Les beaux nez rouges du capital
Sous-fascisme, récupération, merchandising :
Bonnets rouges, à qui profite le crime ?
Sévissant en Bretagne le mouvement des auto-baptisés « bonnets rouges » prend de l'ampleur. Sont-ils des révolutionnaires ? Sûrement pas ! Sont-ils originaux, présentent-ils une forme nouvelle de rassemblement populaire, un renouveau des marges de la démocratie bourgeoise -renouveau balayé de la scorie des classes sociales - ? Eux-mêmes répondent à cette question par la négative en s'inscrivant comme les continuateurs, les rénovateurs, la réapparition du mouvement des bonnets rouges premier du nom. Pourtant, c'est bien moins ce spectre d'une révolte populaire contre le roi, qu'un fantôme beaucoup plus récent qui hante les bonnets rouges. En effet, à voir ces petits commerçants soutenir, au moins sous le couvert de la passivité, les actes de violence commis par des salariés bras de dessus, bras dessous avec leurs patrons, c'est bien plutôt à une contestation à la Poujade qui vient à l'esprit.
Mais passons ! Aucun révolutionnaire un tant soi peu désireux d'en finir avec la relation capitaliste ne prend encore au sérieux cette révolte des patrons contre un État géré par la gauche du capital.
Pourquoi alors s'attarder sur ce vaudeville squatté par le printemps français et le F.N ?
L’écotaxe
Avant de répondre effectuons un détour sur l’écotaxe elle-même, car si elle contient bien un danger ce n’est pas celui de grever les entreprises, et de mettre en faillite leur compétitivité.
La «taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises» est en fait un dispositif cherchant, par l’intermédiaire de caméras, mais également de bornes dans les véhicules et de cabines mobiles, à faire appliquer un impôt1.
Ce qui apparaît comme inquiétant, mais ne semble aucunement gêner nos manifestants, c’est le quadrillage du territoire qu’elle promeut, permet et exécute.
En lui-même ce type de contrôle du territoire n’est pas nouveau, et l’on peut facilement faire remonter, au moins aux années d’après-guerre ce mode de gestion par la bourgeoisie, pour exemple les systèmes de prise en charge des soins physiques et surtout mentaux. Cependant, une telle entreprise de contrôle n’est pas remise en cause en tant que telle, elle n’est même pas abordée sous un angle critique, cela ne semble inquiéter personne. Et pour cause, car ce mouvement de pseudo-contestation n’est en fait gêné en aucune manière par ce type de contrôle, il l’appelle même de ses vœux et s’en soulage. Si les portiques écotaxe sont attaqués c'est non pas parce qu’ils contiennent des dizaines de caméras à même de filmer, non pas parce qu’ils sont une forme, pas si nouvelle, de police, rappelant que l’État ne peut être qu’un État policier.
Les bonnets rouges
Pour revenir sur les bonnets rouges eux-mêmes, une fois encore une comparaison, aussi parlante soit-elle, avec un mouvement quel qu’il soit : Poujade ou la révolte du papier timbré, ne fait qu'indiquer une voix mais ne fait pas office d'analyse, il n'y a pas d'évolution, l'histoire ne se répète pas. Ce qui se joue sous ces bonnets sera sûrement sans conséquence, mais n'est pas sans quelque raison et ce qui intéresse c'est plutôt la forme que cet inoffensif spectacle de radicalité dévoile.
En quelque sorte un proto-fascisme qui n'en sera pourtant jamais un, la virulence de leur peste leur ayant été fauchée. Cependant, ne nous détournons pas trop vite d'eux sous prétexte qu'ils sont inoffensifs à l'ordre marchand. Une chose, en effet, de leur grand frère (de Mussolini à Poujade) leur reste : le rôle confusionniste.
Les registres et les discours sur l'action politique se mélangent et se croisent. Face au contenu pro-capital du mouvement, ses portes parole autoproclamés, dont on peine à trouver un qui ne soit pas patron ou PDG, comme le patron nationaliste Christian Troadec, parallèlement maire de Carhaix, tentent d’apposer une couleur de gauche (sic) mais peinent à se démarquer réellement de l’extrême-droite du capital.
Tous les débats Quimper/Carhaix relèvent de la chasse à l’ouvrier, qui n’en devient plus qu’un argument à qui à la plus «grosse», au service d’une entreprise de promotion pour le label de la radicalité, toute spectaculaire d’ailleurs. Entre les pro-quimper qui cherchent à garder une pureté initiale supposée contre la récupération par le patronat, et les pro-carhaix qui fantasment la constitution d’un front de classe, tout en étant que le résultat de petites manipulations politiques douteuses, une chose est certaine la chasse au travailleurs n’est qu’un exercice de justification de la part des uns et des autres.
C'est peut être ici, quand on voit un patron défendre une politique de «gôche», que ce mouvement est le plus intéressant, lorsqu'il apparaît comme symptôme. Le symptôme de la fusion enfin achevée à notre époque du discours progressiste et du discours réactionnaire. Ces deux positions ne sont plus des attitudes de vie contraires, ni même deux sœurs ennemies nostalgiques des Lumières, et dont la première servait au marxisme lors de toutes ses compromissions. Aujourd'hui il est enfin perceptible qu'elles ne sont plus que les deux faces d'une même pièce : le discours de contrôle de la bourgeoisie.
Le progressisme, idéologie qui travaille de l'intérieur les bonnets rouges « de gauche », n'est que la quémande d'une situation non pas meilleure en soi, ce qui est de toute façon impossible sous le règne marchand tant le capital se nourrit de notre temps, mais meilleure que les autres. Crevons, certes, mais en piétinant toujours autre chose que nous mêmes! Au final dans l'idéologie progressiste, il s'agit toujours de faire jouer la partie et non la totalité, la tactique contre la stratégie, et même, sur le plan politique à opposer un groupe social contre un autre (l'industrie contre la finance, la Bretagne contre la France, et...) et se retourne ainsi en son contraire, la réaction, la dénonciation de qui a été uniquement non pas responsable, mais autre.
Quelles sont les traductions politiques de cette confusion ?
Nous assistons à un phénomène qui apparaît comme ancien et déjà analysé, et qui pourtant berne les restes marxisants de l’extrême-gauche du capital2. Ce mouvement est effectivement composé de travailleurs, de salariés, bref des prophètes ouvriéristes. Stratégiquement, la tactique des marxistes, initiée par le trotskysme qui, en comparaison de ses frères staliniens et maoïstes est née décomposé et minoritaire, est de suivre les ouvriers là où ils croient qu’ils sont. Or, le fascisme ne saurait l’être sans être en tant que tel un mouvement de masse, où ne saurait donc faire défaut une composante ouvrière, et a fortiori prolétarienne. Si cela n’est pas très original, là où nous devons cesser d' hurler avec les loups c’est dans l’interprétation nouvelle de ce fait déjà ancien.
En effet les léninistes, ainsi que ses avatars modernes : trotskysme, maoïsme, eurocommunisme, autant que les altermondialistes,... s’attachent à ces mêmes identités peu définies : « travailleurs », « mouvements sociaux », « exclus », « marges », et (la pire) « peuple ». On voit ici l’origine et la naissance de ce stupide slogan prôné par ces républicains-démocrates d’indignés «nous sommes les 99%»!
Encore une fois ce qui s’y passe c’est le rapport à la totalité, largué en même temps que la cohérence théorique. Stratégiquement, cette rupture avec la catégorie centrale de l’œuvre de Marx qu’est la totalité n’intervient que pour justifier les pires compromissions théoriques et historiques3.
Puisque c’est bien la relation capitaliste que nous voulons détruire alors c’est en tant que système de reproduction élargie, c’est-à-dire basé sur le profit, et contrôlé par le groupe social qui se l’accapare. La catégorie la plus pertinente d'analyse se trouve être alors celle de « capital social total ».
Cette catégorie qui n’est pas qu’un changement d’échelle -car elle n’est pas la somme des capitaux et des taux de profits individuels ou nationaux- introduit bien une rupture de nature (épistémologique) avec les analyses au final très empiristes des altermondialistes et des marxistes4.
Ce qu’il est important de remarquer c’est que ce système de reproduction nécessite une production de plus-value, et donc des endroits où s’effectue cette dernière.
Or où se situent ceux-ci ? Où sont les principaux centres d’accumulations mondiaux? Sûrement pas en France! Nous pourrions tourner nos regards vers l’Asie et plus particulièrement l’Inde5 et la Chine6.
Partant de cette catégorie de totalité, nous pouvons analyser les prises de positions des marxistes, qui sous les noms différents de S.L.B (Syndicat des Travailleurs Bretons) ou N.P.A cachent une même réalité diversement décomposée. Ceux-ci déblatèrent une vague verve économiciste-scientiste-positiviste incapable de se détacher du contexte national. Pour eux, tout travailleur est un prolétaire, et tout prolétaire un ouvrier. Falsification théorique qui permet le soutien massif à tout mouvement aussi ridicule soit-il dès lors que quelques travailleurs se fondent dans le cortège. Ainsi est née l’inénarrable «pôle ouvrier» des bonnets rouges qui, décomposition oblige, est probablement le sous-cortège le plus petit et le plus risible au sein de ce mouvement sous-fasciste.
Cette position ouvriériste porte tellement les stigmates de sa confusion originale qu'elle se retrouve défendue par tous les « courants » du mouvement. Ainsi des militants « anarchistes » défendent la thèse d'une présence ouvrière à la manifestation de Quimper, tout en niant qu'à l'évidence l'extrême-droite du capital y était sinon surreprésentée, du moins tout à fait visible7. Cette position est également celle des crypto-maoïstes, mais réellement nationalistes, du SLB ainsi que de la remorque des mouvements sociaux, c’est à dire le NPA.
De l'autre côté la gauche syndicale, versée dans l'art des petites manœuvres, appelait à une manifestation à Carhaix pour tenter de mettre main basse sur une contestation qui sentait bon le coup mé(R)diatique. Bref dans les deux cas la seule réelle question politique qui a été posée par la gauche et l'extrême-gauche du capital est la même qu'elles se posent depuis déjà pas mal de temps : « Comment récupérer un mouvement pour en faire profit ?».
Mais qui a réellement récupéré ce mouvement ?
La réponse est peut-être à trouver du côté d'Armor-lux qui se fait du fric directement dans les manifestations en vendant 5euros pièce les fameux bonnets rouges. Voyez à qui profite le « crime ».
Sous-fascisme ?
De quoi les bonnets rouges sont-ils le nom?
Premièrement, ils apparaissent comme un mouvement interclassiste, c’est-à-dire essentiellement comme un agent de confusion des intérêts, comme un faux universel. Universel se révélant toujours en dernière instance un particularisme, celui des intérêts d’une seule classe, d’un seul groupe social.
La décomposition est ici telle que cette classe n’a même plus besoin de recourir à une subversion, à des cachotteries de discours, elle mobilise, et rassemble, directement par le chantage à l’emploi, par le chantage à la domination consentie, seule barrière sociale contre la désintégration hors du monde marchand. L'intériorisation des valeurs du travail et des modes de vie spectaculaire qu'il véhicule où les patrons placent directement leur bras sur les épaules des travailleurs pour leur asséner ce chantage d’un «marche ou crève» littéral.
Cette essence de la confusion classiste est telle, qu’elle ne parvient pas à ne pas se refléter dans ce qui se présente comme une tentative de la dépasser en représentant réellement une position en faveur des l’abolition des classes sociales. Le «pôle ouvrier» cherche à représenter un intérêt de classe, non pas dans une perspective de libération totale (communisme), mais dans une perspective de soumission durable à l’ordre marchand (travaillisme). Ce «pôle» ne défend les travailleurs que pour qu’ils puissent retourner au travail, et non pour qu’il le détruise. C’est en tant que «pôle doublement dominé» qu’il devrait se présenter. Premièrement, asservi par la position d’exploité, deuxièmement par sa revendication béate d’une meilleure place dans la même société.
Quelques exemples :
« Liberté - travail - pain» (slogan)
«Nous affirmons qu’il faut l’unité de tous les syndicats de salariés, petits artisans et commerçants, l’unité ouvrière la plus large contre les plans de licenciements dans le privé et contre les suppressions de postes dans le public.» (Extrait de «l’appel pour un pôle ouvrier des bonnets rouges»)8.
«Alors quoi de mieux que l’étendard breton pour porter en avant une communauté d’intérêts, ou supposés tels, pour maintenir des relations, un tissu social et un mode de vie liés à un territoire, particulièrement le Centre Bretagne où beaucoup de gens se « débrouillent » avec des petits boulots et des échanges pratiques permettant de vivre bien mieux qu’en ville, pour le même budget ?» (Médiapart)9.
« La France paradis pour fainéants, fraudeurs, délinquants, enfer pour les bosseurs »10
Décomposition
Rien ne reflète la moindre image de cohérence. Ces faux-prédateurs ne sont que des planches pourries. Le corporatisme, renvoyant au final à des logiques identitaires et territoriales ne sera jamais une possible critique du système spectaculaire-marchand, qu’il ne comprend de toute façon pas, mais au mieux l’arme de sa justification passive en tant que fausse-opposition, au pire le point de recomposition de la relation capitaliste. Ce dernier cas n’arrivant jamais car la seule affirmation, la seule scansion des bonnets rouges est et restera «Écoutez-nous, nous sommes inoffensifs».
Cette lutte n'est qu'une lutte de détournement afin de ne pas penser la réalité même du contrôle par le capital. Que l'extrême-gauche du capital s'y joigne cela prouve que son rôle historique n'a pas changé : être le dernier gardien de l'ordre marchand en aiguillant la guerre de classe vers des impasses. Plutôt que de critiquer le travail en tant que tel et de désigner l’État comme un ennemi avec lequel on ne discute pas, elle cherche à sauver le premier de sa mort grâce à des prières au second, le tout en dénonçant un aspect seulement de la domination actuelle : l'impôt. Et encore son principe même n'étant pas remis en cause, son rôle de trésorier du capital étant masqué pour continuer à le voir comme une redistribution a priori juste. Car l'écotaxe c'est avant tout le premier impôt totalement collecté par un acteur économique privé, un consortium regroupant Benetton, Goldman Sachs, SFR, Thalès, qui pourra s'en accaparer 20 %. Mais de cela personne n'en dit mot.
Il y a quelque temps déjà nous écrivions ceci, c’était certes sans penser aux bonnets rouges, mais n'était-il pas déjà possible de prévoir cette forme que prendrait le spectacle pour se promouvoir encore et toujours ? :
«C’est d’ailleurs l’une des rares singularités du sous-fascisme que de composer un déversoir revanchard ouvert à tous les résidus de recettes venimeuses concoctées par l’horreur réactionnaire. Il est donc une sorte de décharge politique ; un terminus tintammaresque où s’échouent les cadavres téléguidés de mystifications répressives qui, dévêtus de leur vieux costumes d’ennemis respectifs, révèlent crûment leur parfaite assonance. Dans ce chaos, les gaz échappés des corps en putréfaction de l’extrême gauche se mélangent aux effluves expulsés de la moribonde extrême-droite et forment des combinaisons aussi inattendues que nocives au prolétariat.»11...
A qui profite le crime ? Au choix : Armor Lux, Ecomouv’, le NPA, le SLB, Patrick Caré, bref tous ces guignols qui s'agitent pour que rien ne se passe.
Références :
[1] Que celui-ci soit juste ou injuste nous n’en avons que faire. Tout impôt est un moyen de financement de l’État et se trouve donc être un moyen d'asservissement de classe.
[2] Est-ce si étonnant, puisqu’elle y participe !
[3] Soutien aux mouvements de libération nationale, et ses variations contemporaines de soutien à tous les identitarismes. Développement, même lors de périodes révolutionnaire, de perspectives de gestion du capitalisme (augmentation des salaires, syndicalisme,...) au lieu de se poser en rupture avec lui.
[4] Pour approfondir cf l’article de Goldner La Classe ouvrière Américaine, disponible sur http://home.earthlink.net/~lrgoldner/remakingfrench.html
[7] Cf ces anarchistes de pacotilles signant par « Des révoltés bretons » (et non « de Bretagne » vive la critique des identités nationales !) un texte paru sur le site actualutte.com. Ces derniers cherchent à défendre la position intenable d'une vrai manif de travailleurs anticapitalistes à Quimper sous le couvert d'une radicalité de forme qui peine misérablement à masquer la pitoyable rhétorique de la gauche du capital. Le sommet étant atteint dans l'expression « peuple de gauche ». Sans commentaire...
[10] Ce slogan est visible sur la photo d'un cortège SLB. Photo visible ici :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/11/30/nouvelle-mobilisation-de-bonnets-rouges-a-carhaix_3523322_823448.html