Les sots râlent et la bourgeoisie se prélasse (2),
Éléments d'introduction à la notion de "sous-fascisme"

Communiqué n°4 - Juin 2011

Les différentes thèses ci-dessous réunies forment un condensé d’une analyse plus vaste intitulée « Qu’est-ce que le sous-fascisme ? », toujours en cours d’élaboration.
Elles ont été rédigées principalement entre le dernier trimestre de l’année 2009 et fin 2010, puis légèrement révisées à l’été 2011 en vue de leur publication dans le numéro 36/37 de la revue Ni patrie, ni  frontières ! consacré à un « inventaire de la confusion » sur les plans idéel, rhétorique et pratique entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Ne serait-ce que parce qu’elle échappe à la thèse simpliste de la « convergence des extrêmes », en lui préférant une identification rigoureuse des traits caractéristiques des nouveaux phénomènes réactionnaires dont le premier est, justement, de se soustraire au marquage politique grâce au brouillage efficace des repères, une telle démarche mériterait un intérêt plus prononcé chez les révolutionnaires que celui qu’elle a jusqu’à présent recueilli. Et cela d’autant plus que, durant la décennie qui vient de s’écouler, les développements de la lutte des classes dans le centre du capitalisme globalisé ont été toujours plus imprégnés, perturbés, par la considérable entreprise de pétrification identitaire de la conscience des exploités. Celle-ci procède toujours, à la source, d’organisations ou de « boîtes à pensée » politiques. Mais elle se décline principalement sous des formes aussi diffuses que dotées d’une puissance de pénétration inédite dans les cerveaux, et ce, en raison de l’omniprésent maillage spectaculaire de nos vies, qui résulte de et accélère la dissolution des sphères intime, privée et publique ; processus qui se confond avec l’aggravation de la « séparation achevée » (théorisée par Guy Debord) en conditions d’autodestruction de l’humanité, au travers, notamment, de l’invasion généralisée du marché transgressif. Le sous-fascisme s’inscrit dans cette tendance à l’auto cannibalisation de l’être social. Par conséquent, si nous nous penchons sur ces saillants organisés que sont les groupements politiques draguant les classes opprimées, ce n’est pas pour occulter la face cachée de l’iceberg de la réaction confusionniste, qui voit le crétinisme conspirationniste, la haine identitaire, le réflexe particulariste, se répandre dans la population à partir des connections ordinaires, si prolifiques qu’elles semblent s’effacer, entre le virtuel et le réel. Au contraire, nous pointons ces diverses organisations parce qu’elles concentrent, jusqu’à l’exacerbation, les ingrédients qui infusent le mouvement de sous-fascisation de la société. Travaillées par une recomposition permanente de leur arsenal argumentatif (accumulant au passage de lourdes antinomies), obsédées par leur apparition sous les projecteurs disséminés du spectacle, les organisations sous-fascistes sont des mutantes dégénérées des derniers développements du totalitarisme spectaculaire-marchand. Leur existence est en soi une consécration, parmi tant d’autres, de la disparition de l’idéologie au profit de la communication, mais, partant, elle vient illustrer caricaturalement ce phénomène par lequel l’idéologie tente de ressusciter au cimetière communicationnel où elle s’est échouée. Aussi, les sous-fascistes sont-ils avant tout les marionnettes d’une grotesque représentation : ils trifouillent le vermoulu corpus esthético-rhétorique de la réaction d'antan ou s’attachent à aménager les ruines de la terreur bureaucratique, mais se calent sur les rythmes convulsifs et des derniers codes d’apparition transgressifs du divertissement fabriqué par la marchandise spectaculaire, cette forme-marchandise fluide qui, justement, s’est émancipée de l’idéologie et ses rigidités il y a un peu plus de cinquante ans. Incarnant la contradiction élevée au stade de la schizophrénie, les sous-fascistes attaquent la société de consommation pour mieux s’exhiber sur ses canapés télévisuels ou mettre à nue leurs piètres existences sur les réseaux sociaux, Facebook en tête (comme c’est le cas de bon nombre de militants du Front National, d’Égalité et Réconciliation, du Bloc identitaire, et de l’extrême-droite en général). Ils invoquent le salut de la tradition (religieuse, culturelle, politique) en oubliant qu’elle n’est plus qu’un vulgaire produit décoratif de leur confort matériel et mental standardisé, ce déversoir consumériste où leurs pulsions solvables sont constamment excitées. Ils pourfendent le capitalisme financier sans jamais mentionner que le capital est un procès en mouvement qui revêt des formes industrielle,  marchande et financière, et qu’il est donc inintelligible de le circonscrire à une seule d’entre elles. Ils vilipendent la démocratie de marché, que pourtant ils servent en orientant les exploités vers de fausses cibles (comme « l’empire », les juifs, les financiers, les étrangers et/ou les chômeurs  assistés », les « rouges », les « fascistes »…) et confirment leur mission de maintien de l'ordre du capital dès qu’ils accèdent à des responsabilités au sein des sphères de gouvernance.

Mais il serait dangereux de résumer le sous-fascisme à quelques regroupements d'illuminés voire de le juger inoffensif. En surfant sur la peur et la désorientation structurelles que la bourgeoisie inocule aux exploités, les sous-fascistes squattent les abîmes qui séparent le producteur du monde qu’il a édifié à ses dépends. Là, ils invitent les travailleurs, les pauvres, les proscrits, à se réfugier dans des carcasses culturelles, politiques, identitaires, depuis longtemps vidées de leur substance par la réification capitaliste et changées à la fois en filons mercantiles et en instruments de coercition sociale. Il résulte potentiellement de cette opération non pas une simple stagnation du prolétariat sur le chemin de sa libération mais bel et bien un recul funeste, une automutilation, une aventure dans les tréfonds d’une barbarie si sophistiquée qu’elle rend compatible la résurgence partielle et parcellaire des formes ancestrales d’oppression avec les derniers développements de la modernité.

Dans ces conditions, et plus que jamais, hurler à la menace d’un retour du fascisme c’est avouer ne rien comprendre à la spécificité des phénomènes qui nous intéressent ici. Et s’il fallait encore s’en convaincre, il suffirait de souligner :

  1. La contraction de l’État sur ses fonctions les plus brutales (police, justice, armée), accompagnée des politiques anti ouvrières ultra-violentes de ces quarante dernières années, qui toutes se sont effectuées dans le cadre de la démocratie bourgeoise.
  2. Le caractère transitoire du fascisme, entre le capitalisme extensif (basé sur l’extraction de la plus-value absolue) et le capitalisme intensif (reposant sur l’extraction de la plus-value relative), qui ancre définitivement dans les pages sombres du passé cette option révolue de défense de l’ordre bourgeois.

Au demeurant, la « menace fasciste » permet de faire accroire que l’antifascisme est salvateur alors que cette vieille lune, qui n’a jamais été qu’une formule de pacification des prolétaires au seul bénéfice du démocratisme bourgeois, est non seulement inappropriée à la lutte contre le sous-fascisme dans sa globalité mais est aussi pleine de compromissions alimentant la confusion.

Ainsi, ceux qui crient au loup fasciste en Europe sont les mêmes qui appuient les pires politiques de dépeçage du prolétariat sur ce continent, dont la version de gauche appliquée par les Partis Socialistes et leur faire valoir des Fronts de Gauche, est à l'identique de celle infligée par la Droite. Et il semble ne poser aucun soucis de conscience à l’antifasciste hexagonale d’avoir contribué à propulser François Hollande à  la Présidence de la République (qu’il l’ait fait en se pinçant le nez n’a aucune espèce d’importance, seul le résultat compte), le même qui poursuit fidèlement la politique ultra réactionnaire menée par son prédécesseur. A cette « vigilance » curieusement atténuée du militant de gauche face aux quartiers généraux de la domination capitaliste, on mesure combien le revival antifasciste, que les héritiers de Staline et leurs satellites gauchistes s'acharnent à nous vendre, est une basse œuvre de manipulation : Il s'agit de tirer sur une fausse alarme pour retarder le train de la révolution sociale, le temps que les capitalistes puissent trouver une solution à leur crise. Outre que cette grossière stratégie de diversion vient flanquer une mise au pas en bonne et due forme de la lutte prolétarienne par les bureaucraties syndicales, elle alimente une dynamique d'affirmation de l'extrême-droite comme sujet politique incontournable ; processus dont l'origine est patronale et médiatique. De même qu'elle enveloppe le Front National de l'envergure et du sérieux dont il est structurellement démuni, elle sert de marche pied à l'extrême-droite groupusculaire, la tire du caniveau hooligan et lui offre un ticket d'entrée au terrain politique.

Englué dans de telles positions pro-capitalistes, l'antifascisme, sans surprise, s’arrête là où se déploie l’émancipation d’identité, cette arme qui permet de saper l’unification du prolétariat comme sujet révolutionnaire. Pis, il prétend dissocier le bon identitarisme du mauvais, en appelant par exemple à combattre l’islamophobie, ce « nouveau racisme » qu’il compare sans problèmes à l’antisémitisme d’État des années 1933-1945. En janvier 2011 à Paris, il déballe le tapis rouge à Ennahda en pleine révolution tunisienne, considérant certainement les futurs geôliers des travailleurs tunisiens comme des alliés objectifs. En automne 2012, il ne ressent aucun scrupule à commettre un « appel des libertaires contre l’islamophobie », atteignant le paroxysme de la falsification des mots et des idées, où l’anarchie est mobilisée au service du strict respect des positions tyranniques de l’Organisation de la Conférence Islamique. En mars 2013, il poursuit dans l'infâme provocation et s’adonne à l'injure suprême contre les révolutionnaires maghrébins et arabes en cautionnant ouvertement la réaction islamiste au Forum Social Mondial de Tunisie. Inutile de dire que cet antifascisme en particulier, en sus de se poster à contre-courant de l’Histoire, qui s’accélère présentement au Maghreb et au Machrek, s’inclue dans le sous-fascisme.

Parce qu’elle possède une vision faussée du capitalisme assise sur une dichotomie rigide entre pays avancés et pays dominés, totalement contraire aux mouvements et évolutions du capital à l’échelle mondiale, parce qu’elle est liée à de vieilles mafias qui ont accédé au pouvoir par le truchement des luttes de libération nationale, parce qu’elle n’est, en somme, qu’une caserne désaffectée recyclée en bureau annexe de gestion des exploités, l’extrême-gauche du capital est aveugle, ou s’associe, à de nombreuses formes de sous-fascisme. Ici elle beigne dans l’angélisme porté par l’antiracisme de manière et légitime la réaction diffusée par l’islam, organisé ou non, tout comme elle se désintéresse de l’expansion des sectes évangéliques, véritables vecteurs de diffusion d’un conservatisme pudibond et communautariste qui ne dit pas son nom. Là, elle se range derrière un laïcisme républicain chauviniste qui, lui, n’a aucune hésitation nouer des alliances jusqu'au nationalisme révolutionnaire, en passant, par exemple par Egalité et Réconciliation. A cet égard, la double appartenance de certains militants à ce groupe pro-lepéniste et au Parti Ouvrier Indépendant  est avérée, notamment en Bretagne. A lui seul, ce phénomène en dit long sur la dérive nationaliste du lambertisme observée ces vingt dernières années.

En ce qui concerne la dimension internationale du sous-fascisme et en particulier l’influence exercée par des groupes et États visant à soutenir financièrement, humainement et matériellement la prolifération d’idées réactionnaires, l’affirmation de formations identitaires, seules quelques intéressantes enquêtes indépendantes, notamment proposées par le site d’information REFLEXes (http://reflexes.samizdat.net), existent. Pourtant, il est fort à parier, rien qu’en scrutant le fonctionnement des appareils sous-fascistes, à commencer par le Front National ou l'UOIF, que des attaches aussi multiples que puissantes relient ceux-ci aux acteurs des principales scènes géopolitiques internationales qui se jouent sur fond de crise universelle du capitalisme. A l'image des formations politiques majeures, des lignes de démarcation se dessinent à l'extrême-droite en France et en Europe, à l'ombre des grands créanciers internationaux que sont l'Arabie Saoudite et le Qatar, leurs alliés Occidentaux mais aussi leurs ennemis chiites des régimes iraniens et syriens, soutenus par les pouvoirs russe et chinois, ce dernier étant le grand bailleur de fond mondial. Superposer la configuration de l'échiquier politique français, pour ne s'en tenir qu'à lui, avec la nouvelle structuration des puissances capitalistes mondiales est certainement une piste pleine d'éclaircissements à propos du sous-fascisme. On ne saurait ainsi cerner la substantifique moelle nauséabonde d'un groupe comme Egalité et Réconciliation sans connaître ses liens nourriciers avec la Russie de Poutine, la Syrie de El Assad, le régime des mollah iranien, ces trois états qui fricotent aussi avec le FN, dont E&R n'est une succursale. Ces rapprochements résultent sans nulle doute de divers motifs. L'un d'eux est de tirer aubaine de la poussée de la finance islamique dans l'économie hexagonale, accueillie les bras ouvert par le grand patronat au début des années 2000, Lagardère et Total en tête, avec ses relais idéologiques, comme l'UOIF. Il s'agit alors de présenter un pseudo-contre poids, éludant le fait que de part et d'autres, les adversaires se rejoignent sur la même conception fondamentale de la société : identitaire, autoritaire, patriarcale, religieuse, répressive contre les travailleurs et les pauvres pour mieux sauver le capitalisme.

Les thèses que nous proposons ci-dessous relèvent d’une intention théorique. Le lecteur peut rester sur sa faim s’il cherche à ne s’attacher qu’à la dimension informative et ses données factuelles. Le travail journalistique est certes nécessaire mais l’enquête ne peut, dans le combat révolutionnaire, revêtir toute l’efficacité tactique qui lui sied qu’à condition de s’inscrire dans le cadre de la pensée de la totalité, lequel révèle le sens profond des actes et des hommes.

Nous traquerons sans merci les sous-fascistes, comme nous le faisons depuis plusieurs années avec nos forces et moyens autonomes partout où nous le pouvons. A ce propos, nous ne sommes pas étrangers à cette émission de radio, qui se tint en novembre 2009 (les commentaires fielleux des crétins sous-fascistes sont éloquents. De telles réactions, puant la panique face à l’anéantissement du vénéré, nous amusent aussi bien qu’elles viennent confirmer, bien malgré elles, l’efficacité de notre attaque) :

https://www.youtube.com/watch?v=MQ8S3ucpGMI
https://www.youtube.com/watch?v=BHUt-ES9bpQ

Tout repli identitaire est une régression sociale. La lutte contre le sous-fascisme implique une réflexion conduisant à une remise en question de l’idée même d’identité, et ce, d’abord à partir d’un inventaire doublé d’une généalogie rigoureuse de la féroce éradication des repères sociaux, culturels et psychiques entreprises par le rapport marchand depuis cinquante ans. Elle sera fructueuse si la réhabilitation en cours de la perspective communiste se généralise et se massifie. Nous nous attelons, comme d’autres, à cette tâche, tant sur les terrains pratique que théorique.


I

Le sous-fascisme est une cour des miracles policière située aux avant-postes de la réaction institutionnalisée. Il est une grossière mise en scène spectacliste où s’agitent les médiocres imitateurs de figures réactionnaires périmées. C’est un succédané falsifiant une falsification dépassée et qui, dès lors, se heurte aux limites du communicable. Sa fonction objective réside dans un quadrillage mental des prolétaires les plus exposés aux méfaits du capitalisme. Son but est d’occuper les cerveaux ruinés d’exploités livrés au paroxysme de la séparation achevée et de transformer ces pauvres têtes en citadelles moyenâgeuses. Il est la matrice d’agents kamikazes qui, pour couvrir l’évidence du naufrage généralisé, sont chargés de vider, en d’imprécises mitrailles, leurs munitions mensongères de faible calibre. Car, à l’heure où plus rien ne peut échapper à la dévastation capitaliste et que tous les pans de la réalité sont des dégâts en devenir, la fausse conscience bourgeoise se découvre aussi précaire que l’univers qu’elle martyrise. Bientôt entièrement privée des procédés qui lui assuraient une emprise idéologique quasi totale, ajustable et évaluable, sur la révolte prolétarienne (la fascination marchande et la technologie répressive, maigres supplétifs des organisations de masse, voient leur efficience toujours plus affaiblie dans l’agonie capitaliste), la classe dominante se sent encore épiée par le spectre communiste tout en étant désormais incapable de le discerner. Plus la bourgeoisie se délitera, plus son affolement la poussera à frapper dans tous les sens, car de n’importe où pourra surgir la subversion qui l’engloutira. Le présent confusionnisme pullulant est le prolongement publicitaire de cet égarement, résultat d’une impotence politique insurmontable et d’une épouvante grandissante dont souffre le cerveau bourgeois. Le sous-fascisme, version ouvertement contaminatrice de cette hystérie chaotique vise donc à alourdir le poids du mensonge accroché au bras armé de l’opprimé afin d’éviter qu’il ne se tende vers les sommets du pouvoir de classe. Il doit amener le pauvre à appuyer sur la gâchette du pistolet braqué contre sa propre tempe alors que plus aucun gilet pare balle ne protège l’élite. Il est la dernière mouture fragile d’une longue et sinistre série de traitements préventifs de l’ennemi prolétarien, consistant à retourner toute velléité subversive contre elle-même. C’est le prolongement, sur le terrain accidenté du discours subversif, de la présente reconquête bourgeoise sur la valeur de la force de travail. Il est la tentative hautaine de rallier les déshérités à l’heure où toute représentation de leurs intérêts propres s’est irrémédiablement discréditée à force de s’être dressée contre eux.

II

Le sous-fascisme parie sur les récentes décennies d’abrutissement des masses, dont il n’est que l’une des diverses variantes de conforme continuité. Il est la face enragée de la poursuite volontariste, parce que désespérée, d’un projet anthropologique raté, par lequel la marchandise totalitaire devait balayer toute trace d’intelligence prolétarienne. A l’instar de ses maîtres, il ne croit voir que la réalité qu’il montre et se trompe plus qu’il ne parvient à circonvenir, d’autant que quelques crétins savent réconforter ses ambitions par leur incurable crédulité.

III

Contrairement au fascisme qui avait fait de la diversité sociologique de ses troupes une armée déployée dans toutes les strates de la société, et ce, grâce à une mystique que des modes de propagande inédits doublés d’une efficace stratégie militaire de terreur sociale avaient su changer en ferveur populaire, l’aréopage sous-fasciste ne saurait même pas être un mouvement. Son hétérogénéité est un reflet accentué des derniers bouleversements de la politique d’État. A l’image de l’actuel parti unique qui, de droite à gauche, efface les vieilles oppositions spectaculaires sous une seule ligne de gouvernement, le sous-fascisme transgresse les clivages politiques jusque là en vigueur. C’est que son dessein d’usurper le plus large panel des expressions de la colère prolétarienne le contraint à un éclectisme théorique, non exempt de lourdes contradictions, un éparpillement organisationnel dénué de commandement centralisé, qui l’empêchent d’accéder à la cohésion qu’exige la structuration d’un courant, somme toute quand celui-ci prétend s’opposer à l’ordre dominant. L’auto désignée « dissidence » sous-fasciste n’est donc qu’une mouvance. Sa seule véritable unité lui est assignée d’en haut et tient de son rôle bifide d’accélérateur de la décomposition sociale et d’escorte à la politique institutionnalisée de destruction des droits ouvriers et démocratiques.

IV

Parce qu’il a éclos dans ce cimetière de l’ère des masses qu’est la société spectaculaire marchande, le sous-fascisme ne saurait correspondre à une résurgence du fascisme. Il est plutôt une sorte d’hologramme politique du fascisme, qui se décompose et se recompose en permanence. Ses agences de diffusion sont donc incomparables avec les vieilles organisations d’extrême droite ou les casernes staliniennes d’antan :
- Leurs moyens sont principalement médiatiques et trahissent une capacité d’enrégimentement relativement faible. Ces structures sont plutôt souples et peu exigeantes avec leurs membres, moins portés à l’action séditieuse, le sacrifice, qu’au coup d’éclat.
- Reflet de la décomposition sociale sous les effets du totalitarisme marchand, leurs discours sont lourds d’incohérences, de contradictions et intellectuellement peu consistants (un charabia pauvre comparé à l’intellectualisme des vieilles élites fascistes, par exemple).
- Leur but réel (accompagner le pouvoir et non le prendre) dissimulé sous une communication intempestive et braillarde se situe très en deçà des desseins réalisés par les fascismes dans tous les domaines (commander l’État, écraser militairement et économiquement le prolétariat, soumettre toute activité humaine au diktat de la terreur idéologique).

V

Comme le fascisme ne peut plus réapparaître, le sous-fascisme n’est qu’une apparence décrépie du fascisme. Faute d’incarner la rénovation inespérée de l’extrême droite ou de donner l’électrochoc à une extrême gauche en débâcle, il se résume à un panégyrique des plus ardents conservatismes (religieux, patriarcaux, moraux, hiérarchiques, racistes, ethniques, nationalistes, antisémites, xénophobes). C’est un amas de caricaturaux guignols dont la force de raisonnement se limite au rabâchage théâtral de truismes réactionnaires fossilisés. En guise d’assise idéologique, il s’arrange d’un amalgame confus de stigmates, d’automatismes et de simulacres inspirés des systèmes d’oppression archaïques et de leurs personnages célèbres. Sa filiation avec le fascisme s’arrête donc à cet exercice constant de singerie, qui laisse transparaître de vulgaires trames politiques. Il n’est donc pas anodin que ses mascottes les plus connues soient de purs produits de l’industrie spectaculaire, tels que Marine Le Pen, Dieudonné M’bala M’bala, Alain Bonnet de Soral ou encore Houria Bouteldja, lesquels sont naturellement rodés à s’avachir dans les canapés télévisuels qui, dorénavant, servent de confortables estrades à leurs survoltées imprécations. Quant aux moins chanceux fabriqués dans le grand bazar du net, ils leur arrivent d’essayer de s’extirper de la mélasse en surjoueant. Ainsi ce clown épileptique, Stélio Capo Chichi, dit « Kémi Séba », qui n’en finit pas de baragouiner sous sa panoplie délavée de clone de Malcom X. De même, ce hooligan des comptoirs, des stades de foot et des défilés mémoriels, Serge Ayoub, dit « Batskin », que l’obstination vieillissante à jouer le nazillon gonflé aux hormones a hissé au petit podium installé au centre de la désertique ultra-droite, où ses représentations mussoliniennes se démarquent humoristiquement de la nullité ambiante.

VI

Ainsi, le sous-fascisme emprunte au fascisme le lit de sa fonction, puisque tels les doctrinaires bruns, il tâche de changer les ravages universels de la domination bourgeoise en sources d’exaltation des réflexes destructeurs, obscurantistes et irrationnels des masses.
Il pioche également dans la tradition fasciste puisqu’il se réclame d’un héritage très élastique de poussiéreuses organisations et thèses autoritaires recrachées par l’Histoire. C’est d’ailleurs l’une des rares singularités du sous-fascisme que de composer un déversoir revanchard ouvert à tous les résidus de recettes venimeuses concoctées par l’horreur réactionnaire. Il est donc une sorte de décharge politique ; un terminus tintammaresque où s’échouent les cadavres téléguidés de mystifications répressives qui, dévêtus de leur vieux costumes d’ennemis respectifs, révèlent crûment leur parfaite assonance. Dans ce chaos, les gaz échappés des corps en putréfaction de l’extrême gauche se mélangent aux effluves expulsés de la moribonde extrême-droite et forment des combinaisons aussi inattendues que nocives au prolétariat. Ici, le multiculturalisme démontre combien sa tolérance post-moderniste se marie parfaitement avec la haine communautariste. Là, des gardiens de goulag manqués s’acharnent à propager la lèpre du fondamentalisme religieux. Là encore, des nostalgiques du Troisième Reich s’ingénient à soutenir l’émancipation d’improbables indigènes néo-colonisés.
Le sous-fascisme plagie donc l’un des ressorts de la stratégie de séduction fasciste, celui qui consistait à avancer des chefs, des thématiques et des concepts puisés dans le mouvement ouvrier. Comme à l’époque, ce confusionnisme vise à briser les repères politiques du prolétariat sans lesquels les solidarités de classe, l’identification de l’ennemi social et la méthode de lutte révolutionnaire ne peuvent émerger et se consolider. Par ce brouillage idéologique, la bourgeoisie, cachée derrière des mariolles déguisés en opprimés, cherche à dévier la classe laborieuse du chemin tortueux que celle-ci se fraye vers sa conscience pour soi.
L’extrême droite historique (française et étrangère) est le noyau irradiant du sous-fascisme mais son déploiement ne pourrait être possible sans ses relais à l’extrême gauche. Aussi, le sous-fascisme est-il aussi mesurable par son degré de perforation (théorique et/ou organique) à l’extrême gauche.
Ainsi, nombre de composantes du sous-fascisme proviennent du camp d’en face. Ses animateurs vedettes sont souvent des transfuges plus ou moins affirmés. Les premiers sont d’anciens éléments absorbés ou satellites des appareils sociaux-démocrates, staliniens et trotskistes, passés ou non par l’extrême droite classique, et qui ont noué encore de fortes accointances avec celle-ci. Ce sont également des individus ou groupes d’extrême droite (racistes, culturels et/ou religieux) qui, en vue de la changer en cage identitaire, s’approprient la symbolique victimaire des exploitées et autres populations persécutées ou colonisées dans l’Histoire, conservée jusqu’à présent au patrimoine de la gauche universaliste. Cette catégorie mêle, par exemple, les fanfarons d’ Egalité et Réconciliation et leur « Droite du Travail, Gauche des valeurs ! » avec les ethno-différentialistes noirs du Mouvement des Damnés de l’Impérialisme. Là pourra bientôt figurer le nouveau Parti de la famille Le Pen (encore dénommé Front National) aux numéros de piste recomposés d’hasardeuses figures laïques, féministes, « anticapitalistes ». S’y positionnent les ex-trotskystes et autres chevénementistes facho-compatibles de Riposte laïque qui vont jusqu’à occuper le créneau de la défense de la laïcité pour mieux l’infecter d’insanités nationalistes et xénophobes. On y trouve aussi l’intégriste fortuné Tarik Ramadan et ses frères musulmans qui prétendent défendre les pauvres et islamiser le socialisme. C’est là encore que leurs adversaires du Betar et de la Ligue de Défense Juive justifient le communautarisme sioniste par la lutte contre l’antisémitisme.
Les seconds militent au sein de la gauche et de l’extrême gauche pour y tordre la rhétorique socialiste vers des prises de positions ouvertement rétrogrades. Ici, on s’attache à marxiser l’islamisme ou la chrétienté et on donne des excuses géopolitiques à l’antisémitisme, comme les admirateurs de l’héroïsme du Hezbollah encartés au Nouveau Parti Anticapitaliste ou à l’Organisation communiste Libertaire. On s’insurge contre l’ « islamophobie », censée être le nouveau visage de la xénophobie, au nom de la lutte contre le « néolibéralisme », à l’instar de l’ « altermondialiste » José Bové. On macère dans le poison chauviniste, écrasant ainsi les enseignements élémentaires du « vieux », tel qu’il est de coutume au Parti Ouvrier Indépendant.

VII

La principale composante de l’extrême droite française, le Front National, présente quant à elle la singularité de s’être développée à l’heure de l‘hémorragie militante des vieux partis de masse. Toutefois, le caractère principalement médiatique de sa matrice renseigne sur la nature spectaculaire de cette organisation, dont les coups d’éclat se résument à ses résultats électoraux, les provocations télévisées de ses cadres, ou les faits divers commis de temps en temps par sa piétaille. En tant qu’artifice fabriqué par la bourgeoisie et incapable de traduire sa dimension spectaculaire en vaste implantation politique au sein des masses, le FN a été un proto sous-fascisme. Mais sa cohésion politique fixée sur un chef charismatique, ses références à l’unique patrimoine doctrinal nationaliste, son objectif de prise du pouvoir par des moyens institutionnels autour d’un programme de gouvernement qui réussissait péniblement à se démarquer des positions de la droite classique ont fait, jusque récemment, que cette organisation n’était pas sous-fasciste, encore moins fasciste, mais fascisante. Jadis accessoire manié par la gauche mitterrandienne, son rôle s’est peu à peu orienté vers deux objectifs complémentaires : servir de laboratoire idéologique à la réaction d’État en lui fournissant une pseudo légitimation tirée d’une prétendue assise populaire, canaliser la protestation prolétarienne grandissante vers des modes d’expression inoffensifs. En quelques années, cette double fonction du FN a rendu caduque sa mission initiale : la clique aux commandes sarkozienne a eu de moins en moins besoin de se tourner vers ce parti puisqu’elle a appliqué la quasi-intégralité de ses propositions. Quant à l’électorat populaire, il a tendu à délaisser cette formation, l’identifiant clairement comme un appendice du Pouvoir pour lui préférer l’abstentionnisme. A l’instar de ses homologues allemands, autrichiens, belges, hollandais, italiens, norvégiens, le parti lepéniste est donc une ébauche inaboutie d’alternative réactionnaire, dont le poids politique varie au rythme des confirmations étatiques plus ou moins fidèles de ses vues programmatiques.. L’apparent anticonformisme, l’autoproclamé « politiquement incorrect », de cet état-major de province de la réaction institutionnelle tient à sa vocation de rester circonscrit aux marges de la gouvernance moderne, forme perfectionnée de la gestion du spectaculaire marchand, dont il est un auxiliaire dynamisant. Mais, dorénavant en proie à une considérable défection militante, à de graves remous internes, facteurs de désertion de ses apparatchiks, à de lourdes difficultés financières, le cadavérique Front National ne doit son salut qu’à un énorme battage médiatique qui non seulement lui tient la tête hors de l’eau mais le couronne des possibles aptitudes à gouverner. C’est que, haï par les masses, contre lesquelles il s’est ingénié à intensifier son sadisme, le parti de la réaction institutionnelle n’a pourtant pas détruit les fondements démocratiques au point de ne plus être obligé de solliciter périodiquement les exploités lors des mascarades électorales. Cette situation, qui le contraint donc à demander l’aval de ses victimes, l’incitera encore à recourir périodiquement à la marionnette FN. Faire valoir des partis de gouvernement, celui-ci incarnera encore la fantasmée menace fasciste et continuera d’accaparer, au travers de ses filets pacifiés, une portion de la colère populaire. Néanmoins, en vue de perpétuer sa mission, le FN ne peut plus proposer un programme calqué en grande partie sur ceux des formations gouvernementales. La décomposition du Lepénisme appelle donc sa recomposition doctrinale et organisationnelle (qui ira peut-être jusqu’à un changement de dénomination), qui n’est qu’un ajustement supplémentaire à l’évolution de l’institutionnalisation de la réaction. Ce processus n’est pas annonciateur d’une prochaine prise de pouvoir par le FN. Il vient plutôt confirmer son statut perpétuel d’outsider réactionnaire. La nature toujours plus erratique de ses visées théoriques, l’amenuisement de ses ressources militantes et financières, l’ample instabilité de ses scores électoraux, toutes ces caractéristiques du pourrissement, que seuls le matraquage médiatique vient combler, font dorénavant entrer le Front National dans la catégorie du sous-fascisme.

VIII

Rejeton de la mutation en cours du Front National, l’extrême droite groupusculaire, dont le Bloc Identitaire, Renouveau Français et les Nationalistes autonomes sont les prototypes les plus significatifs, traduit la sous-fascisation des postures univoques de la vieille extrême-droite, lesquelles sont incapables désormais de dépasser les bornes réactionnaires étatiques. La faiblesse de leur dimension numérique les cantonne à l’amateurisme de l’agitation médiatique. Concentrés de sous-fascisme, ils ne parviennent pas à masquer le pillage au mouvement altermondialiste des méthodes d’action, de communication, voire des codes de reconnaissance, qui est à la source de leur pratique confidentielle. Sur le plan théorique, s’ils ne reconnaissent la valeur de toutes les xénophobies, c’est pour continuer de n’en promouvoir qu’une, celle de la souche européenne, du « pays réel ». Pourtant, une telle distinction s’effrite naturellement face à la domination qui, au travers de ses institutions, ne se prive plus de prôner tous les conservatismes, quelle qu’en soit l’origine. Confinés aux impasses des minorités agissantes, ces groupes de bourgeois encanaillés tentent de surmonter leur statut objectif de clubs de divertissement pour internet, par l’usage de la violence. Auxiliaires de police à Lyon ou à Nice, ils concentrent leurs faibles moyens sur l’agression du mouvement social. Ils occupent cet endroit pathétique où le sous-fascisme essaye de dépasser désespérément ses propres infirmités structurelles par la brutalité physique.

IX

De même que les différentes formes de fascisme apparues entre 1922 et 1945 étaient les traductions idéologiques d’une technique de gouvernement visant à orchestrer la recomposition dévalorisante de la force de travail, le sous-fascisme est une manifestation contemporaine de la destruction du travailleur total tel qu’il avait été façonné par l’État keynésien. Alors que le centre de l’accumulation mondiale du capital se déplace vers l’Asie en y suscitant une immense accumulation primitive et une réminiscence partielle de la plus-value absolue, la baisse du salaire ouvrier en dessous du niveau de reproduction sociale devient une impérieuse nécessité en Occident. Il s’agit de sauver la valorisation des titres à la plus-value, élevés à une quantité titanesque durant ces 40 dernières années en raison du coût rédhibitoire qu’implique la reproduction élargie du capital dans le secteur avancé. Là où les fondations modernes de l’État régulateur de la valorisation/dévalorisation, qui sont corollaires à l’hégémonie de la domination réelle du capital, sont achevées depuis 1945, l’ultra-réaction ciblant les riches composantes du salaire réel n’a plus qu’à s’exécuter via les institutions réformées à cet effet. Le démantèlement du Welfare State se réalise d’abord de l’intérieur, en propulsant les sphères politiques décisionnelles à des degrés hors d’atteintes par les masses, et en contractant à la base l’appareil institutionnel sur ses fonctions répressives les plus brutales. Le capitalisme étant entré dans une longue agonie, marquée de violentes secousses, qui sont autant de paliers irréversibles franchis par la crise, le cannibalisme systémique devient un remède de court terme, un retardant de la chute finale. En conséquence, la dislocation à l’œuvre ne saurait se cantonner aux montages keynésiens : un par un s’effondrent les soubassements politiques et sociaux de la démocratie formelle tandis que la survie biologique universelle est mise en péril à brève échéance. La présente phase d’écrasement de la valeur du capital variable, celle qui induit, notamment, le sous-fascisme, est révélatrice d’une violence bourgeoise exponentielle depuis quatre décennies à l’encontre de tout ce qui se situe de l’autre côté de la barrière de classe. Parce que les bases productives ont effectué, ici, le saut qualitatif vers la société d’abondance, l’idéologie accompagnant cette féroce offensive ne peut être ni massive, ni uniforme. De plus, tous les secteurs de la classe dominante, tant locaux qu’internationaux et dont les positions respectives sont par ailleurs contradictoires, se conjurent contre le prolétariat dans cette attaque sans précédents. Aussi, la gamme d’expressions idéologiques de ce processus ne peut qu’être bigarrée. C’est pourquoi le sous-fascisme se positionne au sein du fatras idéologique contemporain et y tisse des liens avec d’autres recettes en vogue : l’écologisme, le néolibéralisme, le néokeynésianisme, l’altermondialisme. Il s’en distingue néanmoins par sa substance identitaire protéiforme (religieuse, ethnique, culturelle, raciale…) et sa cible sociologique, qui se compose des couches inférieures du prolétariat, du sous-prolétariat et de la petite bourgeoisie menacée de déclassement.

X

La formidable chute de la demande productive, conséquence de la présente dépression mondiale, n’en est qu’à ses prémices. Mais elle vient déjà confirmer aux spécialistes en marketing de tout acabit que l’impératif d’une domestication chirurgicale des comportements des consommateurs est dorénavant une question de vie ou de mort du taux de profit immédiat. Car le paradoxe actuel, qui frappe l’écoulement de la production, exige des expédients radicaux : l’abaissement alarmant du taux de profit moyen impose que l’anticipation de la demande globale devienne une science sûre au moment même où celle-ci est contrainte aux dangereuses restrictions de la paupérisation galopante. Les attitudes de consommation des basses strates du prolétariat en Occident offrent un aperçu des prochaines conduites massives des clients : l’absence d’épargne alliée à l’impossible recours au crédit, par manque de solvabilité, conduit obligatoirement à acheter des marchandises à faible valeur ajoutée. Dans ces conditions, la publicité poussée à la saturation ne peut plus garantir le minimum de réflexes pavloviens qu’elle parvenait auparavant à conditionner. La prison identitaire, avec son étalage d’injonctions indiscutables, lesquelles assurent le modelage de consommateurs prévisibles, s’affirme en sauveur impromptu des intérêts marchands. Non seulement elle dompte la colère sociale mais elle fidélise aussi la clientèle en créant et pérennisant une consommation qui lui est spécifique. D’ores et déjà, le business communautariste (ethnique, religieux et de genre) s’impose en filon rentable de secours à l’heure où le commerce se paralyse peu à peu. Ce sont d’ailleurs les plus pauvres qui, dans les pays avancés, en subissent les fulgurantes progressions. Ils assistent à la démonstration en acte d’un capitalisme sollicitant l’obscurantisme pour survivre. Le sous-fascisme est donc ancré dans cette tendance lourde de l’accumulation sinistrée.

XI

L’opposition sionisme-antisionisme est le clinquant talisman, le pivot bancal, de cette agglutination de factieux déficients. Ce point de convergence doctrinal, organique et pratique, n’en est pas moins une curieuse source de jouvence où les zombis rouges, verts et bruns viennent puiser ce qui sert de carburant à leurs laborieuses agitations. Car le conflit israélo-palestinien présente le sordide avantage, pour les gouvernants et leurs relais sous-fascistes, de cumuler certaines des formes les plus violentes de la barbarie moderne tout en moquant insolemment l’introuvable riposte immédiate sur le terrain de la lutte des classes. Empêtré dans la baliverne religieuse, vérolé par le nationalisme le plus inepte, aigûment asymétrique dans sa caractérisation militaire (ce qui permet une incomparable pérennité flirtant avec la paralysie historique), il est l’occasion d’un riche déballage de technologie ultra sophistiquée, à la faveur d’odieuses exactions étatiques, auquel fait écho un fanatisme suicidaire galvanisé par le pathos messianiste d’ayatollahs de seconde zone. Tout enjeu, dans ses tenants et aboutissants, démonstrations factuelles et programmatiques, y est formulé sans la moindre perspective émancipatrice. Par conséquent, cette scandaleuse parodie moyen-orientale de la Guerre de Cent ans est le pandémonium rêvé des geôliers du monde entier. C’est un gouffre politique insondable qui, telle une gigantesque mine d’or, draine les partisans de la confusion réactionnaire. Ceux-ci, bien déterminés à creuser sans fin, ont compris que ce bourbier confiné aux portes des monarchies pétrolières, excentré des usines et des champs, des mégapoles asiatiques et des places financières occidentales, ne peut délivrer aucune réponse décisive aux questions fondamentales de notre temps.

XII

Une telle combinatoire fournit les alibis inespérés aux fourvoiements passés, présents et futurs des appareils de l’extrême gauche du capital, qui, ne pouvant plus feindre de jouer les révolutionnaires de service, épuisent désormais leur maigres divisions à piétiner dans des impasses. Tels des tamis du renoncement, NPA, LO, POI et consorts n’ont conservé de leurs trajectoires politiques que les orientations honteuses qui ont fait le lit de leur débandade, en s’attachant parallèlement à se délester des derniers vestiges du combat révolutionnaire. A l’aune de leur défaitisme syndical et électoral, qui sabote encore efficacement la lutte des classes dans le ventre de la bête capitaliste, la hardiesse intéressée qu’ils mettent à vilipender l’État israélien leur sert d’exutoire tactique. Cette énorme exagération de la cause antisioniste parmi l’ensemble des tâches libératrices incombant aux opprimés du monde entier est un prétexte de choix aux incessants échecs prolétariens que ces déchets des vieilles casernes d’extrême gauche garantissent, quotidiennement, aux plus hautes sphères de la bourgeoisie. Saisissant chaque occasion de s’associer à la saturation médiatique, ils s’appliquent à forcer l’identification de tout un chacun avec ce qu’ils nomment « la résistance palestinienne », assimilant, au passage, les enfants assassinés aux milices islamistes. De fait, ils tentent d’importer une lutte territoriale sévissant à des milliers de kilomètres et dont les effets sur les masses en France sont incommensurablement mineurs relativement aux dégâts locaux de la déprédation capitaliste mondiale. Leurs funestes efforts parviennent souvent à profiter du piège de l’instantanéité, dans laquelle l’arsenal spectaculaire plonge la fausse conscience spectatrice, pour greffer la colère et l’écœurement réactifs aux ressentiments identitaires. Aussi, quand certains des jeunes prolétaires d’origine extra européenne, ces boucs émissaires dont les organisations pseudo-révolutionnaires se sont détournées depuis toujours, descendent dans la rue, non pour lancer l’assaut contre les patrons du CAC 40, mais afin de scander religieusement leur détestation d’Israël, celles-ci jubilent. Histoire d’occulter l’abîme infranchissable qui les sépare, les antisionistes d’extrême gauche se jouent, alors, la mascarade de leur communion politique avec ces déshérités, le temps de quelques processions télévisées. Car ces paumés de la contre-révolution ne réclament rien d’autre que de circonscrire leur activisme à la pose enragée sous les projecteurs aménagés de la domination de classe. La distance qui les tient éloignés des massacres de Tsahal et des brimades de la police religieuse du Hamas convient parfaitement aux frissons tranquilles de ces avides consommateurs de la participation illusoire. Les conférences-débats, les communiqués de presse quémandant aux institutions bourgeoises des solutions encadrées par le droit international, les meetings, les articles et les pétitions, le merchandising subversif, les productions cinématographiques pour faire pleurer, les rares séjours en Palestine pour se faire trembler, remplissent suffisamment leurs agendas de militants surbookés. Réduits depuis longtemps à leurs plus simples expressions, ces orphelins de la terreur bureaucratique tuent donc leur piètre existence à servir de guérilleros…de l’animation politicienne. Ils feraient plutôt pitié si leur inépuisable tapage n’était cette ode obscène au pourrissement capitaliste. A l’évidence, essayer de dévier l’attention des exploités du volcan de haine bourgeoise ne leur suffit pas. Il faut pousser le cynisme en accrochant l’agitation antisioniste à des schémas théoriques dont la concrétisation est le franc soutien aux pires formes de barbarie. A cette fin, les nostalgiques des grandes heures de la lutte de libération nationale peuvent s’enorgueillir, sans complexes, des vieilles marottes léninistes qui, au nom de l’auto détermination des peuples, répandent une vision de l’impérialisme aussi erronée que répressive. Etablie sur la substitution du combat anti-bourgeois par l’affrontement entre pays dominés et nations avancées, cette approche se vautre dans les aberrations géopolitiques héritées de la propagande stalinienne prévalant durant la guerre froide. L’impérialisme yankee, travesti pour l’occasion en « empire américano-sioniste », cette soupe réchauffée de l’ « ultra-impérialisme » kautskien, ferait face à un fantasmatique « camp progressiste », constitué par le Hamas, le Hezbollah et les FARC, ainsi que des dictatures théocratiques ou crypto-socialistes partenaires de la Russie et/ou de la Chine, tels la Syrie, l’Iran, Cuba, le Venezuela, la Bolivie, la Corée du Nord. L’ignorance de ces gauchistes face à la complexité des rapports inter impérialistes aux niveaux régional et planétaire n’a d’égale que la familiarité idéologique qu’ils entretiennent avec des mafias policières périphériques dont ils envient à la fois la relative popularité locale et les fauteuils présidentiels. Car tout autant qu’ils répugnent à envisager une révolution prolétarienne en Europe, aux USA ou en Asie, ils se gardent bien de soutenir les masses arabes dressées au Maghreb et au Machrek contre les déclinaisons multiples de la désolation capitaliste. Quant à l’idée d’encourager sur le chemin de la grève générale la classe ouvrière cosmopolite, notamment palestinienne, employée dans les complexes pétroliers du Moyen-Orient, ou celle de développer auprès des deux millions de travailleurs israéliens la perspective d’une guerre de classe, les pitreries antisionistes arrivent efficacement à les censurer. Elles ont toujours essayé d’étouffer et ne cesseront de masquer cette vérité déclamée limpidement par l’Internationale situationniste dès octobre 1967 : « La question palestinienne est trop sérieuse pour être laissée aux États, c’est à dire aux colonels. Elle touche de trop près les deux questions fondamentales de la révolution moderne, à savoir l’internationalisme et l’État, pour qu’aucune force existante puisse lui apporter la solution adéquate. Seul un mouvement révolutionnaire arabe résolument internationaliste et anti-étatique, peut à la fois dissoudre l’État d’Israël et avoir pour lui la masse de ses exploités. Seul, par le même processus, il pourra dissoudre tous les États arabes existants et créer l’unification arabe par le pouvoir des Conseils. » Dans leur lancée, les flics antisionistes se complaisent à épargner les liens que les États français, allemands ou italiens ont tissé avec le pouvoir israélien, comme ceux que les États-Unis ont scellé, à raisons de milliards d’aide financières, avec l’Egypte. De même, ils se couvrent de ridicule en occultant le fait qu’Israël a crée le Hamas, que les États-Unis ont longtemps soutenu les talibans, invités d’ailleurs aujourd’hui à siéger dans le gouvernement fantoche de Hamid Karzaï. Enfin, leur sordide manège revient à l’interdiction de toute démonstration d’hostilité aux déprédations de l’impérialisme français et des régimes qui lui sont inféodés. Le génocide rwandais, les guerres congolaises, les massacres en Côte d’Ivoire, le coup d’État de 2008 à Madagascar sont autant de no man’s land de leur pratique militante.

XIII

En son temps, Sun Tzu constatait : « Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent. » Depuis longtemps, l’internationale capitaliste s’est convaincue de cet adage. Mais la désagrégation spectaculaire est venue contrarier l’efficience des stratégies de gouvernance appropriées à cette fin. Le choix de l’ennemi, qui est toujours très révélateur de la qualité d’un homme, l’est aussi de celle d’une société. En l’occurrence, l’effondrement du capitalisme d’État a laissé vacant le poste traditionnellement occupé par l’adversaire officiel nécessaire au minimum de cohésion sociale et de violence étatique que requiert la démocratie du marché en crise. Amputée d’un fantoche à même de contrefaire la révolte des prolétariats du monde, la bourgeoisie fut contrainte de dégoter d’urgence un remplaçant de fortune. Le principal histrion en lice était cette forme d’oppresseur archaïque, encore en service sous les latitudes de la misère et depuis longtemps complice des stratèges militaires occidentaux : l’islamiste. Cette figure oxymorique, qui prétend représenter l’indigence rebelle alors qu’elle est profondément intégrée aux circuits de la finance mondiale, est apte à soutenir la diffusion d’une nouvelle alternative illusoire, à partir de mystifications obscurantistes. Mais si elle est le versant caricatural le plus vivace de la modernité en guerre, elle n’occupe que partiellement sa fonction de spectre terroriste, la partageant avec des boutures mutantes des vieilles formules fascisantes, le « chavisme », le « castrisme », le « poutinisme », mieux adaptées à certains théâtres d’opérations locaux. Dans le capitalisme convulsif, où les impérialismes régionaux prolifèrent à mesure que s’écroule le cœur du système, ces sous-idéologies de masse accompagnent les consolidations éparses d’intérêts capitalistes marginaux. Aussi, loin de constituer des blocs « antisystèmes », ces micros centres d’accumulation ne sont que de nouveaux secteurs en phase d’inclusion brutale aux normes de l’exploitation mondialisée. Le redécoupage concurrentiel de la géopolitique planétaire ne saurait faire oublier qu’il s’opère à la faveur du seul mode de production capitaliste.

XIV

L’islamisme n’est que l’extrémité criminelle d’une boursouflure identitaire sur la face monstrueuse du capitalisme décadent. Quand la misère sous-développée est l’horizon indépassable du projet capitaliste, l’arriération théocratique domestique laborieusement les foules et garantit, ainsi, l’approvisionnement de hordes suicidaires utiles au bon fonctionnement des lointaines dictatures post-modernes. Là où l’abondance marchande a soustrait au prolétaire ses dernières bases arrière culturelles et intimes, elle échoue à combler le néant qu’elle a crée et n’y laisse qu’une constante insatisfaction. Celle-ci revêt un caractère d’autant plus insupportable que l’appareil productif en crise peine désormais à reproduire le mode de vie de l’ouvrier total. Par une incessante mécanique folle d’intégration et d’exclusion du travailleur, les monticules croissants de détritus sociaux s’accumulent, comme autant de vieux ordinateurs déprogrammés. Le décor s’écroule petit à petit et les basses couches du prolétariat sont rejetées au vide cru d’un désert social, où la surconsommation est regardée comme un minimum inaccessible et la société réduite à une zone policière. Au milieu de ce champ social aussi stérile qu’hostile, certains pauvres se réfugient à l’intérieur d’anciennes carcasses socioculturelles dont le système spectaculaire marchand a depuis longtemps vidé la substance. Au carrefour de l’échec politique et du désastre économique du capitalisme, sont alors cultivées les maigres pousses de la haine identitaire, ces prothèses infectées censées soulager l’ablation de la dignité.

XV

La nouvelle sédition spectaculaire est un médiocre ersatz des précédentes représentations de la révolte attitrée. A l’image des gadgets pollués et autres produits en toc qui saturent le marché global, c’est une marchandise tronquée dont la péremption est imminente. Elle est surtout une illusion provenant de la périphérie du monde avancé. Son intensité parvient atténuée au centre de l’accumulation capitaliste. Elle y est donc impopulaire mais y est néanmoins employée à deux fins conjointes : Elle fait office de signal menaçant, expédient de l’état d’urgence permanent, cet alibi du terrorisme d’État généralisé. Elle fournit des vulgates de secours et leurs modèles pratiques aux clochards du mensonge policier, les sous-fascistes. Ces derniers ne peuvent que s’accommoder de ces excréments bénis en guise d’aliments politiques, eux que l’extinction guette.

XVI

L’apologétique alterimpérialiste est le pendant « contestataire », déjà dépassé, des grotesques élucubrations du Département d’État américain sur la menace d’un « axe du mal » renié par ce même pouvoir états-unien depuis plus de deux ans. Rafistolage des épaves toxiques tiers-mondistes, l’alterimpérialisme relaie, au sein des pays avancés, à la fois les velléités expansionnistes (économiques, commerciales, diplomatiques, territoriales et militaires) d’État-nations récemment hissés au rang de puissance régionale, et les discours d’acier de leurs garnisons politico-militaires implantées dans leurs sphères d’influence. Cet accessoire idéologique sera bientôt indissociable de la panoplie sous-fasciste, tant les liens qui unissent les officines diplomatiques de l’arc alterimpérialiste au sous-fascisme s’étendent et se consolident.

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