Capital et confusion, Chapitre 1
Le grand retour de l'alchimie foutraque à l'ère de la dévalorisation
Cette brave goule suceuse de sang qu'est la relation capitaliste se trouve bien loin de ses beaux jours où ayant fait de l'Europe de l'Ouest son Bastion elle s'avançait, aventurière qu'elle était, dans les arcanes d'un monde qui ne portait encore aucune marque de son existence au cou.
C'est que suçant et suçant encore femmes et hommes, entourant de ses bras d'acier industrieux le monde, fusionnant presque totalement avec lui à force d'accumulation de l'activité gratuite, de pillage de l'environnement et d’extorsion de plus-value, notre brave cadavre accuse tout les traits de l'étouffement.
A trop boire les fleuves des jus de l'humanité, notre chère valeur d'échange a fini, dans sa mutation spectaculaire finale, par revêtir la figure de la tique. Une tique bien trop pleine, bien trop grasse, bien trop juteuse, s'intoxiquant des flux perpétuels qu'elle ingurgite tout en étant incapable de remettre en cause leur éternité. Prisonnière d'elle-même dans la tension perpétuelle d'une grotesque question de vie ou de mort.
Dans l'époque qui s'ouvre à nous sous les auspices de ce dieu ridicule et brutal, croulant de son poids de parasite, bien des repères vacillent qui pourtant avaient guidé l'époque précédente. Le mouvement ouvrier a été dissous, plus par une série d'experts que par les faits, dans de soi-disant « nouveaux mouvements sociaux » ; la stupide distinction genrée et son oppression monogamique ne semblent plus capable de contenir l'incroyable potentialité du désir humain ; l’Europe et les États-unis apparaissent de moins en moins comme les leaders incontestables du capitalisme, mais se voient de plus en plus soumis à lui par l'intermédiaire de leur dette ; des pays autrefois émergeants se trouve à devoir financer leur maître américain pour ne pas scier la branche capitaliste sur laquelle ils ont mis des décennies à s’asseoir ; le « progrès » : direction et directeur de l'humanité euh...du monde capitaliste occidental depuis au moins deux siècles fusionne enfin avec son double réactionnaire. Et voilà les staliniens pratiquants d'hier devenant les religieux intégristes d'aujourd'hui, à l'image du clown négationniste Garaudy ou du tragi-comique Carlos que le tout commun a vite fait (et bien fait) d'oublier dans des poubelles qui ont plus à voir avec une fosse sceptique qu'avec l'histoire et sa grande hache gna gna gna gna.
Mais il n'est pas ici lieu d'hurler avec ces loups d'anciens maoïstes de nouveaux-philosophes sur la perte de repères du XXIème et sur la destruction que fut Mai 68. Mai 68 n'a pas été qu’une révolution, loin de là, c'est même, sur bien des points, l’événement qui témoigne de l'ouverture de secteurs entiers à la socialisation capitaliste.
Peut être fut-ce même sinon le point de départ du moins le point à partir duquel la nouvelle alchimie du capitalisme, sa nouvelle ère, pouvait commencer à être décelée. Les vieux éléments qui le composaient : à la plus-value absolue et l'impérialisme unilatéral qui la soutenaient, avait définitivement fait place la plus-value relative dans les centres de reproduction capitalistes ; l'angoissante claustrophobie de la cellule familiale commençait à montrer les signes d'une timide ouverture ; la course à l’énergie et à la pollution arrivait à sa fin théorique dans cette catastrophe permanente qu'est le nucléaire. Merci belle France qui ne fut jamais la dernière dans ces horreurs !
Bref, les anciens arômes qui composaient notre sauce capitaliste ont fini depuis quelque temps déjà de flotter dans les airs. L'alchimiste désincarné qui préside à la recette du désastre gouverné par la Valeur a radicalement modifié les ingrédients de sa douteuse mixture, laissant au passage totalement désemparée la critique révolutionnaire qui, de n'avoir pu le suivre, s'en est allée, dans le meilleur des cas, lécher les pieds de l'étatisme, de la bêtise religieuse ou du nationalisme ou des trois à la fois, pourquoi pas ?
C'est quelque chose comme une liste de course que nous cherchons à présenter ici.
Une liste de certains ingrédients qui ont aujourd'hui été mélangés pour nous être servis avec cette odeur de ridicule et de dangerosité qui sied merveilleusement au merdier total.
Sur quoi portera précisément une telle liste ?
Rassurez-vous ! Pas sur tous ceux qui tombent sous l’appellation de « merde » dans un monde capitaliste : liste quasi-infinie si il en est !! Nous ne nous intéresserons qu'à une sécrétion particulière de l'époque : le confusionnisme.
Cette confusion n'en est pas une dans l'absolu mais se pose comme telle à n'importe quelle personne sincèrement révolutionnaire, n'importe quelle personne qui se pose réellement la question de l'abolition de la société de l'accumulation du travail abstrait par la destruction de la société de classe. Ainsi, de confusion nous pouvons discerner plusieurs types :
- les plus
stupidesconcentrés : comme dans certaines formes de conspirationnisme qui, tellement prisonnières de l'abstraction du fétiche-capital, tentent dans un espoir vain de recréer un sentiment de sécurité en fantasmant des groupes de plein contrôle ourdissant complot sur complot dans l'objectif de contrôler un monde qu'ils contrôlent de toute manière déjà. Les tenants de telles théories se complaisant par là dans une très confortable théorie de l'impuissance, qui doit, pour le coup, ravir les médias spectaculaires qui en sont les producteurs et qui lui donnent pignon sur rue.
Ces types de conspirations en eux-mêmes ne sont pas intéressants car ni leur argumentaire, ni leur force matérielle ne sont aujourd'hui pertinents ou étendus. C'est plutôt une composante idéologique qui transpire dans notre gentil monde, qui suinte comme du pue par la bouche des hérauts de la réaction, du retour au formes de dominations sociales qui ont fait les grandes heures de la relation sociale capitalistique : la famille autoritaire monogame, la nation comme fantasme de la fin de la division des classes sociales, le travail rédempteur, la femme essentialisée comme domestique d'un homme non moins essentialisé comme bête de somme. - Les plus diffus : ceux qui innervent plus directement la vie politique elle-même, ceux que l'on imagine même ne pas interroger tellement ils ont réussi à embrasser la forme de l'évidence et de l'allant-de-soi. On compte parmi eux le nationalisme « de gauche » du capital, l'antifascisme, l'anti-impérialisme, la défense des religions minoritaires, la préoccupation pour le « populaire », et d'autres choses qui composaient jadis certains « acquis », certains terrains de prédilection et chasses gardées de la gauche et de l'extrême-gauche du capital. Autant de sujets aujourd'hui repris par l'extrême-droite du capital, attisant ce rapprochement entre les deux manières les plus radicales de gérer la relation sociale capitaliste.
C'est cette seconde forme de confusionnisme qu'on aimerait aborder ici : les convergences entre deux modes de gestion du capital : son extrême-gauche et son extrême-droite.
Nous laisserons de côté la critique des argumentaires, et nous ne chercherons pas à montrer comment l'anti-impérialisme ou la défense de la religion étaient de toute façon en soi des postures non révolutionnaires, mais plus à montrer les liens réels et matériels qui existent bel et bien entre ces deux ennemis spectaculairement opposés, et pourtant si prompts à se réconcilier sur l'oreiller des nécessités du capital.
Plus une liste de course qu'autre chose donc car il n'y a que peu de cohérence, peu de classifications possibles, juste des suites d'individus et de groupes qui réussissent tous, ou projettent de réussir, avec plus ou moins de succès à maintenir la relation sociale fondamentale qui régénère le capital : le travail abstrait.
CHAPITRE 1 : La famille des Stalino-gaullistes :
Le PR"C"F, Annie Lacroix-Riz, le comité Valmy et le Conseil National de Transition :
ou comment Staline et De Gaulle fusionnent dans le fantasme de la collaboration de classe contre les élites.
Du rouge partout, des têtes de vieillards qui défilent derrière deux drapeaux qui se croisent.
Oui des drapeaux ! Preuve supplémentaire qu'on peut aujourd'hui, mais en fait depuis longtemps déjà, se dire sérieusement communiste tout en perpétuant le culte des idoles. Vous voici bel et bien sur le site du Pôle de Renaissance « Communiste » en France. Bienvenu et Bravo, vous ne manquez pas de courage !
Passé le premier regard et le premier choc quelque chose continue tout de même de nous faire tiquer.
Et non vous ne rêvez pas ! Les deux drapeaux qui se croisent sont bien ceux que vous pensez. L'un d'eux est de ceux qui flotte au dessus de toutes les Mairies d'une (F)rance dont on saisit bien tous les liens qu'elle à pu avoir avec l'histoire du stalinisme, mais bon avec le communisme...restons dubitatif et tournons-nous vers le second voile tendu.
Tout rouge, avec le sempiternel croisement faucille marteau, c'est bien le drapeau de l'U R« S »« S » ! Oh, on pourrait chipoter sur les dates, les significations successives du drapeau, et même arguer de sa récupération, rien n'y fait nous continuons à y voir un symbole stalinien pur et dur. Et puis merde ! Ça reste un drapeau, donc en dernière instance quelque chose à brûler.
Alors que se cache t-il derrière ce croisement des bannières, derrière ce drapeau français ajouté du drapeau rouge stalinisé ?
Probablement quelque chose de l'ordre de la matérialisation d'une vieille tendance du P« C »F, jadis sa principale lorsque Marchais tenait les rênes : un nationalisme fière d'une solution « socialiste à la française », dans laquelle « socialisme » rime au mieux avec nationalisation, mais ou le « à la française » rime avec un patriotisme bas du front et xénophobe fière de « l’exception française ».
Le PR« C »F retravaille l'histoire, évidemment très riche, de la lutte des classes en France pour la tirer du côté d'une réinterprétation nationaliste à la gloire du grand cocorico. Si des tendances nationalistes ont évidemment existé dans le mouvement ouvrier en France, en faire son axe d'affiliation historique relève carrément d'un choix politique douteux. Choix par ailleurs totalement assumé : celui de la France éternelle telle que « notre » bon général de 2m50 de haut a tenté de la créer à la sortie de la WWII. Une bonne soupe nationale et « patriotique » (le terme revient souvent sous la plume des croulants du PR«C»F) favorisée par toute la ribambelle d'ancêtres trônant dans les instances du parti. Ancien du P«C» période gaullisto-thorezienne qui après avoir accepté leur légion d'honneur (!!!) nous resservent aujourd'hui une soupe martyrologique afin de justifier tout et n'importe quoi. L'équation : on a souffert donc on est révolutionnaire, qui n'est que l'adaptation circonstancielle de la très vieille équation : on a souffert donc on a raison, tient lieu d'argumentation principale. Et comme souvent, l'utilisation d'un fait (en l’occurrence la participation à la « résistance ») comme justification ne tient absolument pas la route.
D'ailleurs le PR« C »F lui-même ne se trompe pas politiquement et se donne des alliés qui lui siéent à merveille au travers d'un ubuesque Conseil National de Transition.
Le Conseil National de Transition :
Rien de mieux en effet que de former, à l'image du Conseil National de la Résistance -fossoyeur du mouvement révolutionnaire issu de la Seconde Guerre Mondiale -, un ridicule Conseil National de Transition avec tous les hérauts de la France éternelle :
http://histoiresdefrance.wordpress.com/2014/08/15/5-partis-pour-sauver-la-france/
- Debout la République de Mr gueule-de-gendre-parfait a.k.a Nicolas Dupont-Aignan. Idole fugace de Alain Soral, capable, avec notre bouffon national, de se revendiquer National-Socialiste en live.
- Union Populaire Républicaine : Du haut fonctionnaire François Asselineau pour qui « populaire » doit être un autre mot pour soutien à ma personne.
- Solidarité et Progrès : Branche française du mouvement complotiste crée par le fanatique Lyndon Larouche, connue dans sa jeunesse pour ses manières violentes de régler les conflits, puis plus tard comme conseillé du président Ronald Reagan, ce « parti » qui a tout de la secte (enrégimentement, lectures orientées et répétitives, culte de la personnalité, isolation, etc...) développe des positions aussi sensées que la mise en quarantaine des personnes atteintes du VIH, la construction de ponts inter-continentaux et d’ascenseurs terre-lune, la fusion nucléaire « froide » ou encore...la criminalisation des jeux vidéos. Développant derrière une verve pseudo-radicale anti-banque un discours antisémite et réformiste (leur revendication principale étant la « simple » séparation des banques d'investissement et de spéculation et non la destruction de ces dernières comme toute leur rhétorique pousserait à le faire croire) ils sont menés en France par le petit escroc et arnaqueur de vieilles dames Jacques Cheminade dont le parcours éducatif, parfaitement élitiste pour le coup, est le même qu'Asselineau (HEC-ENA).
- Le Mouvement Politique d’Émancipation Populaire : Ce groupuscule (représente-t-il autre chose que ses fondateurs?) à été crée par un fondateur des admirateurs des conseillers économique de Kennedy : l’inénarrable ATTAC reconvertie à l'eurosecpticisme nationaliste, sur la base de cette bonne vieille querelle avec l'Allemagne impérialiste.
Ce fameux Conseil National de Transition, au-delà de la fictivité de son existence, condense toute une suite de défense de la forme historique prise par la relation sociale capitaliste en France :
- Défense de l'armée comme vecteur de socialisation et de stabilisation de la société, à ce titre l'article 13 est désolant :
http://histoiresdefrance.wordpress.com/2014/08/15/5-partis-pour-sauver-la-france/
- Peuple et Nation comme entités de base de la vie sociale et internationale. Les classes sociales ne sont pas abordées ici une seule foi et leur rôle révolutionnaire encore moins. Avec comme corrélation de ce nationalisme le développement d'une stratégie de repli national ressuscitant la culpabilité d'un autre toujours fantasmé comme la source de tous les maux.
- Nostalgie de l’État providence comme forme maximal du socialisme là où il n'est que la forme la plus achevée de collaboration entre les classes sociales. Nostalgie d'autant plus utopique que la contraction de la reproduction sociale actuelle rend totalement illusoire le maintien d'un État si coûteux (contradiction historique qui avait déjà vaincu le fascisme, forme sociale proto-historique de l’État providence1).
Rien de très joyeux là-dedans tout de même, une touche d'ironie peut être même lorsqu'on lit sur leur site internet :
- à propos de L'UPR : « M. Asselineau reprend pourtant sans le dire bien des analyses que des progressistes avaient faites bien avant lui, notamment des communistes »2. Quand on vous dit que la réaction et le progressisme fusionnent enfin !!!
- « Il faut de tout pour faire une France [...] Que chacun défende la France à partir de l’idée qu’il s’en fait, en écartant seulement du rassemblement les fascistes et l’oligarchie financière, et la dynamique populaire se mettra en place.» (c'est nous qui soulignons)3. Quelle définitions du terme « fascisme » reste-t-il à ceux qui écrivent un texte en commun avec des groupes dont on peut au moins dire qu'ils sont fascisants au sens historique du terme, c'est-à-dire au sens de la défense d'une stratégie ultra-nationaliste basée sur une collaboration de classe grâce à un Etat militarisé donnant dans le social ?
Bref une bonne salade de personnalités cherchant à se lancer en politique sur la base d'un populisme douteux et d'une défense des principales institutions françaises : démocratie bourgeoise représentative, élections (même leur abstention est une ode aux véritables élections), travail, famille armée, patrie.
Comité Valmy :
Déjà sur la même vague nationale nostalgique avait été créé le Comité Valmy. Le seul nom évoque déjà tout un programme : la défense de la (F)rance et de sa république bourgeoise. Rassemblement de patriotes gaullistes et de marxistes - entendre admirateurs de l'Union « soviétique » - autour d'une tentative de ressusciter le Conseil National de la Résistance, le comité Valmy multiplie les pétitions et regroupements fantômes dans l'espoir d'intéresser quelqu'un. Peu d'information sur les collaborateurs à ce comité. Probablement pas grand monde. Il mérite tout de même d'être dénoncé ici pour la proximité idéologique entretenu avec le PR« C »F et toute la mouvance stalino-gaulliste.
Annie Lacroix-Riz :
Carré Hermès noué autour d'un cou paré de perles, air de grande bourgeoise seizièmiste, voix monocorde vous rappelant que « gna-gna-gna-la-situation-actuelle-rappelle-celle-des-années-30 », et que « le-grand-méchant-fascisme-n'est-pas-loin ».
Au-delà de cet angoissant sentiment de disque rayé c'est bien à la caution intellectuelle du PR« C »F que vous avez affaire.
L'autre caution, la politique, s'incarnant en la personne de Léon Landini, ancien Francs-tireurs Partisans-Main d’œuvre Immigré (FTP-MOI). Mais cela vous le savez sûrement déjà puisque c'est écrit à peu près dans tous leurs textes et communiqués.
Bref, Annie Lacroix-Riz comme caution intellectuelle, et comme propagandiste également. Car ALR est partout, elle est de toutes les conférences, de tous les colloques. Et veuillez acheter ses livres s'il vous plaît, car à l'écouter ils sont la clef de lecture pour la compréhension des années 30 en Europe (autrement dit du monde). Et comme le contexte actuel ressemble étrangement à celui des années 30 gna gna gna alors ses livres sont carrément la clef pour comprendre la politique à l'heure actuelle. N'empêche que renvoyer constamment le lecteur ou l'auditeur vers ses propres livres, qui plus est à minimum trente euros l'exemplaire, ça commence à nous faire un sacré commerce de la radicalité tout ça ! Mais de la à tirer des conclusions...
Et puis, il y a ses conférences. Toutes disponibles sur son affreux site personnel. Certaines sont réalisées par... l'UPR !
Sinon, les milieux de la gauche républicaine du capital se l'arrachent : Avec le Parti de Gauche et Visa lors d'une conférence organisé aux Glières en 2013, le tout filmé par l'UPR donc, ce qui a eut l'air de ne gêner personne ! Gageons que personne ne savait (ce qui, dans cette hypothèse, n’est pas moins grave)... sinon la conférencière elle-même et probablement Thierry Leclerc journaliste PRCFiste et organisateur du débat. ATTAC appelle également à ses services. Mais c'est plutôt grâce à sa participation, à l'appel de l'intégriste catholique, conseiller du prince, barbouze de la Russie, de la Syrie et de l’Iran (et, plus largement, de « l’Arc alterimpérialiste »), escroc et surtout complotiste4 Thierry Meyssan, à la conférence Axis For Peace que la mère Lacroix-Riz s'est fait connaître. Conférence ultra-nationaliste et conspirationniste mélangeant dirigeants d’État, haut fonctionnaires, médias intégristes et antisémites, etc... Bref toujours dans le style et la confidence, merci Annie !
Dans le même genre argumentatif que les conspirationnistes fascisants de Axis For Peace5, ALR développe une critique de la Synarchie. Sombre entité composée de l'élite française, elle aurait, peu avant la Seconde Guerre Mondiale, comploté pour vendre la France – la vraie, l'éternelle – à la collaboration et au nazisme6. Si on peut tabler sans trop de difficultés sur une sympathie exagérée de la part de la bourgeoisie française pour la solution fasciste dans les années 30, voir un complot, persistant jusqu'à nos jours, là où il n'y a que des intérêts de classe bien compris, tout cela nous mène directement dans le complotisme de bas-étage. Cette substitution de la vision historique en termes de classes sociales par des groupes constitués, fictifs ou réels, est l'une des clefs argumentaires du complotisme. D'autant plus navrante, d'ailleurs, lorsqu'on se revendique « marxiste »7. Mais voyons en quoi consiste réellement le « marxisme » de Annie Lacroix-Riz.
La croisade principale de notre historienne est la réhabilitation du régime stalinien. De là, probablement, son titre de « communiste » ou de « marxiste ».
Sa défense du capitalisme d’État stalinien tient toute entière dans l'assaut qu'elle porte à la vision bourgeoise promulguée au travers des livres d'histoire de l’enseignement secondaire. Elle s'en prend au rapprochement des deux entités sous le couvert du concept - certes vide - de « totalitarisme », et tente de déséquilibrer la balance en collant tous les travers de l'époque sur l'Allemagne nazie, et son homologue pétainiste, pour sauver, par comparaison, le capitalisme d’État instaurée en Russie par la contre-révolution bolchevique.
Cela passe par la remise en cause de l'Holodomor (le génocide ukrainien par la famine réalisé en 1932-33 par le capitalisme d’État Russe). La reconnaissance de ce génocide, comme d'autres, est effectivement instrumentalisé par certaines forces politiques – situées à l'extrême-droite du capital8- mais l'argumentation de ALR nous ressort l'éternel argument stalinien de la culpabilité des Koulaks :
« Cette disette ou cette famine résultait de phénomènes naturels et sociopolitiques : une sécheresse catastrophique se doubla des effets de la rétention croissante des livraisons (abattage du bétail compris), depuis le tournant des années vingt, par les anciens koulaks (paysans les plus riches) rebelles à la collectivisation. Cette fraction, en lutte ouverte contre le régime soviétique, constituait, en Ukraine, une des bases du soutien à l’« autonomisme », habillage sémantique de la sécession , au bénéfice du Reich, »9.
Cette ridicule défense du pouvoir stalinien se double d'une défense de la politique de son satellite français : le parti dit « communiste » et bien français – PCF - dans sa période Thorez-Marchais et de leur national-républicanisme. On se remémore alors les appels de Thorez à savoir terminer une grève lorsque l'on a obtenu ce que l'on a voulu, on se rappelle le « Produisons français » de Marchais, et on ne vomit même pas. Bien plutôt on rigole. Au XXIème siècle gageons que la personne qui s'intéresse à l'émancipation sociale ne croit pas/plus les conneries du P« C »F, et son histoire n'a plus qu'à être moquée, n'en déplaise aux hérauts de sa « période de gloire » Républicaine. Le PR«C»F serait-il le seul à ne pas s'en rendre compte ?
De l'héritage du P« C»F de la grande époque, ALR nous garde également la défense de la République. Celle-ci passe de forme juridique et légale de la domination bourgeoise qu'elle est à une conquête sociale - quasi prolétarienne - à défendre, symboles compris, contre les élites mondialistes et européennes10. Mais on comprend facilement que derrière cette république c'est le concept même de nation française qu'il s'agit de promouvoir. La France devient une entité éternelle réifiée, parfois séparée des institutions étatiques – comme cela est pratique pour réfuter la France pétainiste ! L'ennemi dès lors n'est plus une classe sociale, celle qui précisément a inventé la France, mais est réduit aux élites agissant plus ou moins dans l'ombre. Réification de la nation d'autant plus inadmissible qu'elle est une cage inventée par la bourgeoisie et non un cadre de libération de quoi que ce soit, et tous les Jaurès du monde ni pourront rien.
Nation et élite, toutes choses qui auraient désigné la réaction il y a quelques décennies et fondent les discours des progressistes aujourd'hui. C'est par cette porte ouverte que s'engouffrent les discours confusionnistes.
Dans cette débauche de France éternelle, notre républicaine ne s'arrête pas à la défense des institutions « physiques » de la nation mais également à la préservation de son patrimoine « immatériel » dont la langue française, également réifiée pour l'occasion en une entité permanente et vectrice de valeur, de moralité et de civilisation.
Ce recyclage des institutions et concepts bourgeois dans l'organisation d'une défense des régimes capitalistes d’État à verves socialistes ouvre de la part d'Annie Lacroix-Riz la porte grande à tous les confusionnismes, les convergences gauche/extrême-droite du capital et leurs composantes rouge-brunes. Et ils ne sont pas peu à répondre à l'appel :
Tout d'abord son site personnel nous ouvre pas mal de joyeuses perspectives :
- Balkans-Infos : Site de « contre-information » rouge-brun pro-Milosevic, pro-Russe, accoquiné avec le pape de la Nouvelle Droite : Alain de Benoist.
- La réalisation par l'UPR de certaines vidéos de ALR, comme déjà mentionné.
- Une partie de la nébuleuse stalinienne : type URCF, refondation communiste en Italie, etc...
- Un comité de soutien du nom de Honecker probablement du nom de l'un des dirigeants de la RDA à avoir appelé à la construction du mur de Berlin.
Et puis il y a toute la nébuleuse à laquelle elle participe :
- Axis For Peace, évidemment, où elle à donné une conférence
- Le 26 Septembre 2006, ALR donne une conférence à l'appel de Solidarité et Progrès11. Ses conférences sont relayées sur le site de Solidarité et Progrès, avec qui le PR« C »F a déjà fondé un « Conseil National de Transition ».
- Le site d’Égalité et Réconciliation appelle à aller à ses conférences au nom de la « liberté d'expression », et même si Soral tacle quelques unes de ses analyses, on comprend comment la thèse du complot synarchique les réunit.
- Entretien avec l'ultra-stalinien Aymeric Monville12 des éditions Delga, chez qui elle a publié un livre. Éditions qui tentent notamment de se réapproprier l'héritage de Lukàcs -le fossoyeur du marxisme - dans une défense du stalinisme.
- ALR est également présente sur le site participatif conspirationniste AgoraVox.
Que se cache -t-il derrière Annie Lacroix-Riz et le PR"C"F ?
Notre historienne stalino-complotiste a réussi à asseoir sa place dans la nébuleuse « conspi » en devenant, au travers de travaux souvent réellement basés sur de fastidieuses fouilles d'archives, la caution intellectuelle et universitaire facile à placer et passe-partout. Car, au-delà de la droite dure type commentaires du site Le Figaro, son pedigree de « communiste » la fait plutôt voir d'un bon œil dans les milieux « alternatifs », type ATTAC. Qui pourrait, dès lors, l'accuser en premier lieu de convergence avec une quelconque fraction de la droite du capital ? Elle qui a le profile type de la vieille du P« C »F, elle, qui a le titre si respectable, et pourtant si bourgeois, de « professeur émérite » ?
Pourtant c'est bien une vrai confusionniste à qui nous avons affaire. Tout y est : la dissimulation derrière un pseudo discours marxiste et classiste d'une conception volontariste de l'histoire, orientée par des groupes secrets. La mise en relation avec des organisations et individus ouvertement fascisants et rouge-brun sous couvert de liberté d'expression. La mise en spectacle de sa propre personne, dans le rôle de caution intellectuelle, de dissidente, etc... le tout agrémenté à la sauce prosélytisme marchand. Car il semble qu'une fois de plus cette « engagement militant » soit une manière bien commode de se faire des tunes en vendant sa radicalité sur papier. Annie Lacroix-Riz est disponible sur Amazon...la messe est dite !
Quid du PR« C »F ? regroupement de grabataires et de héros du passé de l'histoire de France, leur stalinisme obtus les conduit aujourd'hui à devoir s'allier avec des groupuscules en mode confusionnisme. De Solidarité et Progrès qui ratisse dans le post-hippies et l'étudiant décomposé pour donner dans le scientisme et la défense du capital industriel avec une pointe de complotisme clairement antisémite, à l'UPR souverainiste et rêvant d'une unité nationale façon collaboration de classe gaulliste, en passant par les nationalistes-social de Debout la République.
Tous, au final, ont une même visée : la collaboration de classe, que celle-ci se réfère à l'héritage du P« C »F – expert en la matière – ou à celle du Gaullisme, qui de toute façon finissent par fusionner dans les discours.
Quand on vous dit que progrès et réaction fusionnent aujourd'hui !
Références :
[1] Sur le keynésianisme et le fascisme, rouge ou brun, comme différentes modalités d’une même réponde historique au passage de la plus-value absolue à la plus-value relative, cf Paul MATTICK, Marx et Keynes.
[2] www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/stop-aux-mensonges-sur-le-prcf-clarification-simpose/
[3] www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/stop-aux-mensonges-sur-le-prcf-clarification-simpose/
[4] Pour tous ces titres, cf le site, par ailleurs de merde :
www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2005/05/06/465-qui-est-vraiment-thierry-meyssan
[5] Cf les accointances de Issa El-Ayoubi, vice président du Réseau Voltaire, avec des partis néo-nazis :
www.conspiracywatch.info/Qui-est-vraiment-Issa-El-Ayoubi-le-vice-president-du-Reseau-Voltaire_a343.html
[6] Cf, entre autres, son opus magnus, Le Choix de la Défaite, ainsi que ses conférences où elle défend la plupart du temps cette thèse conspirationniste.
[7] Bien que nous n’ayons aucune sympathie pour le positivisme mécaniste des marxistes, reconnaissons-leur au moins une vision historique qui prend en compte les classes sociales.
[8] Notamment le trou de balle post-maoïste, Stéphane Courtois.
[10] Comme l’indique le titre de sa conférence : Les élites françaises et l’Europe depuis 1919.
[12] L’histoire et les historiens sous influence. Librairie Tropiques - 12 Septembre 2013