la praxis sociale. 

La doctrine sociale de l’Eglise,
bréviaire du capitalisme identitaire

A cette étape de notre propos, qui tente imparfaitement de saisir, sur le plan théorique, l’une des plus grosses fibres du canevas capitaliste contemporain, il convient donc d’évoquer la fonction occupée par la doctrine sociale de l’Eglise dans le façonnement du capitalisme identitaire. Il ne s’agit pas de restituer le bien-fondé d’un monolithisme idéologique, dont l’analyse ci-dessus a essayé de montrer qu’il était plutôt rendu caduque tant par la plasticité qu’en raison du très haut degré d’intégralité atteints par le présent mode de production. Pour autant, s’attarder un instant sur la relation entre la doxa ecclésiastique et les institutions, en particulier à leur niveau européen, afin, dans un même élan, de la confronter à la fois aux principes guidant les politiques publiques et aux croissantes marges de manœuvre multidimensionnelles laissées aux acteurs privés, renseigne sur l’importance acquise par la doctrine sociale de l’Eglise en matière de « gouvernance » politique, économique et sociale. En ce sens, l’Eglise catholique apostolique et romaine, flanquée de ses alliés monothéistes dans un assaut œcuménique, est partiellement parvenue à modeler une société conforme à ses desseins pro-capitalistes, obscurantistes, et ouvertement réactionnaires (c'est-à-dire hostiles à la lutte des classes et par extension au mouvement révolutionnaire).
La ductilité du message chrétien, parée de ses qualités d’adaptation à la dynamique du réel, de mystification et de falsification, est venue traduire, depuis la fin du XIXème siècle une politique aussi interventionniste que hautement stratégique du Vatican sur le terrain de la lutte des classes. Cette souplesse apparente, qui à coup de prédications emmiellées, distribue les bons sentiments pour masquer un féroce noyau en forme de plan de sauvetage général du capitalisme en crise, a réclamé, autant qu’elle a précipité, l’avènement d’un rapport social fluidifié dans la coercition, modernisé dans la régression. Dans cette lignée, l’Eglise, fraîchement défaite des liens qui la nouaient aux fascismes et après avoir lourdement pesé dans la répression de l’élan révolutionnaire des années 1960/70, puis dans la chute des bureaucraties staliniennes, a participé à aiguillonner l’involution identitaire du rapport capitaliste, prioritairement au travers de la construction européenne. Par-là, elle est venue se joindre à la formidable offensive idéologique, consubstantielle à la globalisation ultralibérale, menée par les bellicistes protestants états-uniens, dont les fondamentalistes juifs seront les alliés et les intégristes musulmans les meilleurs ennemis. Cette attaque tous azimuts, rappelons-le, a consisté, à partir de la décennie 1980, à discréditer tout ce qui relève de l’universalisme laïque, du cosmopolitisme, de l’égalitarisme (que la Révolution française consacra suffisamment pour avoir subi les foudres des François Furet et autres historiens néoconservateurs à gage) au profit d’un agressif revival religieux, du multiculturalisme, de la surexploitation déchainée. Ainsi, les agissements du Pouvoir clérical dans le domaine temporel ces quarante dernières années ont grandement concouru autant qu’ils ont reflété l’extrême-droitisation des rapports sociaux : alors que ses ouailles, affranchies de son endoctrinement direct, désertaient ses églises, le clergé s’adonnait à les propulser dans une relation sociale toujours plus en phase avec ses buts politiques. Tant et si bien que l’Eglise est une militante de premier ordre du capitalisme identitaire et sa doctrine sociale en est, pour ainsi dire, un bréviaire. Il semble, selon nous, incontournable de se pencher sur la doctrine sociale de l’Eglise et sa matérialisation, si l’on veut comprendre la nature du phénomène réactionnaire contemporain, cela d’autant que nous constatons que ce sujet est plus que sous-estimé par les prolétaires révolutionnaires.

D’aucuns pourraient s’étonner, a première vue, que l’on discerne dans la parole chrétienne, si prompte à propager l’universalisme de l’évangile, un auxiliaire actif du repli identitaire. Pourtant, il suffit juste de se plonger dans les différentes encycliques qui composent la doctrine sociale de l’Eglise pour constater nettement que cet universalisme est destiné à demeurer aussi abstrait que creux. Au concret, il est le vernis moraliste - si misérable au point de vue philosophique qu’il est une insulte à l’intelligence humaine - du particularisme le plus honteux, barbare et illégitime : celui de l’intérêt du bourgeois. Mais cet enduit vient couvrir une défense de l’ordre capitaliste aux allures d’attaque contre le mouvement d’abolition des classes sociales. Ainsi, par le texte fondateur de la doctrine sociale de l’Eglise, le « Rerum novarum » publié en 1893, le Pape Léon XIII formule la réponse de la secte catholique à la question sociale, laquelle est devenue, selon lui, « un redoutable conflit ». Le Souverain Pontife élève alors la propriété privée au statut de droit divin pour mieux pourfendre la lutte des classes et le socialisme, au prix d’une mauvaise foi sans limite qu’agrémentent de grossières distorsions : « Il est difficile, en effet, de préciser avec justesse les droits et les devoirs qui règlent les relations des riches et des prolétaires, des capitalistes et des travailleurs. D'autre part, le problème n'est pas sans danger, parce que trop souvent d'habiles agitateurs cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour exciter les multitudes et fomenter les troubles. […] Les socialistes, pour guérir ce mal, poussent à la haine jalouse des pauvres contre les riches. Ils prétendent que toute propriété de biens privés doit être supprimée, que les biens d'un chacun doivent être communs à tous, et que leur administration doit revenir aux municipalités ou à l'Etat. Moyennant ce transfert des propriétés et cette égale répartition entre les citoyens des richesses et de leurs avantages, ils se flattent de porter un remède efficace aux maux présents. Mais pareille théorie, loin d'être capable de mettre fin au conflit, ferait tort à la classe ouvrière elle-même, si elle était mise en pratique. D'ailleurs, elle est souverainement injuste en ce qu'elle viole les droits légitimes des propriétaires, qu'elle dénature les fonctions de l'Etat et tend à bouleverser de fond en comble l'édifice social. De fait, comme il est facile de le comprendre, la raison intrinsèque du travail entrepris par quiconque exerce un métier, le but immédiat visé par le travailleur, c'est d'acquérir un bien qu'il possédera en propre et comme lui appartenant. […] Ainsi, cette conversion de la propriété privée en propriété collective, préconisée par le socialisme, n'aurait d'autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant, par le fait même, tout espoir et toute possibilité d'agrandir leur patrimoine et d'améliorer leur situation. […] Mais, et ceci paraît plus grave encore, le remède proposé est en opposition flagrante avec la justice, car la propriété privée et personnelle est pour l'homme de droit naturel. […] Que ceci soit donc bien établi : le premier principe sur lequel doit se baser le relèvement des classes inférieures est l'inviolabilité de la propriété privée. […] La propriété privée, Nous l'avons vu plus haut, est pour l'homme de droit naturel. L'exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire. ».
Autrement dit, l’un est riche et l’autre est pauvre parce que Dieu l’a décidé. C’est ainsi et pour toujours. Les voies du Seigneur sont impénétrables… et les vaches bien gardées. Par l’intermédiaire du Pape, Dieu invite tout un chacun, et avant tout les démunis, c'est-à-dire les travailleurs, à accepter une bonne fois pour toutes que l’accaparement du fruit de leur labeur par quelques-uns ait la valeur du tout, du droit universel, comme si cette confiscation de leur existence et de leurs biens par une minorité parasitaire leur était, avant toute chose, indiscutablement bénéfique. A défaut de pouvoir marcher sur l’eau, on marche sur la tête.

Face au péril mortel que représente le mouvement ouvrier pour le capitalisme, le Vatican passe donc à la contre-offensive en cette fin de XIXème siècle ; une ligne dont le Saint-Siège ne s’écartera plus. Il s’évertuera à présenter la propriété privée comme « naturelle », alors qu’elle n’est en réalité qu’un résultat historique provisoire ;  Il  l’enveloppera dans le sacré, pour conférer la légitimée ultime à l’Etat chargé de la protéger. En 1931, dans le « Quadragesimo anno », le Pape Pie XI déclare : « C'est de la nature et du créateur que les hommes ont reçu le droit de propriété privée ». 32 ans plus tard, Jean XXIII lui emboîtera le pas, dans son « Pacem in Terris » : « De la nature de l'homme dérive également le droit à la propriété privée des biens, y compris les moyens de production. Comme Nous l'avons enseigné ailleurs, ce droit « est une garantie efficace de la dignité de la personne humaine et une aide pour le libre exercice de ses diverses responsabilités ; il contribue à la stabilité et à la tranquillité du foyer domestique, non sans profit pour la paix et la prospérité publiques.  Par ailleurs, iI n'est pas hors de propos de rappeler que la propriété privée comporte en elle-même une fonction sociale. ». En 2013, sous un enrobage socialisant (quoique la « main invisible » d’Adams Smith n’est pas si loin), le Pape François dit la même chose : « La solidarité est une réaction spontanée de celui qui reconnaît la fonction sociale de la propriété et la destination universelle des biens comme réalités antérieures à la propriété privée. La possession privée des biens se justifie pour les garder et les accroître de manière à ce qu’ils servent mieux le bien commun, c’est pourquoi la solidarité doit être vécue comme la décision de rendre au pauvre ce qui lui revient. ».
Cette propriété privée voulue par Dieu, il faut que l’Etat la défende coûte que coûte contre tout mouvement souhaitant sa disparition. Léon XIII en déclame haut et fort le principe : « Il faut que les lois publiques soient pour les propriétés privées une protection et une sauvegarde. Ce qui importe par-dessus tout, au milieu de tant de cupidité en effervescence, c'est de contenir le peuple dans le devoir. ». Dans la même foulée, Pie XI déclarera : « la propriété privée ne doit être défendue que par le maintien d'un ordre certain et bien réglé. ». Malheur donc à quiconque envisagerait de se détourner du dogme ca(tho)pitaliste ! Un avertissement que Jean-Paul II a tenu à réitérer en 1991 en affirmant qu’ « Il n'existe pas de solution à la question sociale hors de l'évangile », ce qui revient dont à dire qu’« il n’existe pas de solution à la question sociale hors du capitalisme ».

Non content de réclamer l’écrasement de l’ennemi prolétaire, le Vatican s’échine à noyer le projet historique de libération universelle porté par celui-ci dans le saint marécage de la collaboration des classes : « L'erreur capitale, dans la question présente, c'est de croire que les deux classes sont ennemies-nées l'une de l'autre, comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné. C'est là une affirmation à ce point déraisonnable et fausse que la vérité se trouve dans une doctrine absolument opposée. Dans le corps humain, les membres malgré leur diversité s'adaptent merveilleusement l'un à l'autre, de façon à former un tout exactement proportionné et que l'on pourrait appeler symétrique. Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s'unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l'une de l'autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l'ordre et la beauté. Au contraire, d'un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion des luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés. » (Rerum novarum). Dans le « Quadragesimo anno », le Vatican explique : « La collaboration des divers corps professionnels, l'objectif que se doivent avant tout se proposer l'Etat et l'élite des citoyens, ce à quoi ils doivent appliquer tout d'abord leur effort, c'est de mettre un terme au conflit qui divise les classes et de provoquer une cordiale collaboration. ».  Antithèse de la lutte des classes, la notion de « bien commun » est la clef de voûte doctrinale de cet édifice interclassiste. Un « bien commun », qui est en réalité une sorte de visée idéale d’une production capitaliste qui aurait réussi à se dégager de ses contradictions structurelles. Puisque, comme l’affirme Pie XI, le capitalisme  « n'est pas intrinsèquement mauvais, mais il a été vicié », « les diverses fonctions doivent être réparties de la manière la plus favorable aux intérêts communs et de telle sorte que l'inégalité ne nuise point à la concorde. » (Rerum novarum). Idée aussi vague que réactionnaire, le bien commun est défini comme l’« ensemble des conditions sociales qui permettent et favorisent dans les êtres humains le développement intégral de la personne. ». L’Eglise propose de justifier les horreurs de la propriété privée des moyens de production et son architecture sociale pourrie en injectant une dose de morale abstraite dans ses rouages, ni plus ni moins. C’est par l’instauration d’un régime corporatiste du rapport capital/travail, une solution qui inspirera grandement les fascismes, que le Saint Siège va envisager concrètement la réalisation du « bien commun » (ou « intérêt commun ») dans la collaboration des classes : « Que tous, les ouvriers comme les patrons, s'appliquent en parfaite union d'effort et de vue à triompher de toutes les difficultés et à surmonter tous les obstacles » (Quadragesimo anno). Cette nouvelle organisation doit voir le jour dans les syndicats et les groupements corporatifs : « Il faut construire des organisations syndicales où l'on respecte la justice et l'équité et où pleine liberté est laissée aux fidèles d'obéir à leur conscience et à la loi de l'Eglise […] les corporations sont constituées par les représentants des syndicats ouvriers et patronaux d'une même profession ou d'un même métier. Elles dirigent et coordonnent l'activité des syndicats dans toutes les matières d'intérêt commun. » » (Quadragesimo anno). Ainsi, grâce à un peu de bonne volonté, et surtout avec l’aide du ciel et de l’Etat, les vilaines querelles entre les classes se résorberont : « Il faut arriver à une guérison parfaite, que si à ces classes opposées on substitue des organes bien constitués, des ordres ou des professions qui groupent les hommes, non pas d'après la position qu'ils occupent sur le marché du travail mais d'après les différentes branches d'activité sociale auxquelles ils se rattachent. Ainsi, la nature incline les membres d'un même métier ou d'une même profession à créer des groupements corporatifs.Au sein de ces groupements corporatifs, la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession. ». En 1967, Paul VI, comme prenant acte de la mutation en cours du régime d’accumulation (fin du fordisme-début du toyotisme) propose une version rénovée du corporatisme. Il prône l’entreprise comme communauté, une façon de réclamer l’ère du management participatif, cette nouvelle organisation scientifique du travail où le travailleur s’identifie corps et âme à la bonne marche des affaires de son patron : « on doit tendre à ce que l'entreprise devienne une communauté de personnes dans les relations, les fonctions, et les situations de tout son personnel ».

Le caractère identitaire de la doctrine sociale de l’Eglise ne réside pas seulement dans l’identification qu’elle opère entre les intérêts du prolétariat et ceux de la bourgeoisie, au prix d’une implacable négation de l’antagonisme constitutif du rapport entre ces deux classes. Il repose également sur le « principe de subsidiarité », lequel est devenu un axiome majeur de la « gouvernance » contemporaine. Appliquée aux institutions et au corps social, cette notion est un bélier qui défonce tout héritage démocratique, s’attaque au politique comme dimension première de la cité et relevant du dialogue libre et égalitaire, répudie par conséquent le primat laïque. Ce qui est ici revendiqué c’est le grouillement, aussi servile que chaotique, des particularismes, au seul bénéfice de la prédation capitaliste dégagée de ses contraintes démocratiques élémentaires. Le principe de subsidiarité est défini dans Quadragesimo anno comme suit : « Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances ou l’exige la nécessité. Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction de subsidiarité de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques. ». Les entités de nature identitaire (famille, communauté, entreprise) maillent, pour mieux les fluidifier, les circuits de valorisation capitalistes autant qu’elles obstruent la voie directe par laquelle le citoyen contrôle, selon le schéma bourgeois éculé, son mandataire politique. Le principe de subsidiarité est donc en phase avec la pulvérisation du tissu social et la corrosion des vieux schémas démocratiques. Cela à tel point qu’il a été inscrit au cœur de la constitution européenne. L’article 5, paragraphe 3 du traité sur L’Union européenne, dispose en effet : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. » Dans cette optique, L’Etat est conçu à l’opposé des fondamentaux de la ResPublica, où il apparaît (de manière fétichisée) comme l’émanation du peuple, le résultat modulable de son expression politique soumis à son unique souveraineté. En effet, la doctrine sociale de l’Eglise, en parfaite résonnance avec les poncifs néolibéraux, voit plutôt en l’Etat une personne à part entière, dotée d’une âme propre, pour mieux le dégager de sa subordination à la volonté populaire : « Le système de l'Etat possède en un sens une âme, dans la mesure où il répond à sa nature de communauté politique, juridiquement ordonnée au bien commun », comme l’écrira Jean-Paul II en 1994 dans sa « Lettre aux familles ». Par-là, l’Eglise défend une notion gestionnaire de l’Etat, où celui-ci n’est qu’un instrument, placé au-dessus de la société, aux mains des décideurs. Il n’est donc pas surprenant que le remplacement progressif de la notion de gouvernement, aux accents trop universalistes, intervenu ces quarante dernières années sous l’impulsion des idéologues réactionnaires, par celle de « gouvernance », déterrée du lexique politique de l’Ancien Régime, ait reçu la bénédiction du clergé. En vertu du principe de subsidiarité, l’Etat consulte les médiations communautaires issues de la société civile. Evidemment, les curetons de tout acabit ne sont pas en reste. Dans l’article 17 du Traité de Lisbonne, l’Union européenne reconnaît leur « identité » et leur « contribution spécifique » à telle enseigne qu’elle « maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec d'une part les églises, les associations et les communautés religieuses et, d'autre part, avec les organisations philosophiques et non confessionnelles. »
Dès lors, la gouvernance relève d’un marchandage constant où le lobbying est une pratique indispensable et les faux semblants démocratiques une règle. Dans cette lancée, les notions de « démocratie participative » et de « dialogue civil », qui découlent directement de celle de subsidiarité, sont promues par le traité sur l’Union Européenne, dans son article 11 : « Les institutions de l'Union donnent, par des voies appropriées, aux citoyennes et aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d'échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d'action de l'Union.2. Les institutions de l'Union entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile.3. En vue d'assurer la cohérence et la transparence des actions de l'Union, la Commission procède à de larges consultations des parties concernées.» Concrètement, la démocratie participative est le cache-sexe de la dissolution des institutions démocratiques bourgeoises jusque-là en vigueur. Une municipalité peut réunir, par exemple, des « conseils de quartiers » pour qu’ils se prononcent sur des choix secondaires totalement ficelés dans les directives indiscutables de pillage des services publics et de remboursement de la dette, que les milieux d’affaires et autres conglomérats industriels et bancaires ont préalablement incitées à des niveaux décisionnels hors d’atteinte. La population est ainsi invitée à porter ses préférences sur la peste ou le choléra, sur la fermeture d’une crèche ou sur la privatisation du service de distribution des eaux.
La confluence des notions de subsidiarité, de bien commun, de corporatisme et de dialogue civil produit une formule de gouvernance extensible à tous les domaines de l’exercice du pouvoir. Elle s’applique logiquement aux relations entre les syndicats de travailleurs et le patronat, lesquels sont rhabillés en « partenaires sociaux ». Un partenaire est, par définition, celui qui s’associe à une entreprise de quelque sorte qu’elle soit. On comprend donc qu’au sens de la doctrine sociale de l’Eglise, les partenaires sociaux travaillent sur des projets partagés, œuvrent au bien commun. L’Union européenne fait de cet objectif le sien. Le traité de Lisbonne déclare, en effet, que « l'Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux. Elle facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie. Le sommet social tripartite pour la croissance et l'emploi contribue au dialogue social. » Cette conception des rapports syndicats/patronat est proche du corporatisme cher à la doctrine sociale de l’Eglise autant qu’elle est très éloignée des fondements de la « démocratie sociale »  corolaires au « Welfare State » érigé après-guerre. Ces « partenaires sociaux » qui « dialoguent » dans un effort commun au lieu de s’affronter et de négocier, ce sont les mêmes qui mettent à sac les droits ouvriers, qui compriment les salaires ; c’est là d’ailleurs leur seule et unique œuvre commune. Leur synergie est si harmonieuse que la Confédération Européenne des Syndicats s’évertue à transposer dans ses revendications les vues catholiques au sujet du salaire. Ainsi, elle réclame un « salaire équitable », ce qui fait écho à Rerum novarum : « On doit payer à l'ouvrier un salaire qui doit permettre de pourvoir à sa subsistance et à celle des siens ». C’est le « salaire juste » qui est déterminé « en fonction des nécessités de l'économie générale, en fonction des besoins de l'entreprise et de ceux qui l'assument. », c'est-à-dire selon le bon vouloir du capitaliste. Le mouvement ouvrier a longtemps su que la notion d’équité, fondée sur l’arbitraire et le statu quo social, est l’ennemie mortelle de celle d’égalité. La CES l’entend d’une autre oreille, et va jusqu’à reprendre la thématique de la dignité dans le travail chère à la vulgate ecclésiastique. Elle revendique ainsi un « travail décent », en conformité avec ce qu’affirmait, par exemple, Jean-Paul II dans « Laborem exercens » quand il évoquait la dignité du travail : « le travail est un bien de l’homme. Si ce bien porte la marque d’un bonum arduum, d’un « bien ardu », selon la terminologie de saint Thomas,1818. Cf. Somme théologique Ia-IIae, q. 40, a. ...  cela n’empêche pas que, comme tel, il est un bien de l’homme. Il n’est pas seulement un bien « utile » ou dont on peut « jouir », mais il est un bien « digne », c’est-à-dire qu’il correspond à la dignité de l’homme, un bien qui exprime cette dignité et qui l’accroît. » Le « salaire décent » a mené à la formule si mensongère « le travail n’est pas une marchandise », puisée dans la doctrine sociale de l’Eglise, défendue par le Général Franco, le maréchal Pétain… et propagée par les altermondialistes ! Les bureaucrates syndicaux de la CES et les animateurs des Forum sociaux n’ont plus qu’à valider le principe de concurrence libre et non faussée inscrit au cœur de la constitution européenne et soutenu par l’Eglise, accueillir à bras ouverts « la mondialisation » à l’image de Jean-Paul II, et la boucle corporatiste sera définitivement bouclée. Il restera néanmoins à intégrer la vision très réactionnaire du Vatican en matière de droit de grève, ce qui ne sera pas sans risquer l’affrontement ouvert avec les travailleurs : « S'il arrive que les ouvriers abandonnent le travail où le suspendent par des grèves, menacent la tranquillité publique, dans tous les cas il faut absolument appliquer dans certaines limites la force et l'autorité des lois. » (Rerum novarum), « Grèves et lockout sont interdits. Si les parties ne peuvent se mettre d'accord, c'est l'autorité qui intervient. » (Quadragesimo anno).

Il n’est donc pas que l’Union européenne pour s’imprégner de la doctrine sociale de l’Eglise, les contestataires de service s’y adonnent également. Plus largement, un grand nombre de concepts et autres principes tirés de la doxa catholique ont infusé la société ces quatre dernières décennies. La vogue de l’humanitarisme en est une illustration supplémentaire, s’il fallait. Celle-ci allie le principe de subsidiarité à celui de charité, laquelle ancre dans l’éternité l’inégalité économique. A ce propos, Léon XIII s’étalait en ces termes dans le (Rerum novarum) : « Il y aura toujours entre les citoyens ces inégalités de condition sans lesquelles une société ne peut exister", "C'est un devoir de verser le superflu au sein des pauvres. », positions confirmées dans Quadragesimo anno : « Nous sommes tous membres d'une grande famille. Les riches et les dirigeants, trop longtemps indifférents au sort de leurs frères moins fortunés leur donneront des preuves d'une charité effective, accueilleront avec une bienveillance sympathique leurs justes revendications, excuseront et pardonneront, à l'occasion leurs erreurs et leurs fautes. De leur côté, les travailleurs déposeront sincèrement les sentiments de haine et d'envie que les fauteurs de lutte des classes exploitent avec tant d'habilité. Ils accepteront sans rancœur la place que la divine providence leur aura assignée. Ou plutôt, ils en feront grand cas, comprenant que tous, en accomplissant leur tâche y collaborent utilement et honorablement au bien commun. ». Rappelons que selon les propres dires de Jean-Paul II, « Rerum novarum marque une date de grande importance dans la présente période de l'histoire de l'Eglise. En effet, cette encyclique a eu le privilège d'être commémorée de son 40ème à son 90ème anniversaire par des documents solennels. Je voudrais aussi montrer que la sève généreuse qui monte de cette racine n'a pas été épuisée au fil des ans mais qu'au contraire elle est devenue plus féconde. » (Centesimus annus).

L’imbrication si étroite entre les institutions européennes, le corps social et les préceptes catholiques trouve une intéressante explication dans la bouche de Vincent Legrand, au cours d’une conférence tenue en 2012 et intitulée « l’Union européenne et les religions : enjeux d’un dialogue controversé. » : « Dès le début de la construction européenne, en effet, à partir des années 1950, une série d'églises ou d'organisations liées aux églises ont mis sur pied des agences de liaison avec les institutions européennes. Pourquoi ? Le projet européen, on l'oublie parfois, est un projet d'idéal de paix, par l'unité du continent européen qui a vu le jour suite à deux guerres mondiales dévastatrices. Nombre de fondateurs du projet, qu'on qualifie classiquement de "pères de l'Europe" étaient des démocrates-chrétiens : Schumann, Adenauer, De Gasperi, Monnet, dont l'idéal et l'engagement politique étaient inspirés par leur foi chrétienne et les églises elles-mêmes dont l'église catholique ont également désiré s'investir directement en tant que telles dans le projet de construction européenne. ». Vincent Legrand se présente lui-même : « J'ai travaillé pendant 3 ans au sein de la COMECE, la Commission des Episcopats de la Communauté Européenne... La COMECE c'est l'organe de liaison de l'Eglise catholique avec les institutions européennes par le biais des conférences épiscopales qui se trouvent sur l'ensemble du territoire des 27 états membres. » Il y a alors exercé en tant que « Conseiller en matière religieuse du dialogue islamo-chrétien ». Il est aujourd’hui professeur à l’université catholique de Louvain. Cette réunion publique est l’occasion pour ce militant catholique de se gargariser de la familiarité qu’entretiennent Union européenne et clergé catholique mais aussi de battre le rappel en faveur d’une offensive œcuménique redoublée sur l’Etat et la société : « L'église s'intéresse à tout... à une vision globale de l'homme et de la société, qui se retrouve dans sa doctrine sociale, fondée notamment sur la notion de développement intégral, élaborée donc en son temps par le Pape Paul VI, mais qui a été reprise par le Pape Benoît XVI : le développement de tout l'homme et de tous les hommes.[…]Cette vision globale, qui n'est peut-être pas sans rappeler la notion réformiste musulmane de chumûliya se retrouve dans le champ d'action de la COMECE pour autant que cela relève, dans son cas spécifique, du champ de compétences de l'Union Européenne.[…] Concrètement cela signifie un engagement dans toute une série de domaines. Prenons, à titre d'illustrations d'autres brochures de la COMECE :
- "Responsabilité de l'Europe dans le développement mondial : marchés et institutions après Seattle"
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"Stratégie familiale pour l'Union Européenne: encourager l'Union à faire de la famille une priorité"
-
"L'Euro et l'Europe : un regard chrétien sur les implications politiques et sociales de l'Union monétaire"
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"Science et éthique : avis élaboré par le groupe de réflexion bioéthique".

Vincent Legrand peut, sans problème, plastronner : les victoires s’enchaînent depuis des années contre les positions de ceux qu’il nomme les « humanistes laïques ». Mais la joie non dissimulée de ce chantre de l’obscurantisme tient également de la qualité de ses hôtes. D’abord l’organisatrice de l’événement, qui  n’est autre que Malika Hamidi, « féministe islamique », directrice général d’un lobby spécialement conçu pour s’adresser aux plus hautes sphères institutionnelles, l’European Muslim Network. Le président de cette association n’est autre que… Tariq Ramadan. Et justement, c’est le prédicateur vedette des Frères musulmans qui donne le change durant plus d’une heure à Vincent Legrand. Ramadan intervient après que son comparse catholique ait conclu dans ces termes très théocratiques : « Je conclurai en citant le Pape Jean-Paul II : dans la logique d'une saine collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser l'humanisation de la société à partir de l'évangile vécu sous le signe de l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des Chrétiens, convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses instances et institutions européennes pour concourir, dans le respect des justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des propositions, à définir une convivialité européenne, toujours plus respectueuse de tout homme et de toute femme et donc conforme au bien commun ». Dans la lancée de son prédécesseur, Frère Tariq tient un discours des plus identitaires, où « les musulmans » son dépeints comme une espèce d’unité de choc dans la guerre pour le retour général du religieux sur le continent européen : « L'islam est révélateur de traumatismes très profonds dans la conscience européenne ». « L'islam est révélateur. Il révèle la question des racines, la question de l'identité, et puis il révèle la question de l'avenir parce quand vous vous posez la question de quelles sont nos racines, quand vous vous posez la question de savoir quelle est notre identité, vous vous posez la question de savoir qu'allons-nous devenir ensemble et qu'allons-nous devenir avec ces nouvelles présences. ». L’objectif, c’est la société soumise à l’identité religieuse et sa cohorte de relations aussi rétrogrades qu’inégalitaires, en parfaite assonance avec la doctrine sociale de l’Eglise, ni plus, ni moins : « Y'a des choses qui sont extrêmement importantes, extrêmement difficile aujourd'hui de reparler de la question de la discipline et de l'autorité. Bah, regardez dans les écoles : on a un vrai problème avec ça ! La réinstauration de la question de la discipline et de l'autorité c'est à dire " attends t'es peut-être au centre de l'école mais je reste ton prof et ton prof il te dit tais-toi, tu écoutes et tu travailles ! " Vous savez cette dimension de la discipline, cette idée que pour être libre faut pas avoir de limites, c'est le contraire, la seule façon d'être libre c'est de connaître ses limites, c'est pas de les nier. Donc la question de la tradition et de la discipline, ça disparaît. Et nous de ce point de vue-là, faut qu'on se rende compte de qu'est-ce que ça veut dire la question de l'autorité. L’autre chose qui est importante, ça a été dit tout à l'heure c'est la dimension de la famille et puis la question de l'éthique, de la morale : y'a des valeurs, y'a des choses qu'on fait pas... ma liberté c'est de choisir ce que je fais, c'est pas de faire n'importe quoi en pensant que je suis libre de le faire. Voyez, toutes ces dimensions, dans la tension, ça c'est très profond, et la présence musulmane révèle tout ça, révèle tout ça parce que tout à coup il va y avoir une nouvelle visibilité, pour beaucoup de chrétiens, et beaucoup de juifs, et beaucoup de spiritualité, tout ce que je vous dis là on est d'accord, sur la discipline, sur la famille, sur l'éthique, mais ça se vivait dans l'invisible. » Une « tradition musulmane », censée être portée par une communauté musulmane (toutes deux arrangées selon les goûts islamistes de ce Frère musulman), doit venir secourir une « tradition occidentale », dont on comprend en fait qu’elle n’est que le corpus doctrinal chrétien, que le Vatican souhaiterait rendre omniprésent dans le domaine temporel.

Dans son prêche moyenâgeux, Tariq Ramadan estime que l’union sacrée des forces religieuses doit prendre le pas sur la division, dans les grandes manœuvres d’influence auprès des institutions et du corps social : « Ma conclusion est qu'on prenne conscience de ça et qu'on soit capable, dans notre travail, sachant qu'on réveille, d'avoir une vraie discussion sur ces fondamentaux-là. Et que il y ait d'abord, parce que c'est aussi un rapport de pouvoir avec certaine institutions, qu'il y ait un vrai travail sur les racines, qu'il y ait travail sur les identités, qu'on soit capable de montrer la diversité de ces identités-là, qu'on soit capable d'intégrer au débat un vrai débat sur la présence du judaïsme et du christianisme, comme constituant de l'identité européenne, qu'on ne laisse pas à certains rationalistes cette espèce de colonisation du fait culturel et de l'Histoire. Ça, il ne faut pas laisser. Mais ça les musulmans doivent comprendre que c'est pas simplement en mettant l'islam au cœur du débat, c'est en mettant le christianisme et le judaïsme au centre du débat. Parce que c'est une question qui nous touche tous : nous serons victimes de la même colonisation d'un rationalisme sans dieu si nous n'intégrons pas au débat la question juive, la question chrétienne, la question bouddhiste, la question du sens dans nos institutions. » L’ennemi numéro un c’est le rationaliste, le libre penseur : « Mais aujourd'hui on a un nouveau discours philosophique qui va tout confondre, qui va, au nom de la faculté, rejeter l'institution et la foi, comme si c'était exactement ça. Donc, on a un vrai problème en Europe. Et là, il faut que vous vous rendiez compte en quoi une position avec des chrétiens aujourd'hui, qui sont croyants et rationalistes, qui trouveraient un dialogue fécond avec des musulmans croyants et rationalistes, ça pose un vrai problème à ceux qui vous disent "pour être rationaliste, il faut pas être croyant, et qui disent que l'objectivité de la raison passe par la disparition de la foi. Et nous, on dit le contraire. ». Tariq Ramadan s’est arrêtée il y a deux siècles. Pour ce bon bourgeois islamiste, l’Histoire n’a jamais connu le mouvement ouvrier, encore moins ses pointes révolutionnaires, qui ont su passer au broyeur de la critique la plus radicale qui soit l’idée même de Dieu et les pouvoirs oppresseurs qui la mettent en avant. Une telle négation théorique de l’existence politique et philosophique du prolétariat a toujours été la marque des pires réactionnaires en acte. A bon entendeur…

C’est indéniable, l’Eglise catholique s’acharne à organiser une reconquête œcuménique de la société, main dans la main avec les autres forces religieuses, et notamment Tariq Ramadan et ses acolytes intégristes. A l’évidence, ce combat n’est pas celui des révolutionnaires, bien au contraire, ceux-ci doivent y répondre selon la devise « Pour un œil les deux yeux, pour une dent toute la gueule » !, cette superbe saillie, que pour une fois Lénine avait sur formuler avec justesse et tact.

Dans le cadre de cette revanche historique, à la faveur de la régression identitaire du rapport marchand, l’Eglise catholique défend sans surprise l’institutionnalisation de l’islam en Europe. A cette fin, elle arbore le concept d’islamophobie, toute expérimentée qu’elle est sur le champ de bataille sémantique, un terrain où elle a engrangé, comme on vient de le voir, de nombreuses victoires. Dans cette optique, elle met ses énormes moyens au service de la promotion de la notion d’islamophobie, ce que nombreux militants radicaux seront certainement très heureux d’apprendre :
http://www.comece.eu/europeinfos/fr/archives/numro141/article/4154.html

Tout cela pour le plus grand bonheur des prédateurs, prédicateurs, capitalistes.

En renfort des batailles sémantiques qui concourent à installer les nouveaux clivages identitaires, les politiques gouvernementales attisent ces mêmes polarisations, en affinent les contours. Cette structuration du corps social, qui se plie aux impératifs de valorisation capitaliste tout en déchiquetant les solidarités de classe est passée à la moulinette de la pacification sociale par l’État. C’est dans cette perspective, qu’on assiste au concret à un militantisme institutionnel en faveur du retour de la religion comme force normative.

 

La sémantique, théâtre d’une bataille de classe :
« l’islamophobie »

« L’islamophobie », mot piégé de l’ennemi - l’islamophilie normative, volet de l’offensive générale (patronale, étatique, religieuse) contre l’unité de classe du prolétariat.

S’il est bien une arme conceptuelle que la propagande religieuse réussit à utiliser efficacement contre l’unité de classe des exploités, c’est celle d’islamophobie.
L’ « islamophobie » est en effet une mine à fragmentation idéologique posée par les ennemis du prolétariat sur le terrain de l’émancipation. Défendre la supposée pertinence de ce mot piégé, et ainsi travailler à sa banalisation, est une honte, un acte de trahison réactionnaire. Car ce concept n’est pas récupérable par la lutte révolutionnaire, il est intrinsèquement aussi obscurantiste que falsificateur. Obscurantiste car il victimise (après l’avoir innocentée) la religion - qui est l’une des incarnations les plus mortifères du pouvoir - sous couvert de défendre des victimes religieuses. Falsificateur, car il rabaisse la lutte contre la xénophobie et le racisme (laquelle est indissociable de la lutte de classe) à un combat de défense d’un particularisme religieux, identitaire, culturaliste. Dans la lancée, il assimile l’ensemble de ceux qui endurent le racisme et la xénophobie à des musulmans, ce qui est une absurdité autant qu’une négation volontaire du caractère composite des victimes de racisme et de xénophobie. Il nie effrontément la réalité de classe, qui traverse la fausse polarité qu’il induit. Un riche saoudien dépensant des dizaines de milliers d’euros par jour sur les Champs Élysées ne sera jamais frappé par « l’islamophobie ». Un chômeur basané athée d’Aulnay-sous-Bois sera susceptible de subir la saloperie xénophobe.
Il faut donc relever que ce qui caractérisent les actes « antimusulmans » c’est qu’ils s’attaquent 1) à des prolétaires 2) d’origine arabe, subsaharienne ou asiatique. Ces actes ne constituent que les habits rénovés d’un vieux racisme sévissant contre ces combinaisons ethnico-sociales. Cible de racisme et de xénophobie, ces mêmes combinaisons ethnico-sociales restent la cible, encore et toujours, de l’identitarisme religieux qui prétend les préempter, au nom du sacré et de la culture. Par conséquent, les prolétaires arabes, asiatiques et noirs né(e)s musulman(e)s sont pris en étau : ils sont rabaissés à l’état de cibles des multiples déclinaisons de la réaction. Pas d’issue possible, dans ce mortifère schéma, vers la liberté de pensée et de vivre. Revendiquer la disparition d’une assignation raciste pour lui substituer une assignation identitaire, c’est concourir à faire des sœurs et frères de classes les piégés de la réaction. C’est pourquoi il faut combattre simultanément le « racisme antimusulman », forme de racisme à base culturelle, et l’emprise religieuse.

Par ailleurs, le concept d’ « islamophobie » nie l’oppression de genre, en validant les niaiseries essentialistes que la religion instaure entre les sexes, pour le plus grand malheur des femmes. Que des femmes militent pour un féminisme islamique (deux termes en total contradiction) n’est en rien surprenant. Il y a des réactionnaires chez les proies de la réaction, c’est une lapalissade.
Ainsi, l’ « islamophobie », en sus d’être un outil de distorsion de la réalité du phénomène xénophobe et une arme de propagande, aux racines interclassistes et ultralibérales, de la religion (et son cortège d’inepties rétrogrades), maniée avec doigté par les adorateurs d’Allah et, à leurs côtés, les revanchards chrétiens (ne parle-t-on pas désormais de « christianophobie », de « cathophobie » ?), ainsi que les bureaucrates gauchistes en mal de public à domestiquer. 

Last but not least, la notion d’ « islamophobie » protège d’un sceau victimaire la véritable islamophilie des décideurs politiques et économiques français. Cette bienveillance appuyée recouvre les marchés juteux qui lient le pouvoir algérien, marocain, la Turquie, les monarchies du Golfe, et plus globalement les États membres de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), aux transnationales hexagonales. En guise d’illustration, pour l’année 2013, l’Algérie est le 3ème client de la France (hors OCDE) ; la France est le premier investisseur en Algérie. La France est le deuxième fournisseur du Maroc, ses ventes à la Turquie, dont elle est le 8ème fournisseur, ont été multipliées par 2 ces 10 dernières années. L’Arabie Saoudite est le 1er partenaire commercial des patrons français dans le Golfe et le deuxième au Moyen-Orient. Les Émirats Arabes Unis constituent le premier débouché commercial de la France dans le Golfe et avec qui elle réalise son troisième excédent mondial. La France est le 9ème fournisseur du Qatar et son 14ème client. Après avoir eu l’occasion de démontrer « l’efficacité » de ses rafales lors de la guerre au Mali contre des foutraques djihadistes stipendiés par le Qatar, le Groupe Dassault vient de signer un contrat de vente historique avec ce même royaume « terroriste »… Les importantes capacités d’investissement et de financement des membres de l’OCI en font donc des partenaires économiques mais aussi de potentiels créanciers de premier ordre. Les plus hauts dignitaires de la République Française se sont d’ailleurs échinés à rendre compatibles le droit commercial français et la finance islamique. Hervé de Charrette, ancien ministre des Affaires Étrangères du gouvernement Juppé (1995-1997) et Président de l’Institut Français de la Finance Islamique a été l’un des instigateurs de ce mariage réussi. Citant Jean-Pierre Jouyet, le Président de l’Autorité des marchés financiers d’alors, il s’extasiait en 2010, sur Oumma TV, voyant dans la finance islamique un « atout » : « La finance islamique peut apporter une très grande contribution au développement de l’économie française, au financement des infrastructures en particulier, et par conséquent c’est un atout dans notre manche […] Il y a un très grand nombre de gens en France qui souhaitent que leur épargne soit placée en fonction des règles du Coran. » Deux ans auparavant, en plein krach boursier, Christine Lagarde, alors Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, se faisait porte-parole du grand capital, majoritairement tenté par les vertus salutaires de la régulation financière. Son discours au 2ème Forum Français de la Finance Islamique du 26 novembre 2008, fut un éloge aux avantages des règles coraniques dans la Finance, gages de protection du capital : « En face de cette crise de tous les excès, le Président de la République a souhaité faire des propositions. […] A cet égard, la finance islamique présente bien des avantages, en ce qu’elle condamne la spéculation et en ce qu’elle condamne le hasard.[…]Je souhaite vous convaincre de ce que Londres n’est pas le seul point de passage obligé de la finance islamique, quel que respect que l’on ait pour cette grande place… Et que Paris est aussi une grande place financière, et en matière de finance islamique nous sommes très désireux d’accueillir ceux d’entre vous ou ceux de vos clients qui souhaiteriez une alternative. »

Rappelons que l’OCI milite en faveur de la répression du blasphème, qui s’applique par le fouet et la sentence capitale dans nombre de ses pays membres. Pendant les années 2000, elle a tenté de faire adopter par l’ONU l’interdiction de la diffamation des religions, en particulier l’Islam (puisque moult de ses adhérents persécutent les religions minoritaires sur leur territoire). Le gros de son argumentation est d’assimiler la critique de l’Islam à du racisme.

Il ne s’agit évidemment pas ici de mettre le voile sur les prises de position contre un certain islam (l’islam des pauvres, qui masque les pauvres de l’islam) qui ont jalonné le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, ont appuyé les débats sur les statistiques ethniques, électrisé la propagande autour de l’identité nationale de 2010 et débouché sur la loi anti-burqa. Au quotidien, les discours anti-islam, d’une Le Pen, d’un Estrosi et autres sicaires de la prédation capitaliste, suscitent des déclarations « antiracistes » qui en creux, valident la confusion qui leur est tendue entre culture, ethnie, religion. Le grand perdant est ici la thématique de la lutte des classes, qui est distordue parce que mélangée à des visées identitaires, voire carrément occultée. Le tout profite à l’hégémonie des prismes identitaires, culturels, raciaux, ethniques où l’identité chrétienne de la France le dispute à la communauté juive « menacée » ou « menaçante », à l’islam « matrice du terrorisme » ou des « nouveaux martyrs »…

Dans ces conditions, l’islam est frappé à la manière d’une arme sous les coups d’une forge. Attaques et appuis rythment le mouvement de fabrication d’un islam à la française (lui-même rattaché à un islam européen, comme on l’a vu), c'est-à-dire conforme au cadre économico-politique hexagonal (mais pris dans ses dimensions continentale et transnationale), qui, à l’instar des autres pouvoirs religieux, est un ressort principal de l’instauration d’une société multiculturaliste en proie à la dictature du marché. La religion a toujours fait bon ménage avec l’État et le patronat quand il s’est agi de contrôler les exploités et de faire du business.

Cette conformation de l’islam aux désidératas de la gouvernance française peut trouver des précédents dans la politique coloniale appliquée fin 19ème, début du 20ème siècle. En se penchant sur cette période, on découvre, par exemple, que la France, reconnaissant l’autorité des chefs musulmans, demanda aux Imams de la Mecque que ceux-ci émissent une fatwa afin de reconnaître l’Algérie française comme « terre d’islam » et ainsi lui donner la pleine légitimité auprès des « indigènes ». Dans son ouvrage Xavier Coppolani, fils de Corse, Homme d’Afrique, Fondateur de la Mauritanie, Georges Coppolani donne la parole (à ce sujet) à son aïeul, artisan de la colonisation française en Afrique du Nord : « A l’exemple des gouvernements musulmans, il est arrivé que la France ait eu recours à la fatoua pour légitimer son pouvoir aux yeux de ses sujets algériens. A la suite du mouvement de migration en Syrie qui s’était dessiné en 1893, parmi nos sujets musulmans, particulièrement parmi ceux du département de Constantine, à la demande de M. Jules Cambon, Gouverneur Général de l’Algérie, une fatoua rendue par les quatre Mufti de La Mecque, a déclaré l’Algérie « terre d’Islam ». On y voit avec l’élasticité des textes coranique, combien il est facile aux musulmans qui savent les manier, d’en tirer des conclusions qui concilient les intérêts de chacun. » Et plus loin : « A la prière du Maréchal Bugeaud, une fatoua, analogue à celle qui précède, avait été remise à La Mecque au savant interprète Léon Roches, et ce document rendit en son temps les plus grands services à l’établissement de notre domination en Algérie. La fatoua obtenue par M. Jules Cambon ne sera pas moins utile, dégagée quelle est de tout esprit sectaire, à notre expansion saharienne, puisque le fait de la conquête armée ou pacifique, permet de conserver au pays conquis sa qualification de « terre d’Islam ».

Entre 1898 et 1904, Xavier Coppolani, mit en œuvre la colonisation des territoires qui correspondent aujourd’hui à la Mauritanie en s’appuyant sur une méthode qu’il avait pu préalablement éprouver alors qu’il était administrateur de Commune Mixte en Algérie. Il la synthétise ici : « On trouvera, développé dans nos conclusions, le programme que nous avons essayé de dresser en vue de prendre la direction de la seule force qui subsiste chez nos indigènes, afin de nous en servir jusqu’au jour où en lui opposant d’autres forces éclairées et civilisées, nous pourrons poursuivre sa désagrégation. Ce programme peut être résumé dans les conclusions générales suivantes : 1) Rapports avec les confréries religieuses sans distinction de doctrines, en vue de les placer sous notre tutelle et de faire de leurs dignitaires des imams non rétribués ; 2) Rapports avec la masse indigène et pénétration des esprits en opérant une sorte de mainmise sur les zaouïa existantes et en tolérant, partout où le besoin s’en fait sentir, la construction d’établissements similaires, afin de les réunir progressivement au domaine de l’État et de leur restituer leur triple caractère d’établissement de culte, d’instruction et de bienfaisance ; 3) Mise en œuvre de l’action des confréries religieuses qui ont des ramifications à l’extérieur, pour le rétablissement de nos relations politiques et commerciales avec le Soudan oriental et occidental et la pénétration de nos idées civilisatrices dans les autres pays d’Islam »  Georges Coppolani souligne les avantages de la méthode de gouvernance aussi islamophile que coloniale de son ancêtre : « Xavier Coppolani est désormais, en situation d’entreprendre cette nouvelle phase, en s’appuyant sur les mêmes principes dans l’action politique et dans l’organisation administrative qu’il a définis pour l’ensemble des pays maures. Il entend confirmer son souci de ne pas faire de l’administration directe comme il l’a décrit dans sa Circulaire aux résidents en date du 3 juin 1904. En effet, bien qu’il connaisse les insuffisances des Djemaâ, il veut leur donner toute leur place, car il les considère comme d’essence démocratique pouvant favorablement s’interposer entre les agents français et les collectivités dont elles sont l’émanation. Le personnel politique, administratif et de police devra comprendre des émirs, des cheikhs, des chefs de goums, des goumiers réguliers et des auxiliaires. Il reprend là, en l’adaptant au contexte maure, le schéma qu’il avait naguère proposé en Algérie. Il veut « coller au plus près » à la société maure et pour bien utiliser les familles influentes, il estime devoir les surveiller, les diriger, s’occuper de leur éducation, de manière à les faire évoluer progressivement. Il estime qu’il faut les entourer de considération afin de contribuer au maintien de leur dignité et les faire respecter par leurs administrés. »

Ces différents éléments prouvent qu’administration via les institutions religieuses indigènes et colonialisme ont pu se concilier dans une quête mutuelle d’intérêts politico-économiques réciproques. Au-delà des époques, comparaison n’est pas raison, certes. Pourtant, les déclarations de Valls sur la « laïcité d’apaisement », à la suite des attentats contre Charlie Hebdo résonnent en écho au lointain temps des colonies. En proposant que l’État forme les imams, que le financement des mosquées soit assuré, Valls ne contredit pas une autre de ses tirades où il voit dans les églises « l’essence de la France ». Bien au contraire, à l’instar de Sarkozy, Chanoine du Latran, de Juppé (qui a récemment loué les bienfaits du concordat en vigueur en Alsace-Moselle), le Premier Ministre encourage à la restauration de l’autorité religieuse comme auxiliaire de choix de la gouvernance capitaliste en France, bien évidemment en application du sacro-saint principe de subsidiarité. Dans cette lancée, les salafistes et autres Frères musulmans n’ont absolument pas à s’inquiéter des envolées désagréables auxquelles s’était livré Valls à leur encontre. Ces spécialistes es répression du prolétariat, ont en effet été conviés officiellement, en ce début d’été 2015, à la table des discussions ouvertes par le ministre de l’intérieur afin de s’entendre sur les modalités d’encadrement, euh pardon, de « représentation » des « musulmans ». Il aurait été peu judicieux de se passer de tels gardiens fanatiques de l’ordre capitaliste, en cette époque si tourmentée.

Il s’agit dès lors de calibrer la laïcité aux impératifs de gestion des masses alors que l’austérité se conjugue à la jubilation du libéralisme entrepreneurial. Dans cette optique, la Métropole de Lyon (Grand Lyon) est un modèle de reconfiguration de la gouvernance capitaliste sur un territoire, où l’optimisation du profit se base sur une collaboration renforcée entre l’Etat, les entreprises et les organisations religieuses. Il est piquant de constater combien la dégradation du service public à destination du prolétariat, sous prétexte de modernisation, est associée à la promotion de l’affirmation communautaire ainsi qu’à l’aggravation de la prédation patronale. Créée par la loi du 24 janvier 2014 de Modernisation de l’Action Publique et d’Affirmation des Métropoles, le Grand Lyon est une redéfinition dernier cri aussi bien des prérogatives que des modalités d’intervention étatiques sur Lyon et sa périphérie. En parfaite résonnance avec le « Pacte de Responsabilité » entré en vigueur depuis janvier 2015, la Métropole du Grand Lyon applique l’austérité à ses agents publics, dont elle diminue les salaires, remet en cause les droits et accroît la charge de travail. Cette logique est transposable aux usagers, qui voient le panel des services se rétrécir et leurs tarifs s’envoler. C’est que les vestiges du fonctionnement et des missions d’un « État Providence », trop coûteux et peu adapté à la voracité capitaliste, doivent être rapidement balayés au profit d’une réalité territoriale, dans ses aspects institutionnels, économiques, infrastructurels, sociaux, répondant aux standards, normes et impératifs transnationaux de la valorisation du capital. L’espace est livré par les pouvoirs publics à la fois aux spéculateurs immobiliers, à la grande distribution, aux industries et autres entreprises hightech, ainsi qu’aux grandes banques. « Porte de l'Europe, le Grand Lyon renforce son attractivité à partir de grands projets structurants en mettant l'accent sur son ouverture internationale. » Ce formatage aux exigences capitalistes, en sus de s’attaquer aux travailleurs du secteur public, affaiblit grandement les exploités du secteur privé. Il intègre comme il accélère la fluidification et la précarisation du marché du travail en proposant aux investisseurs locaux des infrastructures de communication et de transport qui privilégient la mobilité des travailleurs, mais aussi en favorisant les exonérations d’impôts liés à l’embauche. Ainsi, « le dispositif "zones franches urbaines (ZFU)" permet d’accorder des exonérations fiscales et sociales aux petites entreprises qui s’installent dans ces quartiers ». Évidemment, la contrepartie de ces exonérations c’est l’impôt dont le contribuable, principalement le travailleur, doit s’acquitter. Impôt qui, d’ailleurs, est appelé à fortement augmenter dans l’agglomération, sauf pour les entreprises. On le voit, ce dispositif fluide, étatico-entrepreneurial, est un Léviathan au service de la recomposition capitaliste destructrice. Dans cet environnement aseptisé, déshumanisé, animé selon les velléités mercantiles, où la production dans l’asservissement ne tolère que la consommation dans l’abrutissement, le prolétariat est pacifié de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, par la répression et par la prévention (identitaire). La sécurité des propriétaires des moyens de productions, des rentiers, comme de leurs marchandises, est consolidée par l’intensification de la coercition policière. Les budgets des villes membres du Grand Lyon se sont sensiblement accrus ces 10 dernières années. Lyon compte aujourd’hui 1 caméra pour 2400 habitants !

En parallèle, le soutien à l’identitarisme religieux a été sans faille de la part des plus hauts responsables politiques. Lyon est même, en bien des aspects, un laboratoire de la transgression ouverte des principes élémentaires de laïcité. C’est peut-être parce que dans la « Capitale des Gaules », les représentants de l’État et les grands patrons affectent de se soumettre à une tradition remise en vigueur sous le régime vichyste : chaque 8 septembre, le maire remet un sou au cardinal de la ville pour se placer sous protection divine, en présence des notables locaux. Ce fait n’est pas si anecdotique que cela, quand on regarde l’évolution de la collaboration État/Clergés/Patronat sur Lyon ces dernières années. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur et Jean-François Carenco, préfet du Rhône et de la région Rhône-Alpes, ont su faire le déplacement pour participer à l’inauguration de l’Église protestante de France en mai 2013. Les deux pontes ont régulièrement formé un binôme de révérence étatique au religieux, comme à l’occasion du diner du CRIF tenu à Lyon en janvier de cette même année. Un an plus tard, à la même occasion, Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale déclarait : « La laïcité, ce n’est pas l’ennemi des religions... La laïcité, c’est l’égalité entre les religions, et entre les croyances ». C’est sans doute avec ce souci de faire de la laïcité un supermarché du religieux (malheur aux athées !) que Carenco a lancé en 2012 le projet « Interculturalité, laïcité et diversité », dans le cadre d'une collaboration entre l'Université Lyon-III, l'Institut catholique de Lyon et l'Institut de civilisation musulmane dépendant de la grande mosquée de Lyon. Deux cursus universitaires ont donc vu le jour : « deux formations destinées, d'une part, aux responsables associatifs musulmans, imams et aumôniers et, d'autre part, aux fonctionnaires territoriaux, journalistes, élus, responsables associatifs ou religieux ». La première vise à apporter « aux responsables musulmans exerçant en France une meilleure connaissance du contexte législatif et sociétal et à parfaire leur réflexion sur la présence de l'islam en France et en Europe dans des sociétés modernes et sécularisées », la seconde « est un diplôme d'université (DU) portant sur la religion, la liberté religieuse et l'islam et s'adresse à des acteurs non musulmans, de niveau bac+2 également. Outre des connaissances théoriques sur la laïcité, l'islam et ses pratiques, elle devrait donner aux inscrits des clés pour répondre aux situations concrètes, notamment dans le cas de revendications religieuses ou de possibles atteintes à la laïcité, auxquelles ils peuvent être confrontés. » « Ces formations, d'un coût prévisionnel de 120 000 euros, devraient bénéficier d'aides gouvernementales à hauteur de 83 000 euros. » Les fonctionnaires territoriaux du Grand Lyon en grève doivent apprécier, dans tout leur obscurantisme arbitraire, les faveurs que les autorités publiques s’ingénient à accorder aux pouvoirs religieux (et les dits fonctionnaires sont bel et bien invités à appliquer ces régressions) tandis qu’elles manient la matraque pour infliger l’austérité à ces agents publics trop récalcitrants.

Dans ce scandaleux contraste réside la problématique que nous avons essayé d’esquisser tout le long de cette lettre : l’identitarisme, et son cortège de rapports sociaux réactionnaires, est privilégié au détriment de la reproduction sociale parce qu’il est une arme de destruction des droits et des salaires aussi bien qu’un outil de contrôle social. Pour le pouvoir de classe, il est préférable que le travailleur (occupé ou inactif) soit considéré selon d’autres paramètres que celui qui le détermine comme exploité au sein du rapport de production. Partant, les identitaires de tout acabit s’attachent à concurrencer la solidarité de classe en sollicitant des formes de solidarités toutes inféodées, en dernière analyse, à une forme de domination sociale. Inutile de dire que Carenco, promu préfet de Paris et d’Ile de France pour superviser la mise en place de la Métropole du Grand Paris, a été salué par le patronat lyonnais pour ses fidèles et loyaux services à la cause du capital. Emmanuel Imberton, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon l’a salué en ces termes : « Jean-François Carenco est assurément de ces hommes qui marquent profondément leur passage, tant par sa personnalité atypique, son style direct et son engagement focalisé sur l’action et les résultats. Au nom des 74 000 chefs d’entreprise de Lyon et sa région, je voudrais saluer la grande détermination du Préfet Carenco à œuvrer pour faciliter le développement de nos entreprises et accroître l’attractivité de notre territoire. Sur les grands enjeux d’aménagement du territoire, les dossiers économiques et industriels stratégiques, ainsi que sur la facilitation des relations des entreprises avec les services de l’Etat : l’action du Préfet Carenco est emblématique d’une relation Etat-entreprises de confiance et constructive. »

Les gauchislamistes, et plus largement tous ceux qui prétendent combattre le capitalisme la bouche remplie de fadaises identitaires, ne sont que les caniches de la bourgeoisie…

Rappelons qu’il existe aujourd’hui 100 000 lieux dévolus à la religion en France. 45 000 sont des lieux de culte catholique ; une partie d’entre eux a été construite à partir de bail emphytéotique octroyé par les pouvoirs publics pour 1 franc symbolique lors de la reconstruction d’après-guerre. 2449 mosquées sont recensées en métropole dont près de 1000 ont ouvert depuis l’an 2000. On dénombre 3000 temples protestants (1800 évangéliques / 1200 luthériens et réformistes) et environ 500 synagogues.

 

De la nécessité de clarifier, par le verbe et les actes,
la perspective communiste

C’est dans un marasme aussi paralysant que truffé de pièges, les repères ayant grandement bougé au point d'être illisibles aujourd'hui, que nous nous frayons le chemin de la révolution prolétarienne mondiale. Nous pensons que ce cadre général a trait à la convergence établie au milieu des années 1970 entre un projet marchand rénové et les nouvelles aspirations sociétales des masses. A l’époque, le système a littéralement coupé l'herbe sous le pied des révolutionnaires. La chute du Mur de Berlin lui a donné quelques décennies de secours autant qu'elle a consacré, dans l'imaginaire prolétarien, une issue communiste discréditée. Mais le pourrissement de l'Être social au sein de la société de classe a continué de plus belle si bien que nous sommes devant cet état de fait consternant désormais : les dispositions à vivre dans une société libre sont mises en péril par la socialisation désocialisante du capitalisme. Partant, une gamme chaotique de formules politiques, toutes plus réactionnaires les unes que les autres, préconise soit de purger les rapports sociaux de la barbarie, soit de débarrasser la barbarie des rapports sociaux (djihadisme, par exemple, mais aussi tous les particularismes sous couvert desquels la tyrannie de l'ego oeconomicus s’épanouit). Là où la liberté a été englobée par le marché, la marchandise est la liberté. En sortir, c'est réclamer l'asservissement (religieux, identitaire, racial, etc.). Telle est l'équation effroyable qui semble se répandre chez nos contemporains. Il nous faut rompre coûte que coûte avec ce plafond de verre. C'est pourquoi, il est important d'effectuer un travail de clarification, sur les terrains théorique mais aussi pratique, par des actions courageuses et sans compromis. Cela revient notamment à appréhender les théâtres d’opération et les protagonistes locaux dans tout ce qui les connecte avec la dimension globale de la valorisation du capital. Cette optique a pour corollaire de jauger les formes de valorisation transnationale du capital dans leurs manifestations concrètes, immédiates, tangibles. Il convient aussi de s’efforcer à décrire la société de demain ainsi que le processus révolutionnaire, tout en étant conscients des limites de cette approche car celle-ci équivaut à donner un mode d'emploi à nos interlocuteurs, ce qui les rassure dans leurs postures passives de consommateurs.

Le sous-fascisme, diffus, performant, intégré, est déjà là et il a su efficacement supplanter le fascisme d'antan ! Même dans le cas où un parti d'extrême-droite venait à se hisser aux plus hautes sphères du Pouvoir en France (ce que nous croyons peu probable), comme cela s’est déjà avéré en Autriche, en Pologne et aux Pays-Bas ces vingt dernières années, la politique qu'il conduirait serait sensiblement la même que celle du gouvernement unique qui alterne entre la gauche et la droite depuis quarante ans. Ne serait-ce que pour cette simple raison, nous devrions le combattre de toutes nos forces.

Une dernière remarque : A tous militants de la tolérance répressive, qui auront le réflexe pavlovien de nous taxer d’agents d’Israël, nous répondrons dans la plus grande clarté :
« A bas Israël, à bas tous les États, à bas les sionistes, à bas tous les nationalismes, à bas toutes les religions et leurs organisations ! Votre petit terrorisme intellectuel glisse sur nous. Mauvaise pioche. Contrairement à vous, nous ne négocions pas avec la pourriture réactionnaire, nous la combattons. Vous feriez mieux de réfléchir à faire amende honorable ou envisager de changer de loisir. Capitaliser sur l’arrogante confiance que la bourgeoisie a en elle-même ainsi que sur l’aliénation, toujours précaire, des exploités, n’arrête pas l’Histoire. La dialectique de la révolution prolétarienne possède entre autres caractéristiques, celle de finir par saisir tout un chacun dans son essence pour la révéler au grand jour. Pensez bien au bénéfice que vous pouvez tirer à continuer d’obstruer cet irrésistible mouvement. Mais réfléchissez-vite. Prenez-le comme un avertissement. D’autres comme nous vont parler et agir limpidement pour parvenir à emporter l’intégralité de cette société de merde, y compris les minables pièges, dont vous faites partie, où elle a tenté d’attirer la conscience du prolétariat. »

Envers et contre tout, nous vaincrons. Sois-en certaine, chère Nour.

 

Post-scriptum
en guise de parade à toute récupération républicaine

« La république, je l'emmerde ! »

Souvenons-nous, c'était il y a moins d'un an, à l'époque partout sur le territoire avaient lieux des manifestations émeutières pour protester contre le (énième) meurtre de sang-froid commis par la flicaille dans l'exercice de ses fonctions. Fonctions qui, rappelons-le, visent à faire respecter l'ordre capitaliste et son expansion. Un nouveau paradigme policier était en train de prendre place : les nasses commençaient à fleurir, permettant l'arrestation de centaines de personnes à un rythme hebdomadaire sinon quotidien ; les barrières anti-émeutes cernaient les centre-ville en pleine semaine aux heures de pointes ; dès qu'une manifestation était prévue dans une ville les autoroutes et voies rapides étaient maillées et l'on pouvait se faire contrôler dès les aires de repos ; tout ce qui portait un uniformes était acquitté d'office et avait droit à un supplément d’armes « non-létales » dans son happy meal préfectoral. Mais quelque part tout n'était pas si noir, les flics étaient de plus en plus haïs et on assistait, somme toute, à une sommaire polarisation de la société sous la forme triviale de « pour ou contre les flics » (en attendant, à défaut, le « pour ou contre les patrons et les commerçants », ou le « pour ou contre le travail », mais chaque chose en son temps ma bonne dame !).
Depuis ?
Depuis on serait tenté de se dire « plus grand-chose »...malheureusement.
Ô le meurtrier de Fraisse a été bien été relaxé, oui, et les cow-boys qui ont zigouillé Zyhad et Bouna également. Mais la colère sociale ne s'est pas déclenchée. En même temps, il faut dire que ce n'est pas tellement le condé qui a buté Rémi que la grenade qui l'a touché, et puis ce n'est pas les flics non plus qui ont tué les deux jeunes, il paraît qu'ils avaient employé le conditionnel dans leur description de la situation. Bref, tout n'est plus qu'une technicisation, on approche chaque barbouzerie avec le scalpel et après avoir tout disséqué reste incriminée une parcelle de la réalité qui elle n'a ni nom, ni état civil. Et alors ? Alors acquittez et circulez SVP, y'a rien à voir. Retournez travailler ! Donc « plus grand-chose ».

Cependant ce serait oublier que malgré la dynamite sociale d'il y a moins d'un an, on a réussi à se fader la « loi Macron » et la loi sur le renseignement, de l'économie et des barbouzes, du travail et de l'autorité. Bref, les deux lois les plus violentes de ce début de siècle en France...Le tout sans même une petite émeute !!!
Comme disait Calimero c'est « trop injuste » !

Mais qui c'est doudi donc qui peut expliquer un contraste aussi violent entre remontée de l'intensité des luttes et l’innommable tarte dans la gueule politique que l'on vient de se prendre ???
Évidemment, il vient à l'esprit de n'importe qui que l'histoire de « Charlie » doit bien « y être pour quelque chose », pour employer un euphémisme. L’applaudissement de colonnes de CRS a en effet de quoi foutre les jetons à toute personne n'étant pas propriétaire de ses moyens de productions, soit, en première approximation, beaucoup de monde.
Pourtant, ce serait rester partiellement prisonnier de l'illusion générée par le présent perpétuel. « Charlie » n'est d'une certaine manière qu'une conséquence, le symptôme d'une maladie plus profonde. Une maladie qui ronge la lutte des classes depuis l'instauration de la relation sociale capitaliste sous sa forme bourgeoise, tout particulièrement en France.
Cette maladie, véritable cancer des luttes sociales, les faisant dégénérer, c'est la république.

Le républicanisme est une folie furieuse, une hystérie collective qui pousse les groupes sociaux à vouloir violemment collaborer entre eux, mais toujours sous l'égide des plus puissants.
C'est ce discours qu'on nous sort constamment dès qu'une augmentation de l'intensité des luttes sociales se fait sentir. Les serviteurs de la relation capitaliste veulent alors bien descendre de leur monde niché au-dessus de nous pour nous rappeler que nous avons des intérêts communs, comme...euh comme quoi déjà ? Ou pire, ils n'ont souvent pas besoin de descendre, les chaînes des médias maillant déjà bien le territoire, il nous suffit de lire un peu Marianne ou Le Monde pour se prendre une piqûre de rappel, si ce n'est le mal nommé Libération ou encore l’anciennement collaborationniste Ouest-France qui se chargent de mener l'offensive pour nous rappeler que les petits patrons, les grandes entreprises, le gouvernement et eux-mêmes ne nous veulent que du bien, puisque nous sommes tous « citoyens » !
La recette républicaine s'assaisonne selon plusieurs sauces, toutes indigestes selon nos frêles estomacs.

République et Religion

Plus ancré à l’extrême-gauche du capital que les scriboullards et les pisse-écrits de la presse, on trouve des groupes et des personnes qui croient conjuguer le verbe « républiquer » au négatif,  « pensant » qu'au moins en France la république s'oppose souvent à la religion…rappelant alors l'héritage laïcard revanchard qui n'aime les religions que parquées dans le domaine privé et qui persécuterait donc les pauvres religieux qui ont le malheur de ne pas être bien intégrés en France.
Il semble pourtant qu'ils ne comprennent pas que ce n'est là qu'une bataille de religion justement, une ridicule guerre de clochers entre le laïc et le religieux, dont le premier a osé usurper le rôle du second tout en nous faisant croire qu'il le chassait.
Car religion et république suivent toute deux exactement le même but, cherchent la même chose : la création d'un vivre ensemble sur la base de la pacification sociale, créer du social en abolissant artificiellement la lutte des classes, c'est-à-dire en muselant le prolétariat. République et religion, voilà les deux voiles qui obscurcissent le monde social, alimentent et refondent le présent perpétuel du Spectacle. Ces armes de la bourgeoisie sont aussi vieilles qu'elle, parfois même plus, pourtant il existe encore aujourd'hui des groupes et des personnes pour penser qu'elles s'opposent. Sans voir que si elles sont l'une contre l'autre, c'est parce qu'elles sont l'une tout contre l'autre, elles dorment ensemble, vivent ensemble, se meuvent ensemble et vont ensemble au combat pour la préservation de la société de classe et de la relation sociale capitaliste.

Les religions sont des républicanismes comme les autres, détruisons les tous et toutes !

La république et le terrorisme

L'autre bonne blague recette vient de ceux, plus nombreux, qui opposent la république à son Grand Autre : le terrorisme. C'est oublier que la république n'est qu'une forme, un discours adopté par les gouvernements, et que ce sont justement ces derniers qui fabriquent, de façon direct ou indirect, les groupes ensuite qualifiés de « terroristes ». La pitrerie est connue : la CIA fondant Al-Qaida pour combattre l'URSS, Israël finançant le Hamas afin de réduire l'influence de l'O.L.P, Carlos financé par qui voulait bien le payer. Le terrorisme est une vieille création de l'État, et il n'est pas dur de voir que tous les Mohammed Merah et les frères kouachi ne sont que, sinon des créations, du moins des laissez-faire coupables de l'État, qui tourne la tête en sifflotant, misant cyniquement sur les bénéfices médiatiques de leur actions et les lois liberticides qui pourront ainsi mieux être passées. Le terrorisme n'est pas l'antithèse de la république, il lui redonne constamment vie. C'est pourquoi tout mouvement réellement émancipateur devra combattre les deux simultanément et faire la guerre  à ceux qui veulent s'appuyer sur l'un contre l'autre.
Le cas Charlie est un exemple d'école de reconstruction du sentiment d'unité social permettant de faire passer les lois liberticides les plus violentes. Depuis Janvier, on ne peut plus diffuser un tract, refuser un contrôle de vigiles ou de flics, manifester, faire grève sans devenir un terroriste de la république, un assassin du vivre ensemble.

Contre la relation capitaliste et ses représentants de gauche et de droite : meurtre républicain !

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